Quel est le rôle de la vulgarisation depuis qu’elle se fait sur Internet, et est-elle vraiment une bonne chose ? Je donne mon avis de vulgarisateur.
Sommaire
La nature de la vulgarisation
La vulgarisation, ou popular science en anglais, consiste à simplifier un sujet dans un but pédagogique, afin de le rendre accessible et compréhensible sans avoir à passer par l’enseignement de la théorie. Pour Daniel Jacobi, on peut parler d’une ”traduction” de la science.
Souvent légitimée du fait qu’elle se dispense des terminologies spécialisées, elle est aussi beaucoup décriée parce qu’il lui arrive de passer par une schématisation confinant à la caricature – défaut qui n’est d’ailleurs pas forcément lié à son auteur.
Des scientifiques (parfois ceux-là même qui font de la vulgarisation) la dénoncent à l’occasion pour son manque de rigueur et la dénaturation qu’ils opèrent des termes techniques, et ils ont raison : il y a toujours, dans la connaissance vulgarisée, un effacement plus ou moins important de sa véracité profonde.
Vulgariser, c’est accepter de laisser un peu de son âme scientifique de côté pour pouvoir mieux la transmettre. C’est pour cela aussi que les vulgarisateurs sont rarement des experts et pas toujours des professionnels ; ce sont des passeurs de savoir, comme Jamy Gourmaud qui est, avec ses choix de mots et ses célèbres maquettes, le précurseur et la référence française en la matière.
Il ne faut toutefois pas perdre de vue qu’un scientifique qui communique, quel que soit le médium, devient par définition vulgarisateur. Ses publications pour le grand public, à l’instar de ses interventions publiques et à l’inverse de la littérature scientifique qu’il peut produire, sont de la vulgarisation professionnelle. Celle-ci existe, et la montée en grâce de la vulgarisation amateure ne doit pas éclipser son existence, qui fait ironiquement moins couler d’encre parce qu’elle suscite peu d’opposition. Elle souffre des mêmes penchants pour le raccourci, mais on l’en excuse facilement sans forcément s’en rendre compte.
Le chercheur-auteur est, par définition, un didacticien et un pédagogue : transmettre le savoir ne se dissocie pas de l’élaborer. […] Autrement dit, la vulgarisation scientifique […] est de l’ordre de la science même.
— Jean Peytard in Diffusion et vulgarisation: itinéraires du texte scientifique (op. cit.)
L’ironie de la vulgarisation amateure (puisque la distinction est cruciale et que je ne serais de toute manière pas apte à disserter sur la vulgarisation professionnelle, n’étant pas moi-même professionnel), c’est que des connaissances nécessitant de vraies qualifications sont transmises au grand public majoritairement (mais pas exclusivement) par des personnes qui en sont dépourvues ou presque. Cela la dote d’un lot de dilemmes conséquent :
- elle ampute la connaissance de tout ou partie de son contexte scientifique ;
- elle peut facilement être mal interprétée, détournée ou rejetée en bloc injustement ;
- elle peut participer à la propagation de fausses croyances (par exemple celle que la science est accessible à tous sans engagement particulier) ou de fake news ;
- il faut une certaine connaissance de base sur un sujet pour juger si un vulgarisateur est bon ou mauvais dans son domaine, ce qu’il ne démontre pas forcément lui-même.
En tant que vulgarisateur linguistique, j’ai été personnellement confronté à ces dilemmes et j’ai dû y trouver ma place. C’est fait depuis longtemps, alors je profite de parler de ce sujet pour m’expliquer en même temps.
→ Linguistique… coïncidence ? La linguiste Catherine Fuchs (citée dans Paraphrase et métalangage dans le dialogue de vulgarisation, op. cit.) a défini la vulgarisation comme un procédé métalinguistique à cause de sa nature périphrastique : en d’autres termes, la reformulation et l’adaptation opérées dans une tentative de préserver le sens technique constituent un phénomène langagier en soi.
