Quelques sons de beatbox en phonétique


Qu’est-ce que ça donne si on décrit les sons du beatbox en phonétique, et qu’on les écrit en alphabet phonétique international ?

SOMMAIRE

  1. La grosse caisse (kick)
  2. Le bongo drum
  3. Le charleston (hi hat)
  4. La percussive bilabiale (la bulle)
  5. Le hollow clop
  6. La sirène
  7. Le liproll
  8. Les basses
    1. Les basses gutturales
  9. Les P-snares
  10. Les rimshots et K-snares (caisse claire)
  11. Et tous les autres sons alors ?
  12. Sources

Dans mon article précédent, « Peut-on décrire le beatbox en phonétique ? », j’explique ce que la phonétique peut (et ne peut pas) faire avec le beatbox. Ici, je passe à la pratique, mais je vous conseille de le lire au préalable pour bien comprendre les implications de ces transcriptions. Je résume ici quelques choses importantes que j’explique en détails dans le premier article :

  1. la plupart des sons basiques sont des consonnes exotiques, mais des consonnes tout de même (notamment des consonnes éjectives) ;
  2. même si mes transcriptions sont approximativement justes, ce sont de simples propositions et elles sont largement sujettes à débat ;
  3. il existe en beatbox des sons phonologiquement impossibles (qui n’existent dans aucune langue) et des sons phonétiquement impossibles (qui ne pourraient exister dans aucune langue) ;
  4. pour contourner certaines limites de l’alphabet phonétique international (API), j’utilise des diacritiques qui affinent la transcription et je fais appel aux extensions de l’API ainsi qu’aux Voice Quality Symbols (VoQS) servant notamment en orthophonie.

J’ai classé les sons ci-dessous par ordre croissant de complexité. Plus on avance, plus on s’approche des limites de la phonétique, puis on les dépasse.


1.La grosse caisse (kick)

Le kick est un son essentiel du beatbox. Il s’agit d’une consonne occlusive bilabiale sourde éjective [pʼ], qui est attestée dans quelques langues telles que le géorgien, l’amharique ou certains dialectes arméniens. On peut préciser que le kick du beatbox utilise un arrondissement particulièrement fort des lèvres.

[pʷʼ]

2. Le bongo drum

Le bongo drum est une consonne occlusive injective uvulaire. Les consonnes injectives, comme les consonnes éjectives, utilisent un flux d’air glottal (ici produit par l’abaissement de la glotte plutôt que son élévation). C’est une consonne qui est presque phonologiquement impossible, mais elle est attestée dans une poignée de langues.

À ma connaissance, c’est le seul son du beatbox qui peut être transcrit avec un seul caractère de l’API standard, [ʛ], ce qui en fait un des plus simples à cet égard. La version de l’enregistrement ci-dessous est cependant sourde, ce qui se transcrit un peu différemment.

[ʛ̥]

3.Le charleston (hi hat)

Le charleston a une base qui ressemble à une consonne affriquée alvéolaire sourde éjective [t͡sʼ]. C’est aussi une consonne rare mais attestée dans les langues du monde. Selon la personne et les styles, la base du charleston en beatbox peut fluctuer entre [t͡s] et [t͡f].

On fait la différence entre le charleston fermé (avec une fricative ultracourte) et le charleston ouvert (où la fricative est allongée). Ces distinctions ne sont pas attestées phonologiquement.

[t̪͡fʼ]
[t̪͡fʼː]

4. La percussive bilabiale (la bulle)

La percussive bilabiale est un son phonologiquement impossible qu’on est toutefois nombreux à savoir produire spontanément. On peut la transcrire avec un seul caractère, mais celui-ci est tiré des extensions de l’API.

[ʬ]

5. Le hollow clop

Le hollow clop est une autre percussive, cette fois-ci sublinguale. Le plus souvent, on la réalise avec les lèvres arrondies, la mâchoire bien ouverte et le larynx abaissé pour rendre le son creux (hollow). Ces deux dernières particularités vont devoir être transcrites avec des VoQS, car elles dépassent du domaine de la phonétique.

[{L̞J̞ ¡ʷ}]

Elle peut aussi être précédée d’un clic alvéolaire.

[{L̞J̞ ǃ͡¡ʷ}]

6. La sirène

La sirène est un son qui est à la limite d’être phonétiquement impossible malgré sa relative facilité de production. Premièrement, il nécessite une voix de tête. Deuxièmement, sa base ressemble à celle du son [v] (la consonne fricative labio-dentale voisée), mais il faut y ajouter deux particularités qui sont difficiles à rendre correctement : un fort arrondissement des lèvres, et une constriction très précise des dents contre la lèvre inférieure. Sans être phonétiquement impossible, c’est donc un son qui a une particularité non phonétique et qui peut connaître de nombreuses variantes.

[{F v̞̹}]

7. Le liproll

Le liproll fait également partie des sons qui nécessitent une position très précise des organes phonateurs, ce que la phonétique ne peut pas les rendre parfaitement et qui implique de nombreuses versions différentes possibles. Il s’agit essentiellement d’une consonne roulée bilabiale sourde ingressive (on inspire en la produisant), avec la mâchoire décalée sur un côté et/ou abaissée.

[J̞J͔ ↓ʙ̥]

8. Les basses

La base de l’Alexinho bass est une consonne roulée uvulaire, qui peut être très arrondie pour un effet supplémentaire.

[{F ʀ}][{F ʀʷ}]

Un élément prépondérant de l’Alexinho bass (qu’on rend ici avec un VoQS), c’est la voix de tête qu’on utilise pour le produire. La transcription ci-dessus est la plus proche qu’on puisse concevoir. Mais même si elle paraît assez simple, l’API n’y suffit pas.


