En français, on a un ”H aspiré”… qu’on n’aspire pas du tout. Pourquoi a-t-il ce nom et pourquoi est-ce important de le connaître ?
Un H aspiré, un vrai, c’est le son de la lettre H en anglais, représenté par /h/ en phonétique. Son vrai nom, c’est la consonne fricative glottale sourde et c’est un son très répandu dans les langues du monde. Le français ne l’utilise pas, sauf dans quelques interjections comme ”ha !” ou ”hop !”, et dans la région de Liège.
Quand on parle de H aspiré en français, on pense aux mots commençant par la lettre H qui ne peuvent pas être précédés d’une élision ou d’une liaison : le Hollandais, le hublot, et non l’Hollandais ou l’hublot ni les z’Hollandais ou les z’hublots. À l’inverse, les mots commençant par un H muet le peuvent : l’herbe, l’hérésie, les z’herbes, les z’hérésies, et non la herbe ou la hérésie. Mais… pourquoi ?
Comme souvent, il faut questionner l’Histoire pour comprendre les choses. Et la question qu’on peut lui poser pour commencer, c’est : pourquoi le français utilise-t-il la lettre H puisqu’elle n’est jamais prononcée, sauf dans <ch> ?
Le français utilise ce qu’on appelle une orthographe étymologique : une orthographe obsolète qui est le reflet d’une ancienne prononciation de la langue. Le latin avait la lettre H prononcée /h/, qui a disparu à l’oral presque partout chez ses descendants, quoique pas souvent à l’écrit.
- Latin : ”horribilis” /horibilis/ ;
- → français : ”horrible” /ɔʁibl/ (H écrit mais pas prononcé) ;
- → espagnol : ”horrible” /orible/ (H écrit mais pas prononcé) ;
- → italien : ”orribile” /oribile/ (H pas écrit et pas prononcé) ;
- → roumain : ”oribil” /oribil/ (H pas écrit et pas prononcé) ;
- → anglais (mot emprunté au vieux français) : ”horrible” /hɒɹɪbəl/ (H écrit et prononcé).
* La lettre H, muette, n’était pas écrite en vieux français mais elle a été réintroduite ensuite pour rappeler l’origine latine du français. Ainsi, ”herbe” et ”hôtel” s’écrivaient ”erbe” et ”ostel”.
Ici, on ne s’intéressera qu’au H français qui était conservé depuis le H latin. Le son latin /h/ a connu une histoire plus mouvementée que je ne vais le dire, car il est parfois réapparu :
- par la transformation d’autres sons (d’où l’espagnol ”hierro”, ”fer”, prononcé /ʝero/ aujourd’hui mais /hjero/ en moyen espagnol, où le H vient en fait d’un F : ”fierro” /fjero/ en vieil espagnol, ”ferrum” /ferum/ en latin) ;
- dans les emprunts (c’est ainsi que le son /h/ existe en roumain, comme dans ”hotar” /hotar/, ”frontière”, emprunté au hongrois ”határ” /hɒtaːr/).
Le H est donc devenu muet, et même très tôt, puisqu’il avait déjà disparu quand l’ancien français a émergé du latin populaire au VIIIème siècle ¹. Entretemps, on a aussi transformé les pronoms démonstratifs du latin en articles définis (inexistants en latin), c’est-à-dire que le latin ”ille horror”, ”cette horreur”, est devenu ”la horror” en vieux français*, prononcé /la ɔrɔr/.
* En fait, l’article défini ”la” vient du latin ”illa” ; c’est ”le” qui vient de ”ille”, mais le mot ”horror” était masculin en latin.
D’autres phénomènes, moins importants dans les autres langues romanes, sont venus jouer un rôle dans le français : la liaison et l’élision. À cause de cette dernière, les articles définis (entre autres) ont été tronqués devant une voyelle, et ”la horror” est devenu ”l’horror” /l‿ɔrɔr/, plus tard ”l’horreur” /l‿ɔʁœʁ/.