Le rôle du vulgarisateur
Pourquoi existe-t-il ?
Quand on vulgarise, on sait que la plupart des experts sont généralement trop occupés (à faire des recherches utiles à l’avancée de l’humanité, par exemple) pour être vulgarisateurs eux-mêmes, alors on a tendance à choisir un niveau arbitraire entre les bases et l’expertise. On s’adresse ainsi à une audience intermédiaire, ni néophyte ni connaisseuse, sans savoir vraiment qui nous lit ni qui l’on touche. On prend un concept et on doit le ”transformer” sans le falsifier pour le rendre compréhensible et intéressant, sans garantie d’un résultat homogène, si tant est qu’il soit positif.
Ce sont des semi-experts comme moi, souvent autoproclamés et plus passionnés qu’érudits, qui se chargent de mettre en contact la science avec le reste du monde en cette époque où, pour le meilleur et pour le pire, on comprend à peu près comment tout marche sans pouvoir rien expliquer dans les détails. Notre vocation, dans ce contexte, est de préserver la connaissance comme l’assurance d’un monde qui pense avec les bons outils.
Le vulgarisateur, le milicien de la connaissance
Au XIᵉ siècle, les Sarrasins étaient pour les paysans anglais d’effrayants singes que beaucoup ignoraient pouvoir être chrétiens – ce qu’on peut découvrir dans le très solide roman historique Les Piliers de la Terre de Ken Follett. Aujourd’hui, cela nous fait rire : n’importe qui (du moins nous le semble-t-il) peut savoir n’importe quoi, en particulier à l’ère du numérique : comment produire de l’électricité, ce qu’est l’accusatif en latin…
La connaissance humaine globale n’a jamais été aussi grande. Toutefois, le gouffre n’a jamais été aussi large entre la somme des connaissances humaines et le savoir moyen d’un individu. On a tendance à négliger cela car les deux ont drastiquement augmenté ensemble ces derniers siècles. Nous sommes donc, sans le savoir, plus susceptibles que nos ancêtres d’avoir des croyances qui seront perçues comme ridicules à l’avenir.
L’enseignement occidental contemporain a doté l’individu d’une supériorité incontestable sur ses aïeux tout en se détachant en partie des élites, mais… pas une supériorité sur la science en soi. Et c’est là que le risque repose.
Il serait faux de croire que l’écart entre la connaissance globale et le savoir individuel est en passe d’être réduit. Pourtant l’idée menace de se répandre car l’enseignement engendre la primauté de l’être instruit et, partant, une forme d’arrogance ; l’idée qu’on fait forcément mieux que ceux qui ne ”savent pas” ; une idée renforcée par la médiatisation des sciences opérée depuis quelques décennies.
C’est là, à mon sens, que réside la place du vulgarisateur. Il doit combler l’espace qu’il y a entre l’enseignement (qui dégrossit la transmission de la connaissance sans créer forcément de spécialistes) et la connaissance vraie et applicable, détenue quant à elle par les spécialistes, tout en insistant sur le fait que comprendre une information vulgarisée constitue un élément de savoir mais non d’expertise, qui n’est surtout pas dispensée d’avoir à démontrer sa fiabilité.
L’individu instruit de notre époque peut être aussi bien l’érudit discret que l’ignare bruyant dont le tort est d’avoir mal appliqué la connaissance. À moins que son tort ne soit pas vraiment le sien : peut-être lui aura-t-on mal expliqué comment l’appliquer, par exemple (…si on le lui a expliqué).
La transmission de la connaissance devrait être proportionnelle à la connaissance elle-même. On en est loin. Cette dernière est corrélée à une multitude de bénéfices socio-politiques connus de longue date, pourtant nous n’avons pas encore trouvé le moyen de la faire passer efficacement d’une génération à l’autre.
