L’idée de poèmes phonétiques me taraude depuis un moment ; il y a deux jours, j’ai promis que j’écrirais un poème pour les enrhubés – pardon, les enrhumés. Alors voilà, j’ai oulipé. Le poème s’autodécrit mais j’ai laissé des explications en-dessous.
Crédit illustration : « Soggy Nose », par LeeshaHannigan
Poèbe lipograbbe
La faillite à produire les bruits de quelque texte
Est le tracas des bègues et des piètres lecteurs
Des foules pour lesquelles il est fait assez de gestes
À l’opposé d’autres avec leurs plus faibles douleurs
Je parle des grippés, de ceux de qui, sic,
L’orifice au cœur de la face est bouché
Or ils souffrent aussi de ce que l’acoustique
De leur dialecte est alors irrespecté
L’Oulipo rejette les suppliques attristées
Par la poésie pas parlable de ces vers égoïstes
Perec y eut vu de quoi s’éclater
À traiter sa prose de sorte qu’elle se risque
À faire s’évertuer, sévères,
À faire ses vers tuer ces vers.
C’est pourquoi ce jour, je propose ces vers
Dépourvus des bruits produits avec le pif
Du vocabulaire gaulois, quoiqu’il d’eux soit riche :
Le défi achevé que le tout fut libre de leurs travers
Zéro des deux allitératives, pas plus que des quatre voyelles
Qui veulent que l’air pour les produire passe par la truffe
Et qui établissent pour beaucoup le dialecte d’oïl
Pourraient avoir droit de cité sous ces strophes tartuffes
Il s’agit donc d’un lipogramme phonétique (lipophonème ?) dépourvu des sons nasaux du français, à savoir : les consonnes /m,n/ et les voyelles /ɛ̃,œ̃,ɔ̃,ɑ̃/ (in, un, on, an), de sorte qu’il peut être prononcé avec un nez bouché sans devoir provoquer de rires ou de confusions. La lettre <n> se retrouve puisqu’elle est parfois muette, mais le poème est un parfait lipogramme en <m>.
J’ai écrit le texte en une quinzaine de minutes, avec un peu de mal pour les rimes de la dernière strophe. J’ai fait énormément de retouches par la suite, ce qui m’a pris une demi-heure supplémentaire.
Je n’avais jamais fait de poème d’inspiration oulipienne, et je constate que l’expérimentalité prend le pas sur à peu près tout. J’agite actuellement un mouchoir blanc (déjà utilisé, puisque → grippe) à l’adresse de mon style qui se fait la malle. Mais c’était drôle à écrire ; j’espère que c’est drôle à lire. Les lipogrammes sont souvent décevants.
Surprenant et amusant !
Expérience réussie, alors !
Pour sûr il fallait oser. Merci le courageux grippé d’avoir essayé. Merci pour la petite leçon de linguistique. Tout se prononce sans un hoquet… oulipresque.
Du moment que ça ne fait pas souffler du nez, ça va !