L’histoire se serait arrêtée là si le son /h/ n’était pas revenu en français ! En effet, la langue d’oïl était en contact direct avec des peuples germaniques, notamment les Francs, qui utilisaient le son /h/ tout comme les langues germaniques aujourd’hui. Qui dit contact entre les langues dit emprunts : le mot ”helm”, par exemple, qu’on trouve dans plusieurs vieilles langues germaniques comme le vieil anglais ou le francique et qui signifie ”casque”, a été emprunté en vieux français sous la forme ”helme” qui est devenue ”heaume” (le diminutif ”helmet” en vieux français a ensuite été emprunté par l’anglais).
Quand ”helm” a été emprunté en français, on a gardé la prononciation du H, ainsi que pour tous les autres emprunts germaniques impliquant ce son. Cela signifie qu’il y a eu une époque où le H hérité du latin était muet et où celui qui venait des langues germaniques était préservé. On pouvait donc avoir ”le helme horrible” prononcé /lə hɛɫmə oriblə/. Ce cas particulier n’était peut-être pas exact mais le phénomène est vrai. Que remarque-t-on ? Un H prononcé, l’autre non : un H aspiré et un H muet !
C’est donc là l’origine du terme de ”H aspiré”, mais pourquoi est-ce toujours important en français ? En effet, le H germanique est, finalement, lui aussi devenu muet, et l’on pourrait croire qu’il n’a plus aucun sens en français d’aujourd’hui. Oui, mais…
Du temps où le H germanique était encore prononcé, il a bloqué l’élision et la liaison. En effet, elles n’étaient possibles que devant une voyelle, or /h/ est une consonne. En ancien français, on disait donc ”l’horror” avec le H muet mais ”le helme” avec le H prononcé. Quand le H germanique est devenu muet à son tour (entre le XVIIème et le XVIIIème siècle), l’élision et la liaison ne se sont pas produites de nouveau, alors elles ne sont restées vraies que dans les cas des H déjà muets qui étaient hérités du latin.
C’est ainsi que, même si le H n’est jamais prononcé en français contemporain, il est important de connaître son histoire afin d’expliquer un comportement qui paraît aberrant à première vue. Comme quoi il faut toujours expliquer le pourquoi des choses, et pas seulement le comment !
→ C’est un peu la même chose quand les anglophones parlent d’un ”A long” qui n’est pas du tout un A long puisqu’il est prononcé /eɪ̯/ comme dans ”game” /geɪ̯m/, par opposition au ”A court” comme dans ”cat” /kæt/.
C’était en fait un véritable A long /aː/ en vieil anglais (”game” → /gaːmə/), par opposition à un vrai A court /a/, avec ”cat” /kat/.
Pour aller plus loin
J’espère avoir satisfait les confus, mais les curieux, restez là, j’ai encore deux mots à vous dire : ”haricot” et ”haut”.
Le mot ”haricot”, en ancien français, désignait un ragoût. Il venait du verbe ”harigoter” signifiant ”découper”, du francique ”hariōn”. C’était donc un H germanique. Mais le sens commun du mot ”haricot” aujourd’hui (ce truc vert et pas bon) vient d’ailleurs, et de très loin : probablement du nahuatl ”ayacotli”. Il n’y avait pas de H du tout, mais l’orthographe d’ ”ayacotli” adaptée en français s’est alignée sur celle du mot ”haricot”, dont le sens de ragoût s’est ensuite perdu. Ce H n’est donc ni germanique ni latin, et peut-être que quelque chose nous le rappelle, parce que l’usage hésite à le considérer comme aspiré : le haricot ou l’haricot ? Étymologiquement, les deux se tiennent, mais pour des raisons différentes.
