Image d’en-tête : Les Feux du Music Hall
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Lundi : Verdict(André Cayatte, 1974) « Jean Gabin »* |
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Passant de la place d’un brillant accusé à celle non moins prisée d’un juge, Gabin va ici interpréter un puissant où il va s’agir pour lui de concilier devoir et honneur dans une situation de chantage. La richesse filmique s’y exprime sans frein, puisque ce sont des procédés complètement opposés à ceux de L’Affaire Dominici qui vont être mis en oeuvre : avec l’avancée du procès, le spectateur suit évènements qui y sont liés de façon linéaire, tout en étant tenu au courant de ses causes en parallèle, avec des scènes qui suivent à part leur propre ligne temporelle. La méthode est remarquable en ce qu’elle ne répond pas aux critères du flash-back : c’est bel et bien une histoire imbriquée dans une autre. Et cela confirme en quelque sorte que cacher totalement des éléments importants n’est objectivement pas une bonne chose, car Verdict est un véritable plaisir à suivre. Quand on croit venir la fin, il y a encore un, non, deux coups fataux portés pour la gloire du scénario captivant.
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Mardi : Tootsie(Sydney Pollack, 1982) « Dustin Hoffman »* |
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Onze années avant Madame Doubtfire, c’est Dustin Hoffman qui jouait la carte du travestissement, donnant une nouvelle dimension à son talent. D’ailleurs, l’idée de jouer avec une femme lui est venue pendant le tournage de Kramer contre Kramer où il campait un père – un surhomme, quoi. Tout comme pour Robin Williams dans le susdit, son personnage est lui-même un acteur, ce qui autorise ce coeur controversé à une intrigue hilarante et permet la mise en abyme avec ce que les acteurs ont connu pour de vrai.
Pourtant le film a été tourné comme un drame, au point que jamais un fou rire n’a interrompu le tournage. L’oeuvre est victime de cette volonté dramaturgique, quoiqu’elle se soit transformée en comédie de façon naturelle et sans heurt ; elle en hérite un défaut horrible qui s’appelle le Vaudeville, le comique de situation le plus prévisible et ennuyeux qui soit. Heureusement, ce n’était pas un fait exprès et ça ne va du coup pas trop loin.
Le film au global est fantastique, ce qui vient avant tout de son équipe (non, l’équipe ne fait jamais tout) : Sydney Pollack y a une responsabilité bien plus grande que de seulement signer la création de son nom : il fut certes réalisateur mais aussi producteur et, sur l’insistance de Hoffman, acteur. Jessica Lange leur doit un Oscar et Geena Davis un timide mais prometteur début de carrière.
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Mercredi : On ne vit que deux fois(Lewis Gilbert, 1967) « James Bond »* |
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Il est à croire que faire un James Bond à la fin des années 1960 ne consistait pas qu’à surprendre le public mais avant tout l’équipe elle-même. Les cascadeurs sont encore plus sollicités dans cet épisode, dans l’excès, mais cela, on leur pardonne. Les hélicoptères de poche et autres joyeusetés peuplent agréablement de technologie cette image d’ensemble trop vague pour vraiment concilier conquête spatiale et Guerre froide. Le film se fait par contre un parfait reflet de l’actualité lorsqu’il s’agit de choisir un gros gadget d’époque, devenant de fait un miroir des passions enfantines en 1967.
Mais sans surprise, à vouloir trop en faire, l’oeuvre plonge directement dans la médiocrité et la platitude, ne se cachant même plus de ses faux raccords et complètement à la ramasse en matière de perfectionnisme en général. Ça part dans tous les sens, les acteurs ne suivent pas… Bref, rien pour nous faire supporter le surplus de fidélité à des livres qui n’ont par nature pas à se soucier du réalisme graphique.