À mon avis, le rôle de vulgarisateur se justifie pleinement dans le fait qu’il est celui qui apprend à apprendre. Un sujet vulgarisé avec succès n’est pas, comme on le croit parfois, un cours avorté : c’est un sujet fourni avec son contexte et son mode d’emploi, avec le processus de recherche remplacé par un processus ludique.
C’est pour cela que je me sens à ma place quand je m’essaye à la vulgarisation, surtout que je n’ai pas de proposition à faire pour rendre le système idéal. Alors, oui, la vulgarisation demeure un domaine non optimal qui doit faire appel à beaucoup de circonspection et de remise en cause de la part du spectateur / lecteur, ce dont il n’est pas forcément capable, surtout et justement parce qu’il est le ”client” idéal de la vulgarisation et que l’on ne l’informe pas forcément de ses devoirs – il est souvent autodidacte et le sens critique ne s’acquiert pas tout seul. Ce qui m’amène au chapitre suivant.
Le ”vulgarisé” a-t-il un rôle ?
Je pense que les responsabilités que l’on fait porter au vulgarisateur, sans être injustes, doivent en partie être déplacées sur celui qui la consomme (le ”vulgarisé”), mais sans servir à le stigmatiser, car il a lui aussi son rôle à jouer.
Il ne faut pas considérer que le consommateur de vulgarisation est un individu en manque d’implication, qu’il est forcément un cancre et un paresseux car il n’a pas la force de s’impliquer dans un processus d’enseignement pour se familiariser avec un concept donné. Parfois, des mots simples sont ce dont on a besoin pour comprendre une notion compliquée, ce qui peut être un gain de temps sans être un mal, même pour celui qui connaît déjà un peu son sujet. Mais il serait tout aussi faux de croire que le vulgarisé y est correctement réceptif de manière innée, tant au niveau de la masse que de l’individu.
La masse est en grande partie responsable des résultats mitigés de la vulgarisation. De bons vulgarisateurs parviennent à se faire reconnaître par elle pour leur expérience et leur fiabilité (ainsi des plateformes comme YouTube ou WordPress opposent-elles avantageusement la compétence à l’argument d’autorité), mais ils ont pour corollaire bon nombre de charlatans et de conspirationnistes qui, pour la première fois depuis des temps obscurantistes qu’on avait de bonnes raisons de croire révolus, rassemblent des foules, la plupart du temps virtuelles (donc anonymes et difficilement contrôlables par les vecteurs comme YouTube eux-mêmes), sous leurs arguments fallacieux, accessibles, alléchants, qui font souvent rêver et plongent autant de gens dans les limbes du sophisme, de l’autosuggestion et de la superstition que d’autres s’élèvent dans les sphères du scepticisme, de la remise en question et de la zététique.
C’est ainsi que cohabitent sur YouTube des passeurs de savoir consciencieux et passionnés comme AstronoGeek, Kurzgesagt ou VSauce avec de nombreuses chaînes conspirationnistes et sensationnalistes peu inquiétées de propager des idées fausses.
Quant à l’individu, il faut l’éduquer à la vulgarisation, du moins dans la forme qu’elle a pris avec Internet. Il faut lui faire prendre conscience de l’égalité des chances magnifique qu’Internet permet, mais aussi de ses revers.
Il n’a jamais été aussi important, sur Internet, de faire preuve de prudence et de discernement, mais il n’a également jamais été aussi facile de sombrer dans la fausse croyance que ce n’est pas nécessaire. Aussi, c’est un devoir que de sensibiliser les gens à l’importance de la source ou de la méthode scientifique qui sont les gages d’une connaissance juste, surtout quand les mêmes plateformes qui offrent gratuitement de s’en approcher proposent aussi du contenu pernicieux dont les satisfactions très simples rendent peu appétissante l’éventualité d’accéder à une vérité parfois décevante par l’entremise d’un processus possiblement long et compliqué de réflexion, de déduction et de remise en cause continues.