Le mot ”haut”, quant à lui, constitue une jolie exception. Il vient en réalité du latin ”altus”. Pas de H à l’horizon : en français, le mot aurait dû devenir ”aut” suivant les règles régulières d’évolution. Mais du temps du vieux français, le mot ”(h)aut” était contemporain d’un mot francique non seulement ressemblant mais surtout synonyme : ”hauh” (d’où l’allemand ”hoch”). Les deux se sont en quelque sorte mélangés, et le H germanique a été attribué par erreur au mot français, au point de bloquer l’élision comme si c’était un emprunt ! On sait toutefois que ce n’en était pas un car le T a été conservé et il devait être prononcé en ancien français.
D’autres mots latins ont hérité par erreur d’un H aspiré (sans le mélange rigolo de ”haut”), comme ”herse” ou ”harceler”. Il y a aussi le cas de ”huit” et ”huile”, qui étaient écrits ”vit” et ”vile” au Moyen Âge comme le U et le V étaient confondus, auxquels on a ajouté un H afin d’éviter qu’ils soient lus comme ”vit” et ”vile” .
Vous voyez : découvrir l’Histoire des choses, ce n’est jamais du temps perdu !
Sources
- Histoire de la prononciation (phonétique historique) ;
- le reste est tiré de mes connaissances personnelles et d’un peu de Wikipédia (sourcé) pour compléter.
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L’histoire (et pas la histoire) du H !
T’as fumé ou quoi ? 😉
Blague à part, article très intéressant comme de habitude. 😁
Comment ça, j’ai fumé ? Tu es zhorriblement méchant !
Attention, tu irrites ma consonne fricative glottale sourde.
Glotte*. Ah, je suis chiant peut-être.
Très intéressant. Merci.
Merci à toi !
Pour l’espagnol, le ‘h’ initial n’est pas forcément muet, ça dépend des accents. « Horrible » se prononce /orible/ en espagnol « standard » (pour autant qu’il n’y a pas de standard absolu de l’espagnol, mais bon, en castillan, quoi), mais certains latino-américains notamment le prononcent très clairement /horible/.
(C’était juste la remarque du type qui a galéré à comprendre les premiers épisodes de Narcos. 🙂 )
Yep, tant de choses dépendent des accents. Je parlais du dialecte liégeois du français qui prononce les H aspirés ; c’est aussi vrai en français américain comme en Ontario.
En espagnol, le /x/ (son de la lettre J) se retrouve parfois prononcé [h], et dans beaucoup de dialectes sud-américains, c’est la lettre S qui se prononce [h], surtout devant une consonne. Tu as bien raison d’appuyer sur cet aspect-là, car j’ai tendance à pas mal le couper au montage pour répondre aux besoins du genre – la vulga !
J’en profite pour préciser que le grec ancien connaissait aussi une aspiration, marquée par l’esprit rude, une sorte de petite apostrophe sur la première voyelle du mot (ἱστορία, ayant donné «histoire») ou bien sur la seconde (αἵρεσις, diphtongué, ayant donné «hérésie»)
On notera qu’en anglais également, le «silent H» est toujours de rigueur dans certains mots d’origine française comme hour, heir ou honest ! «Hold the world in the palm of your hand, and eternity in AN HOUR»… Il n’y a pas si longtemps (plus maintenant), parmi les gens «posh», il s’étendait paraît-il à d’autres mots comme hostel, horror ou encore history…
La poésie de l’esprit rude et de l’esprit doux…
Purée, le H muet anglais, je n’y pensais pas !
Je suis anglaise, et je vous assure que nous avons toujours des imbéciles qui ne prononcent pas le H de « history!historic » etc (pour faire bien), et d’autres, encore pire, qui le prononcent mais font comme s’il n’était pas là en ajoutant le N à l’article indéfini précédent (an historic…)
Mais la langue est belle parce qu’elle est vivante, inconstante, diverse, bref : parce qu’elle est le reflet de la complexité de l’être humain. Pourquoi juger ceux qui font autrement de nous ? Pourquoi se faire du mal devant un usage différent, ou vouloir du mal à son auteur, alors que de toute manière on n’y peut rien et qu’il est si facile de s’émerveiller ?
Z’haricots sont pas salés…