canicule (f.) \ka.ni.kyl\ : période de grande chaleur.
On connaît tous ce mot, et comme chaque mot, on l’utilise sans vraiment y penser. Mais qu’est-ce qui se cache vraiment derrière ? La réponse : une expression, de l’astronomie, un calque.
Voyageons dans le temps
Aujourd’hui, « canicule » se retrouve dans toutes les grandes langues romanes : canicola en italien, canícula en espagnol et en portugais, caniculă en roumain. L’anglais l’a emprunté (canicule) ainsi que le polonais (kanikuła).
De là, on peut effectivement remonter au terme latin canicula, dont le sens va vous étonner : de canis (chien) et -cula (suffixe diminutif féminin)… Littéralement « petite chienne » ! L’expression latine complète pour cette période si chaude de l’année était diēs caniculārēs (les jours des petites chiennes).
Le terme canicula avait alors différents sens que le mot français « chien » couvre tous : une petite chienne, une roussette (en français, « chien de mer » désigne un petit requin), une femme hargneuse (une « chienne ») ou encore l’étoile Sirius.
Et c’est à ce dernier sens qu’on va s’intéresser. Mais il faut digresser car le latin n’a fait qu’emprunter cette expression à une expression grecque de même sens : κυνάδες ἡμέραι (kunádes hēmérai). En effet, dans la tradition homérique, Κῠ́ων (Kúōn, le chien) désignait celui d’Orion, un chasseur mythologique. En leur donnant place dans le ciel, le célèbre auteur a fait d’Orion une constellation et de son chien une étoile. Cette étoile, on l’appelle Sirius.
Notez que Sirius, ou Kúōn, n’a jamais fait partie de la constellation d’Orion ; après tout, il s’agissait d’un chien et de son maître, ils étaient distincts. Mais aujourd’hui, comme pour ajouter à la confusion, elle fait partie de la constellation… du Grand Chien. Voyez la carte ci-contre.
Si Sirius est associée à la canicule des civilisations antiques, c’est grâce à la coïncidence du lever héliaque (← Wikipédia pour approfondir) de l’étoile avec les premiers évènements d’un été très chaud. D’autres coïncidences (le débordement du Nil à cette période en Égypte par exemple) ont conduit à la connotation péjorative des « jours des petites chiennes » qui en latin étaient non seulement les jours les plus chauds, mais aussi – paraît-il – les moins chanceux et ceux où la santé était la plus mauvaise.
Précisions astronomiques
Dans le monde latin, l’association de Sirius aux phénomènes caniculaires était aidée par une curieuse coïncidence : l’ascension de Sirius se produit tous les 365,25 jours, (presque) exactement. Cela correspondait à une période d’un an dans le calendrier julien utilisé par les Romains (365,25 jours), alimentant la croyance que les deux évènements étaient liés.
Néanmoins, ce cycle ne correspond pas à une année du calendrier grégorien (365,2425 jours*). Ainsi l’ascension de Sirius, très précise avec un calendrier qui ne l’était pas, est devenue très aléatoire avec le calendrier de Grégoire XXI, « donnant » le début de la canicule à des dates diverses entre le 3 juillet et le 15 août. Dans la liturgie britannique du XVIème siècle, on trouve que l’ascension en question donne la fin du phénomène et non plus son début.
* Une année astronomique dure en fait 365,2421898 jours. Le reste d’imprécision du calendrier grégorien (qu’on utilise encore de nos jours) est corrigé par les années bissextiles ou leur omission tous les centenaires. Cela laisse une imprécision si infime qu’on n’aura pas à s’en soucier avant des millénaires.
La canicule est un magnifique exemple de calque. En étymologie, un calque est un type d’emprunt lexical : c’est un mot ou une expression traduit littéralement d’une langue à l’autre, comme « marché aux puces » → flea market.
Le grec ancien κυνάδες ἡμέραι est devenu diēs caniculārēs… mais ce n’est pas tout ! Dans les langues romanes, on n’a pas calqué le latin puisqu’on a seulement pris le mot canicula, un morceau de la locution entière. Mais les langues germaniques, quant à elles, ont bel et bien calqué diēs caniculārēs, d’où les dog days anglais, les Hundstage allemands, les hundedage danois ou encore les hondsdagen néerlandais.
Curieusement, le grec moderne, qui aurait pu moderniser κυνάδες ἡμέραι (kunádes hēmérai) en ημέρες κυνών (iméres kunón), a préféré adopter le mot καύσωνας (káfsonas), dérivé du verbe καίω (kaío), « brûler »…
Alors que ce maudit « Blue Monday » ce 3ème lundi de janvier, supposé être le jour le plus déprimant de l’année, tire à sa fin, voilà que j’en apprends une bien bonne sur l’origine du mot « canicule » moi qui habite une région si peu encline à ces chaleurs accablantes, une région si étrangère aux feux ardents de la canicule !
Moi qui suis né un 23 juillet, c’est super, ça coïncide avec l’époque de l’année à laquelle le Soleil et Sirius se lèvent en même temps [du 24 juillet au 24 août] et donc, j’en déduis que le Destin qui régit l’Univers veillait sans doute à tisser mes jours et mes années de la manière la plus favorable possible !
Ceci dit, je m’interroge sur l’origine de cette expression « Février le froidureux » j’attends le résultat de vos recherches.
Cordialement.
En tant que non spécialiste, je dois faire confiance aux sources, et elles ne m’apportent pas « quoiconque » qui ne soit indéchiffrable pour le tout-venant : l’adjectif « froidureux » est bien entendu apparenté au froid ; on y a ajouté un suffixe, puis la plume de Clément Marot, un père de la poésie française moderne, en a ajouté un autre au XVIème siècle : « L’an vingt et sept, fevrier le froidureux »…
L’adjectif ainsi créé ne paraît pas avoir été des plus dociles puisqu’il a voulu dire à la fois : qui craint le froid, qui l’aime ou qui l’amène. J’en parle au passé car il a été synonymisé avec « frileux », et voilà en tout cas un mot dont personne parmi ceux qui le comprendront ne dira qu’il n’est archaïque.
Au hasard de mes recherches, je découvre d’ailleurs que le poëte (ainsi qu’on l’orthographiait jadis) a apparemment utilisé le terme de « canicule » en accompagnement de sa chère froidure. Deviné-je là la source de ta/votre question ?
Amicalement,
Ywan
Je ne saurais être plus satisfait de la réponse, moi qui suis friand de mots rares (voire désuets) et poétiques.
J’essaie régulièrement d’en caser dans mes publications, j’ai d’ailleurs une liste :
le parhélie ; hyalin ; flavescent ; le petrichor ; caligineux (par exemple)
Merci pour ce bel enrichissement culturel, j’apprécie.
Cordialement.
[…] comme le mot « canicule » auquel j’avais dédié le premier article de ce format, le mot « licorne » arrive en latin par un calque du grec ancien. Un calque est une traduction […]