Sur Internet, il est devenu plus plaisant de croire que de savoir.
Une utopie ?
Son échec
Imaginez si vous aviez dit aux Européens de 1910 que, à peine un siècle plus tard, leurs descendants pourraient avoir accès instantanément à la réponse à n’importe quelle question grâce à un petit objet dans leur poche. On ne vous aurait pas cru, ou bien on vous aurait traité de rêveur ou d’utopiste, louant peut-être au passage votre imagination ; les moins vifs de vos interlocuteurs se seraient mis à rêver à leur tour de la génération d’érudits que ce miracle promettrait ! Vous imaginez ? Toutes les connaissances du monde dans sa poche ! À coup sûr, nous verrions émerger une population éclairée, juste, férue de philosophie, traitant sans cesse avec calme et raison de questions techniques et spirituelles pointues.
Cette utopie, on est censé vivre dedans dans les pays les plus développés, notamment depuis l’explosion (positive) d’Internet et des smartphones. J’ai commencé d’écrire cet article dans les derniers jours de la décennie 2010-2019, celle où ce rêve a commencé. Et qu’y voit-on ? Entre autres, un accès de plus en plus biaisé, égoïste et auto-satisfaisant à la science et à la connaissance.
Dans ce contexte, est-il si grave que les vecteurs du savoir soient des personnes sans qualifications ? Ceux qui n’ont pas de vraies connaissances parviennent à leurs fins tout de même. C’est le principe de la liberté d’Internet appliquée à son éclectisme : n’importe qui peut accéder à la visibilité, qu’il soit rigoureux et investi des meilleures intentions, ou un arriviste peu scrupuleux. De la même manière, tous les contenus frauduleux ne sont pas filtrés, et d’autres qui ne le sont pas se trouvent censurés.
La forme imprécise de la vulgarisation n’a d’ailleurs pas attendu Internet pour être soulevée, puisqu’on lit en 1986 :
Le discours de [vulgarisation scientifique] ne possède pas de définition stable et reconnue : il est pluriel.
— Daniel Jacobi in Diffusion et vulgarisation: itinéraires du texte scientifique (op. cit.)
Benjamin Brillaud, lui-même vulgarisateur non qualifié en Histoire, qui fait appel à des professionnels pour garantir sa fiabilité, a eu ces phrases magnifiques (c’est un peu hors-contexte mais je vous mets la vidéo dessous – c’est à 05:43).
[…] [L]es journalistes et [l]es YouTubeurs doivent comprendre que l’Histoire n’est pas juste une affaire de goût, mais une science exigeant de sérieuses connaissances et un esprit critique, ce qui n’implique pas d’ailleurs nécessairement des diplômes universitaires. En fait, pour s’y frotter, comme pour n’importe quelle science, il faut soit un minimum de formation, soit bien solliciter l’avis de gens compétents. Rien n’interdit de se forger sa propre opinion par la suite, bien évidemment, mais une opinion informée, c’est quand même mieux qu’un tas de bullshit qui est rapidement servi et consommé.
Lui parle d’Histoire, mais je peux y substituer la linguistique (mon domaine) avec d’autant plus d’à-propos que les deux sont souvent mal interprétés par le grand public, du fait qu’il se sent personnellement concerné par eux (on a tous une histoire et une langue) et se croit par conséquent naturellement apte à en discuter de manière pointue.
Lui parle de YouTubeurs : je peux y substituer les blogueurs. Je suis un média, et moi, en tant qu’auteur et tout comme lui pour l’Histoire, je n’ai pas de qualifications en linguistique. Ma défense ? Comme Wikipédia : la source. Je ne requiers pas les services de professionnels directement, mais je me documente dans la littérature scientifique quand je ne parle pas d’un domaine auquel ma passion suffit – ce qui, techniquement, n’est jamais le cas à moins que j’exprime strictement mon opinion comme dans ce billet qui a valeur de manifeste.