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Jeudi : Les Feux du Music Hall(Federico Fellini, Alberto Lattuada, 1951) « Langue italienne »* |
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Le premier film de Fellini était en couleurs. Bon, il a été tourné en noir et blanc, mais les deux réalisateurs ont tellement fait bouillonner leur créativité qu’il s’est coloré de lui-même en émotions. C’est un film de visages, où s’expose d’abord la face si reconnaissable du vieil enfant italien en la personne de Peppino del Filippo. En fait, cette oeuvre est une exposition des différents types de beauté : la sagesse discrète de Giulietta Masina est comparée à celle, extérieure et fruste, de Carla del Poggio, ainsi qu’à la charmante laideur d’actrices secondaires. Quoiqu’elles n’ont rien de secondaire, justement : elles ont toutes en commun la beauté universelle de l’art, le tout mijoté dans un ensemble qui n’est pas beau, qui montre avec candeur la faiblesse de tous (merci chers Italiens d’avoir cette simplicité). Le film tient plus de la tranche de vie que du scénario original, mais disons qu’on l’a bien beurrée et que ça fait sa réussite.
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Vendredi : Daywatch(Timur Bekmambetov, 2006) « Langue russe »* |
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Les Russes ont ce gros avantage de ne pas se soumettre au modèle américain ; on en a déjà parlé, c’est de là que vient la force du premier opus et c’est ce qui en a justifié les détracteurs, blablabla. Mais la conséquence qui s’en fait sentir avec Daywatch, c’est combien le pragmatisme peut s’exprimer même dans l’art, à partir du moment où ce n’est pas l’argent qui est dans le cockpit. Ou qu’au moins il a un copilote. Le résultat, c’est que voici une suite cinématographique plus réussie que le film original !
La violence est utilisée à propos, presque jusqu’à nous faire dire qu’ils l’ont mise de côté si on ne fait pas attention (cela tient simplement au fait qu’elle n’est plus le moyen mais la finalité). La débauche d’effets spéciaux n’est plus une débâcle, elle a beau recouvrir tout le film indifféremment de Nightwatch, c’est juste ce qu’il faut pour emballer le scénario dans un peu de rêve. Les débordements sont tassés, réduits par touches à l’état de clins d’oeil qui, s’ils nous font soupirer une fois en éveillant les mauvais souvenirs de Nightwatch, se font vite oublier.
A l’inverse, si la médiocrité d’un antécédent est dure à cacher, ils y sont parvenus malgré eux en l’entreposant dans un contexte de post-production désastreux : mélange d’ouvrages originaux, renommage en dernière minute (en dernier mois, d’accord) et surtout la tombée aux oubliettes du troisième opus. En 2018 peut-être, me souffle IMDb.
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Samedi : Brigadoon(Vincente Minnelli, 1954) « Film musical »* |
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Quand un film répond aussi bien que Brigadoon aux critères d’un genre précis – en l’occurrence celui des comédies musicales romantiques -, son objectif est de sortir du lot, d’où les campagnes publicitaires promettant monts et merveilles indifféremment pour toutes les productions similaires. Mais cette oeuvre sort effectivement du lot. Pas du moule, puisque le style cher aux Américains est inchangé, mais sur plusieurs aspects qui sont loin d’être des détails.
C’est donc un film musical romantique, basé sur la danse depuis la décision de prendre Gene Kelly pour le premier rôle – un certain Howard Keel devait le tenir à l’origine et le scénario revêtir simplement l’aspect musical. Le résultat déjà riche, quoique pas exceptionnel, a été rehaussé de deux choses rares à Hollywood : la mise au premier plan de ce petit coin du monde anglophone appelé Écosse – sous son aspect naturel et traditionnel, en plus – et la large adoption des valeurs d’un sous-genre : le conte. C’est comme un léger drap onirique disposé avec douceur sur l’histoire. La fine couche d’or qui plaque un matériau déjà noble.
Star et réalisateur voulaient tous deux tourner en Écosse, hélas la MGM a vu mieux dans leur intérêt que tout soit fait en studio. Qu’à cela ne tienne, se sont-ils dit ; ils ont alors débarqué avec des décors qui encore aujourd’hui nous mettent le doute : 600 pieds de long, 60 de haut (183×19 mètres). Multipliez l’un par l’autre, ajoutez un zéro et vous en avez le prix en dollars. Mais les oiseaux sont des bien meilleurs appréciateurs de leur réalisme que les chiffres : il est notable et authentique que certains d’entre eux les ont trouvés tellement à leur goût qu’ils ont pénétré les studios pour y loger !
Bref, un succès qui ne nous prédispose même pas à ce que la conclusion soit une critique de la société urbaine new-yorkaise ; a fortiori du quotidien occidental tout entier, ce qui nous laisse sur la réflexion que c’est une chose admirable pour l’époque.