Le « français parisien », ou « accent parisien », est un concept qui revient dans beaucoup de discussions sur la langue française. Souvent, on entend dire que c’est « l’accent neutre » ou « standard » du français. Pourtant, cette vision est simpliste et masque une réalité bien plus riche et complexe où se mêlent idéologie et mouvements migratoires. Découvrons ce que le « français parisien » cache réellement.
Historique
16e siècle : vers une centralisation parisienne de la langue
À la Renaissance, le besoin se fait sentir de centraliser et homogénéiser le royaume de France. L’époque voit la montée des nations modernes et le renouveau des idéaux impérialistes de l’Antiquité, voulant que la nation soit grande, forte et unie.
Ce climat favorise l’idée que certaines cultures, et donc certaines langues, sont supérieures à d’autres. Une idéologie plus conservatiste se met alors en place et choisit le parler de la capitale, le francien, comme langue-modèle pour l’ensemble du royaume.
L’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 et la fondation de l’Académie française en 1635 sont des jalons majeurs de cette centralisation de la langue, et qui font de Paris non seulement une capitale administrative, mais aussi linguistique et culturelle.
Le francien, langue de Paris ?
À cette époque, le francien est la variante de la langue d’oïl parlée à Paris et ses environs. C’est bien « la langue de Paris », au même titre d’ailleurs que chaque région du royaume a sa langue propre. L’objectif de l’État étant de répandre cette langue à travers le territoire et de supplanter les autres langues régionales, le francien va néanmoins peu à peu devenir la langue du pays entier : le français.
Il sera dès lors perçu comme « neutre », tandis que toute autre langue de France sera vue comme « déviante ». Encore aujourd’hui, l’Académie maintient l’idée d’un « français standard » ou « bon français » qu’on trouve dans le langage formel, la littérature ou les médias. C’est d’ailleurs pour cela qu’aujourd’hui encore, on dit souvent que Paris n’a « pas d’accent ». En réalité, c’est simplement que l’accent parisien est le repère.
19e et 20e siècles : révolution industrielle, exode rural et immigration
La révolution industrielle, c’est aussi l’exode rural : les populations se déplacent des campagnes vers les villes. Si cette transformation démographique concerne toutes les villes, la capitale en bénéficie d’autant plus que sa place politique et culturelle la rend attractive. C’est alors au tour du français parisien de subir une forte influence extérieure.
Ici, il devient important d’appuyer sur le fait qu’il existe deux grandes catégories de dialectes : les régiolectes appartiennent à des aires géographiques, tandis que les sociolectes appartiennent à des groupes sociaux. Les aspects géographiques et sociaux sont toujours en superposition.
Or les échanges soutenus entre les populations et les langues de France font que les frontières géographiques s’estompent de plus en plus : toute la France parle « français parisien », les variations régionales de la langue étant minimes comparées à l’avant-Renaissance. Si les enregistrements sonores du 20e siècle attestent bien d’accents utilisés par les parisiens de souche, ce « parisien géographique« est déjà moribond à l’époque, et peut-être totalement assimilé aujourd’hui. En revanche, le français parisien devient socialement diversifié.
21e siècle : Paris et la diversité sociale
La transition du « français parisien géographique » au « français parisien social » est cruciale, mais souvent négligée aujourd’hui. Quand on parle du « français parisien », souvent on veut en réalité parler du langage informel qui prospère actuellement dans les aires urbaines (notamment, mais pas seulement, à Paris), et qui bénéficie de plus de visibilité que jamais. Ce français est dit « des jeunes », « de banlieue », « de la rue », « des cités », « racaille »…
En termes linguistiques, c’est le français parisien multiculturel (FPM), qui est à l’image du Multicultural London English. Le FPM qui est grandement influencé par l’immigration et donc par l’arabe (selon l’INSEE, en 2008 au moins 20% des Parisiens sont étrangers, desquels 40% sont d’origine maghrébine).
Le FPM est notamment caractérisé par une nature plus consonantale (les voyelles étant souvent réduites), un rythme plus haché mais des intonations plus riches. Une étude a par exemple révélé qu’il peut fluctuer sur une portée de 5 à 9 demi-tons musicaux (40 à 75% d’une octave), tandis que le français non influencé par les locuteurs immigrants n’évolue typiquement que sur 2 à 3 demi-tons (15 à 25% d’une octave).