J’ajouterais que le diplôme, s’il est l’assurance de certaines capacités (voire de capacités certaines), n’est pas l’assurance que ces dernières seront dispensées avec passion. Le vulgarisateur peut agir pour ses intérêts et il y est parfois poussé (on peut en vivre, après tout), mais comme je l’ai dit, il est bien plus souvent passionné qu’opportuniste, et ne perce généralement que par l’effet d’une reconnaissance fortuite.
Les vraies responsabilités
La responsabilité du vulgarisé repose, on l’a dit, sur sa circonspection et son aptitude à différencier un contenu rigoureux d’un contenu sensationnaliste. Du côté des vulgarisateurs, nous ne devons pas tenir cette attitude pour acquise, ni laisser croire à notre audience que nous sommes fiables sous prétexte que nous sommes influenceurs.
Ce terme d’ ”influenceur” porte d’ailleurs un caractère péjoratif intrinsèque qui doit, je pense, être préservé, car on devrait d’autant plus se méfier d’une information qu’elle émane de quelqu’un d’influent ; on sera en effet nécessairement tenté de suivre la foule de ses adeptes en considérant qu’ils sont à eux seuls un gage de la qualité du contenu, ce qu’on sait être un biais dangereux.
Pour éliminer ce biais, le vulgarisateur peut se donner pour idéal (évoqué par Marie-Françoise Mortureux [op. cit.] avec moins de parti pris !) de savoir expliciter le métalangage vulgarisateur, c’est-à-dire de mettre en évidence, dans son contenu vulgarisé, les procédés mêmes qui permettent la transformation par lui d’une connaissance technique en une connaissance abordable par le grand public.
Il est aisé, au niveau individuel, d’être l’influenceur d’un autre, et il est plus facile de le faire avec une information croustillante et putaclic que vraie et fiable. On peut sans difficulté passer pour cultivé sans être fiable aux yeux d’une personne qui jugera inutile (voire arrogant à votre égard !) de faire des recherches afin de s’assurer de la véracité de ce que vous lui dites. Des gens en profitent, ce qui est grave, mais on le fait tous à notre échelle, sans forcément s’en rendre compte.
On est en train de perdre foi en la vérité pour nous faire rêver. Les vulgarisateurs ont pour tâche de remettre les faits en grâce, et les meilleurs sont ceux qui vendent du rêve tout en y parvenant.
Ne pas faire de la liberté un vice
Internet doit rester un monde de liberté, mais ses habitants ne doivent pas s’habituer au confort de la croyance. La vérité est là, à portée de main, et de même qu’une alimentation équilibrée et une activité physique régulière maintiennent le corps en bonne santé, le cerveau nécessite un régime sain et des efforts occasionnels pour vous bien servir.
Le but de la vulgarisation, c’est aussi cela : sensibiliser l’esprit d’autrui aux bienfaits de la connaissance et de son usage lucide. J’irais jusqu’à dire que ce n’est pas important si la vulgarisation n’est pas très fiable (c’est forcément le cas de travaux plus ou moins amateurs) du moment que cet esprit est préservé par de bonnes intentions et le principe naturel de la sagesse des foules.
Si vous y réfléchissez bien, Wikipédia est exactement cela : un compendium de travaux amateurs, sans autre garantie de fiabilité que des sources qui peuvent être absentes, biaisées, fausses ou mal interprétées. Pourtant, ce qui en ressort est majoritairement juste, et les torts causés par Wikipédia (et la vulgarisation) peuvent être imputés dans de nombreux cas à son interprétateur, qui ne se sera pas assez bien assuré de la fiabilité des sources, aura mal compris ou mal interprété. Ce qui, encore une fois, ne doit pas être stigmatisé ni considéré comme une faille du système ; cela nous arrive à tous et nous avons tous le pouvoir de pallier l’ignorance !