Le lip bass a pour base une consonne roulée bilabiale [ʙ], mais sourde, et avec les lèvres étirées latéralement, ce qu’on va transcrire avec un VoQS. On va ajouter un deuxième VoQS pour indiquer que la mâchoire est fermée.

La position particulière des lèvres permet ici une constriction moindre que s’il s’agissait d’une vraie consonne ; pour approximer ça, on peut ajouter un diacritique pour suggérer une consonne abaissée.

[{V͍J̝ ʙ̞̊}]

8.1 Les basses gutturales

Les basses gutturales comme l’Alexinho bass peuvent devenir extrêmement complexes, et sont quasiment un instrument à part entière. Il s’agit essentiellement de consonnes roulées épiglottales [ʜ] et leurs variantes, des sons très rares et controversés phonologiquement.

Il est difficile de les décrire en phonétique, et le beatbox rend l’entreprise impossible. Entre les variantes articulatoires, les divers types de voix utilisés et les différences de hauteur, les basses gutturales ont trop de potentiel pour être réduites sous forme d’exemples en API.


9. Les P-snares

Un PF-snare est constitué de [p͡fʼ] (une consonne affriquée labio-dentale sourde éjective), mais la version beatbox peut être accompagnée d’une rapide vibration des lèvres. C’est un son phonologiquement impossible.

Dans ce cas particulier, on peut approximer le tout comme une consonne affriquée bilabiale éjective immédiatement suivie d’une consonne roulée bilabiale éjective sourde relevée très arrondie :

[p͡fʼʙ̝̹̊ʼ]

Le spit snare a quant à lui une base en [pʼ] (consonne occlusive bilabiale sourde). Pour le reste, on va avoir besoin de deux VoQS : un pour l’avancement de la mâchoire, et un pour l’étirement latéral des lèvres. Il y a aussi une vibration des lèvres, similaire à celle du PF-snare – mis à part les différences déjà notées par les VoQS.

C’est donc une consonne occlusive bilabiale éjective avec avancement de la mâchoire et étirement latéral des lèvres suivie d’une consonne roulée bilabiale éjective sourde relevée ultrabrève. À mes souhaits.

Il s’agit d’un son phonologiquement impossible et c’est l’un des plus complexes qu’on puisse assez précisément transcrire en phonétique.

[{J̟V͍ pʼʙ̝̊̆ʼ}]

10. Les rimshots et K-snares (caisse claire)

Parmi les différents types de K-snares, il y a l’outward K, la caisse claire, qui peut être une simple consonne éjective. Souvent, elle n’est toutefois pas un « vrai K », autrement dit pas une consonne occlusive vélaire sourde [k]. Elle peut avoir pour base un son légèrement plus avancé (plus palatal) ou bien, à l’inverse, légèrement rétracté (plus uvulaire, comme ci-dessous), pour mieux rendre la résonance d’une caisse claire.

[k̠ʼ]

Ensuite, il y a les snares obtenus en ajoutant un chuintement. Ce dernier est une consonne fricative de nature variable intervenant avant ou après la base du son (si elle vient après, on parle de consonne affriquée). Pour le K-snare ci-dessous, on produit ce chuintement en recourbant la pointe de la langue plus ou moins haut, ce qui se traduit ci-dessous par une consonne fricative alvéolaire sourde abaissée.

[k̠͡s̞ʼ]

Ensuite, il y a l’inward rimshot et l’inward snare. Ils ont la même consonne pour base, mais le snare est quant à lui précédé – plutôt que suivi – d’une consonne fricative palatale latérale sourde rétractée.

Ces deux derniers sons peuvent être soit pulmonique soit non pulmonique (d’où la double transcription, respectivement, du rimshot et du snare ci-dessous). La version pulmonique permet d’inspirer en réalisant un son. Cela peut s’avérer utile quand on vient de passer quelques secondes de suite à réaliser des sons non pulmoniques comme des consonnes éjectives, nécessitant de retenir son souffle.

Version pulmoniqueVersion non pulmonique
Rimshot / base de l’inward KConsonne occlusive vélaire sourde aspirée ingressiveConsonne occlusive injective vélaire sourde aspirée
[↓kʰ ~ ɠ̥ʰ]
[↓ʎ̱̝̊kʰ ~ ↓ʎ̱̝̊ɠ̥ʰ]

11. Et tous les autres sons alors ?

Ni l’alphabet phonétique ni les VoQS n’ont été conçus pour transcrire les sons du beatbox. C’est un défi que j’ai relevé car il fait se rencontrer l’art et la science d’une manière qui me touche particulièrement. Néanmoins, il est important de comprendre les limitations que cela présente.

Je vous recommande encore une fois de lire mon article « Peut-on décrire le beatbox en phonétique ? » si ce n’est pas déjà fait : j’y explique les principes phonétiques du beatbox, la différence entre un son phonologiquement ou phonétiquement impossible, les contraintes que j’ai dû affronter pour faire ce billet, et pourquoi certains sons (comme les sifflements, la water drop ou les sons modulés) n’y figurent pas.

En attendant d’avoir à notre disposition un système de transcription pour le beatbox (quelque chose comme ça, peut-être ?), j’espère comme d’habitude que l’article vous aura intéressé et instruit !


12. Sources

Liste des vidéos visionnées pour l’écriture de cet article :

Merci à Slorany pour sa relecture, à Chris pour l’idée de sujet, et à DerTotschlager pour les enregistrements customisés !

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