Le sujet de cette critique détaillée va cette fois être un film italien. La raison : simplement parce qu’il est la meilleure oeuvre du cinéma psychologique qui m’ait été donnée de voir à mon sens. Et – ceci dit tout à fait subjectivement – c’est pourtant un genre que je n’aime pas.
Les fondations
Ce qu’il faut dire d’abord, c’est que le film au sens le plus basique du scénario et de l’ambiance n’a rien d’original. C’est un fait. La France et l’Italie partagent cette fascination pour les drames issus du quotidien, des films généralement très déprimants qui viennent se placer en contre-pied parfait des blockbusters américains. Et puisque je parle d’ordinaire beaucoup de ces derniers, c’est l’occasion pour moi aussi de prendre le contre-pied. De par ce choix, l’oeuvre est très sobre d’une manière franchement positive. Mais on y reviendra.
L’histoire en une ligne : en vacances, un vieux couple italien prend sous son aile une jeune prostituée ukrainienne (Nadja) pour la protéger. Sur le papier, un drame tout à fait normal. Mais par certains côtés, optimiste quand même. Bon, ayant vu le film, c’est un constat qu’on aurait plutôt tendance à réfuter. Mais ne s’attend-on pas à ce que quelque chose tourne mal ? Vraiment mal ? Par exemple : que le proxénète retrouve la trace de son « employée » ? Que la police soit omniprésente ? Mais rien de tout cela n’arrive parce que l’histoire pousse le réalisme jusqu’à éliminer entièrement les rebondissements théâtraux (qui, s’ils sont bien dosés, n’empiètent pourtant pas forcément sur le réalisme). Et grâce à cela, le spectateur n’éprouve pas la gêne coupable d’avoir deviné ce qui allait se passer, mais pas non plus l’ennui caractéristique qui émane souvent de ce genre d’intrigues. Un drame oui, mais pas noirci à outrance par des évènements annexes même un tout petit peu spectaculaires.
La subtilité
On l’a déjà à moitié vu, c’est un film subtil. Mais ce qui fait sa beauté véritable, c’est l’absence totale de liens d’affection. Vous vous demandez sans doute en quoi c’est beau, mais ce n’est pas compliqué : c’est une oeuvre de divertissement, quoi qu’on en dise, et elle fonctionne. Elle respire par ailleurs l’honnêteté tout en dépeignant des relations odieuses entre les personnages. Pour le spectateur, les liens entre les protagonistes sont clairs et loin d’être tus. Il est rendu omniscient et mis au courant de tout ce qui se trame sans que quoi que ce soit ne stimule de manière satisfaisante sa fibre sociale. Car il n’a pas besoin d’être satisfait : c’est un divertissement, mais on parle d’un drame qui se peut dans la vraie vie, donc faut pas exagérer non plus !
Les personnages sont tous liés entre eux : ils sont d’une famille ou voisins. Et pourtant, il n’y a que le vieux couple pour apporter une lueur d’harmonie. Eux-même dispensent autour d’eux la haine qu’ils regrettent de voir naître de leur bourgeoisie romaine.
Là où le film réussit l’exploit de se constituer une force mindblowing pourtant d’habitude budgetophile, c’est qu’il dispose d’un type tout à fait remarquable de happy end. Dans un réalisme tout artistique, il se contente de dissoudre le ciment malade qui relie les personnages par une décision logique, mais tellement étrangère au cinéma !
Même un drame aspire généralement à ce que les choses s’améliorent, et peu importe si ce n’est pas ce qui se passe en pratique. Mais dans La bella gente, le récit se développe avec une neutralité journalistique et offre une issue vierge de tout idéal. Là où les choses diffèrent de la façon dont le cinéma français aurait pu traiter la même histoire, c’est qu’une critique sociale aurait facilement pu trouver sa place. Dans la vision d’Ivano de Matteo, ce sont des considérations qu’il est inutile d’envisager, et s’il faut y voir un idéal, c’est celui de l’égalité ultime entre les personnes.
La dernière image, c’est Nadja qui s’en va. Elle refuse l’affection de son père d’adoption de quelques semaines avec qui elle a appris à profiter d’une grande liberté, parce qu’à ce moment-là, elle prend une liberté tellement plus grande que c’en est ébouriffant.
Conclusion
Il est difficile de beaucoup parler d’un film dont ni l’ambiance ni le scénario ne sont originaux. Mais ce qui fait de La bella gente le roi des films psychologiques, c’est l’énergie qu’il arrive à tirer d’une subtilité magnifique. Les relations entre les protagonistes sont sales, odieuses, et pourtant l’histoire n’est pas tâchée par ce léger noircissement théâtral qui caractérise généralement les drames occidentaux de nos jours (sans parler des drames à l’américaine qui, eux, romancent tout). Ultra-réaliste, il fait passer un moment qu’on rechigne à qualifier de « bon ». C’est pourtant le cas. Car derrière l’intrigue désastreuse que rien ne modère, on a toujours un aperçu sur l’harmonie d’un couple et sur un optimisme discret qui n’est réellement exprimé qu’à la toute fin. Bellissimo.