→ Voir aussi mon article Pourquoi YouTube ne peut pas servir de source à Wikipédia.
Conclusion
En résumé, quel est le rôle du vulgarisateur ?
- De construire une passerelle entre la connaissance applicable délaissée par l’enseignement et l’individu intéressé ;
- de trouver une manière pédagogique d’expliquer quelque chose de manière efficace et intéressante sans bâcler ;
- de sensibiliser aux bienfaits de la connaissance ;
- d’assister l’autodidaxie ;
- de lutter contre la stigmatisation de l’ignorance.
La vulgarisation présente aussi des risques :
- d’être mal transmise ou mal interprétée ;
- de manquer de contexte ;
- d’être peu rigoureuse ou biaisée ;
- d’être totalement trompeuse, à dessein ou non ;
- de bénéficier d’une reconnaissance fortuite imméritée.
Le vulgarisateur a donc des responsabilités :
- celle de fournir des informations justes et vérifiables et d’informer qu’il est de son devoir de le faire ;
- celle de se présenter pour ce qu’il est (donc pas forcément un spécialiste) ;
- celle d’informer le spectateur / lecteur des bienfaits de la méthode scientifique et du scepticisme ;
- celle de ne pas laisser croire qu’un enseignement démocratisé qui donne des connaissances donne des compétences ;
- celle d’informer le spectateur / lecteur des biais entourant l’activité de vulgarisateur, notamment la reconnaissance fortuite (d’un blog ou d’une chaîne YouTube par exemple) ;
- celle de faire comprendre que la vérité peut être aussi fascinante que des informations sensationnalistes de moindre fiabilité générale ;
- celle d’informer le spectateur / lecteur qu’il a lui-même pour responsabilité de promouvoir les vulgarisateurs qui appliquent tous ces principes et de boycotter les opportunistes nocifs qui ne le font pas, préférant profiter de leur influence pour tromper leur audience à des fins mercantiles.
À l’ère d’Internet, on se détourne en partie de la vulgarisation professionnelle, voire on perd foi en elle. Cela nous vient d’une génération de vulgarisateurs amateurs qui sont beaucoup plus nombreux et parfois tout aussi performants, mais parfois aussi néfastes.
On a appris à se ”méfier” de la vulgarisation sous le prétexte que c’est de la science déformée, mais nous ne plaçons pas les responsabilités où cela est nécessaire. Il faut faire la distinction entre vulgarisation professionnelle et amateure, puis apprendre à trier le bon grain de l’ivraie parmi cette dernière. Alors seulement serons-nous capables de lutter contre une vulgarisation réellement mauvaise et de considérer la vulgarisation en général comme bénéfique à la société de nos jours. Il est en effet primordial de ne jamais rejeter les vecteurs de savoir même si l’on trouve, à raison, qu’ils se multiplient actuellement trop vite et présentent trop de dérives malencontreuses.
La vulgarisation ne consiste malheureusement pas toujours en des travaux fiables et réfléchis, au point que certains sont indéniablement dangereux ; ce n’est pas moi qui vais y changer quelque chose d’un coup de billet magique. Mais la magie peut venir de chacun d’entre nous : vulgarisateurs, lecteurs, simples rêveurs : l’utopie est partout, ce qui, en soi, est déjà une utopie. Alors allons la chercher.
Pour aller plus loin
- Daniel Jacobi, Diffusion et vulgarisation: itinéraires du texte scientifique,
Presses Univ. Franche-Comté, 1986. Google Books. (Cet ouvrage seul aurait pu doubler la taille de mon billet ; je laisse le soin aux curieux de le parcourir mieux que moi) - Marie-Françoise Mortureux, Paraphrase et métalangage dans le dialogue de vulgarisation, Langue Française, no. 53, 1982, pp. 48–61. JSTOR.