Paris comme passage obligé
La centralisation administrative et culturelle du pays à Paris fait qu’une particularité linguistique donnée a le plus de chances de s’y développer, de s’y propager, d’y être observée et étudiée. C’est donc à Paris, le creuset de la langue française, qu’on associe souvent les dernières innovations de la langue française.
Par exemple, la perte de distinction entre les sons <é> et <è>, le E prépausal et le changement des sons <ti di tu du> en <tchi dji tchu dju> seront souvent considérés comme des particularités du « français parisien » du fait qu’elles sont populaires, même si elles se produisent simultanément dans différentes régions et ne sont pas forcément majoritaires, ni forcément récentes… ni forcément d’origine parisienne. La capitale est en quelque sorte un « passage obligé » pour qu’une innovation, peu importe sa nature, soit considérée comme faisant partie de la langue française.
Paris contradictoire
On se rend compte ici que le « français parisien standard » (qui est dit « parisien » car c’est une institution parisienne qui l’a conçu à partir du régiolecte parisien sous l’impulsion d’un gouvernement situé à Paris) s’oppose plus que jamais au « parisien multiculturel », qui est majoritaire, cosmopolite et au cœur des innovations de la langue actuelle.
À noter que certaines particularités du « français parisien standard » ne sont, en réalité, pas utilisées à Paris. Le meilleur exemple en est sans doute la distinction des sons <in> /ɛ̃/ et <un> /œ̃/, qui est prescrite mais rare dans la capitale. Paradoxalement, elle est présente dans le Sud de la France et dans le reste de la francophonie (Suisse, Belgique, Canada…).
Conclusion : les trois « français parisiens » aujourd’hui
Paris a joué un rôle majeur dans l’unification socio-culturelle de la France. D’un autre côté, elle est au cœur de l’immigration récente. Pour ces raisons, le « français parisien » est pluriel, difficile à cerner, et parfois paradoxal. Dans les grandes lignes, on en distingue trois définitions.
Le « français parisien standard »
Aussi dit « français formel », c’est la variante conservatrice du français qui émane de l’Académie. Il est toujours vu comme le « bon français » ou « français correct », ce qui influe profondément sur la perception de la langue. En France, il est généralement employé pour tout usage « sérieux » (langage formel, littéraire ou médiatique). Au Canada, il est vu comme le « français scolaire », ce qui démontre l’emprise de l’idéologie linguistique française à l’étranger. Il n’est pas le reflet du français réellement parlé à Paris.
Le « français parisien multiculturel »
Diamétralement opposé au français standard, le français parisien multiculturel est le berceau des dernières innovations de la langue française grâce à la population plus jeune et très socialement diversifiée qui l’engendre. Cette variété progressiste est multiforme et variablement hétérogène, ce qui la rend floue et difficile à qualifier. Elle n’est pas limitée à Paris et s’étend généralement à toute aire urbaine – et donc, par extension, à tout le territoire.
Le « français parisien géographique »
Au siècle dernier, il existait encore un ensemble d’accents et de dialectes utilisés par des parisiens de souche. Ces accents sont aujourd’hui moribonds voire complètement assimilés. En parlant de « français parisien », on peut vouloir faire référence à ces dialectes. Plus rarement, on se réfère à leur ancêtre direct, le francien, langue qui a essaimé depuis la région parisienne à partir du 16e siècle quand l’état s’en est emparé, l’a standardisée et l’a imposée comme « la langue de France » en tant que « français ».
En somme, on parle tous un peu français parisien.
Sources
Merci à Pata et à Andy pour la relecture !
- Roberto Paternostro. Aspects phonétiques du ” français parisien multiculturel ” : innovation, créativité, métissage(s). Cahiers de l’AFLS, 2012, 17 (2), pp.32-54. ffhalshs-00699516ff
- Zsuzsanna Fagyal, Christine Moisset. Sound change and articulatory release: where and why are high vowels devoiced in Parisian French?, International Phonetic Association
- Mon post Reddit « Qu’est-ce que le « français parisien » ou « l’accent parisien » pour vous ? »