- Baudouin Jurdant, Vulgarisation scientifique et idéologie. IEEE Journal on Selected Areas in Communications, Institute of Electrical and Electronics Engineers, 1969, 14, pp. 150-161. ffhal-01744896ff.
- Le site du magazine Popular Science.
Illustration loupe : macrovector via Freepik
Un article très intéressent et permettant à chacun (dont moi) de toujours se questionner sur son activité de vulgarisateur comme disent certains ! Merci pour le partage !
Ça me fait plaisir, merciiii. <3
Merci à vous surtout ^^
«Trouver une manière pédagogique d’expliquer quelque chose de manière efficace et intéressante sans bâcler»
Ben, tu as tout résumé. C’est un entre-deux permanent; ne pas trop vulgariser (pour ne pas faire de simplisme) mais ne pas être trop pointu non plus pour ne pas perdre le public.
Énormément de vulgarisateurs ont juste le niveau Wikipédia – ce qui n’est pas un mal en soi, pour débuter dans un sujet c’est même l’idéal. Pour le creuser, c’est un peu plus problématique. Le vulgarisateur a donc un rôle essentiel: proposer une biblio, et dire aux gens d’aller lire. Sachant qu’une bonne introduction à l’Histoire de la Mésopotamie ou à la philosophie indienne, c’est du minimum 800 pages. Pour les sciences dures, je n’ose même pas imaginer^^ Faire les choses sérieusement demande du temps et de l’investissement.
Mais plus grand souci, à mon sens, c’est l’absence de méthodo (de tous les côtés, je n’accuse pas que le public). Savoir contextualiser, analyser, mettre en perspective avec un esprit critique, comme tu le dis. C’est encore là une histoire d’équilibre: la fantaisie dogmatique et le pseudo-scepticisme étriqué ont en commun la mauvaise foi et le débat stérile. Des gens gavés d’infos sans aucune méthodologie se retrouvent vite à croire que ce sont les Atlantes/les aliens qui ont bâti la pyramide de Khéops, ou à faire du récentisme (exemples que j’ai souvent croisés…)
Et moi, j’arrive à trouver cet équilibre ? :þ
C’est vrai que le vulgarisateur ne transmet pas de méthodologie, mais il doit en avoir une lui-même (chercher les sources, touça). Finalement, il se tient relativement éloigné du goufre du ”the more you know”… du moins comparé au scientifique.
Tu lis des livres, tu argumentes et tu donnes une biblio, ça te place déjà dans le top tier de ce qui se fait sur le Net !
Justement, je regrette que la méthodo ne soit pas plus enseignée. Donne un poisson à un homme, il mangera une fois, apprends-lui à pêcher, il mangera toute sa vie, tu vois ce que je veux dire ?
Owi ! \o/
Yes, je comprends ce que tu dis. Une partie de la vulgarisation est vouée à être mal utilisée, mais je pense que ça vaut le coup quand tu vois les foules que tu peux aider sur des points précis, ou les gens de qui tu peux mettre le pied à l’étrier. C’est pour ça que j’insiste à dire que la vulgarisation doit prôner la science et pas s’arrêter sur ses schémas. Et c’est chaud quand on ne veut pas soûler. Surtout sur un blog. ^^
DEROY, Louis. Chapitre IV (p.67-110). Diversité des éléments empruntables In : L’Emprunt linguistique [en ligne]. Liége : Presses universitaires de Liège, 1956 (généré le 12 février 2020). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782821828728. DOI : 10.4000/books.pulg.678.
Pour tout ce que je t’ai dit
La stat se base elle-même sur HAUGEN Einar (1950), The Analysis of Linguistic Borrowing, in: Language, New-York: Linguistic Society of America 26, p.224, tu pourras la revérifier dans l’article ci-dessus^^
(mince, me suis trompé d’article, bon tu auras compris que ça rejoignait notre petite discussion sur l’anglo-normand^^)
Ah oui, au pire copie et je fais le ménage derrière.
Merci !