Dans cet article, je vais couvrir les notions de doublet lexical, de cognat et d’homophone, entre autres choses tenant du détail, le tout en partant d’une seule et même racine latine : « commūniō », qui a pris de nombreuses voies détournées avant de nous parvenir.
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L’étymologie
« Commūniō » est un mot latin qui est à la fois un verbe (« renforcer », « barricader ») et un nom féminin de la troisième déclinaison (« communauté », « mise en commun », « communion »).
Il est formé de « mūniō » (« fermer », « fortifier », « défendre », « construire ») qui a donné « munir » en français et qui descend du latin classique « moenia », « fortifications » et ultimement du proto-indo-européen *mey- (qui a aussi donné « mūrus » → « mur ») avec le préfixe « con- » exprimant la concomitance, et qui a notamment donné l’espagnol « con » (« avec »).
Évolution théorique d’un mot
Un mot peut rencontrer divers phénomènes lors de son évolution, mais les trois principaux sont la dérive sémantique (glissement ou changement de sens), la dérive phonétique (glissement de prononciation) et la simplification morphologique (fusion ou disparition des formes, suppression de syllabes surnuméraires).
Le vocabulaire latin a été mis aux mains de deux millénaires, et a transité à travers des centaines de dialectes à travers l’Europe. Autant de façons de le voir changer, et bien assez de temps pour ça. Quand les dialectes ont fusionné pour devenir ce qu’on connaît aujourd’hui comme les langues romanes (les principales étant le portugais, l’espagnol, le français, l’italien et le roumain), le lexique latin était devenu méconnaissable, d’où l’absence d’intercompréhension spontanée (surtout à l’oral) chez les locuteurs de ces langues.
L’anglais est une langue germanique, mais on peut le compter dans cette liste du fait du son vocabulaire à 59% de base latine. Et c’est d’ailleurs lui qui va nous intéresser (en partie) avec le mot latin « commūniō ».
Évolution pratique du mot « commūniō »
Apparentement
Le mot latin « commūniō », avec son sens de « communion », a contaminé de nombreuses langues : il est demeuré dans toutes les langues romanes (français « communion », italien « comunione », espagnol « comunión », portugais « comunhão », roumain « comuniune ») mais on le trouve aussi en anglais (« communion »), en norvégien (« kommunion »), en maltais (« komunjoni »), en polonais (« komunia »), et en plusieurs autres langues non européennes comme l’indonésien.
Cette large diffusion a probablement été assistée par la qualité de langue ecclésiastique du latin. Rien d’étonnant, donc, dans cette évolution ; le sens est resté, la prononciation et la forme n’ont fait que suivre les règles de chaque langue. Tous les mots cités en exemples sont dit « apparentés », comme des cousins au premier degré (évitons de parler de cousins germains, cela vaudrait de semer une inutile confusion). Leur sens est le même et leurs transformations sont minimes.
Cognats
Après les cousins au premier degré, il convient de parler des cousins au second degré. On les appelle des cognats.
Si l’on remonte à l’origine commune de « commūniō » et « commūnicō », qui est « commūnis », on remarque que le sens (« commun », « public ») et la prononciation (/kom.muː.nis/) sont proches d’un mot proto-germanique : « *gamainiz » (mot de même sens, prononcé /ɣɑ.ˈmɑi̯.niz/).
« Commūnis » et « *gamainiz » étaient des cognats du temps où ils cohabitaient, il y a environ 2500 ans. Ceux-ci sont intéressants car ils dénotent une des premières distinctions détectables entre les langues romanes et les langues germaniques (qui, en pratique, se sont séparées bien avant l’époque du latin et du proto-germanique). Ils sont une preuve, s’il en est besoin, que les deux familles partagent une même origine.
« *gamainiz » a donné le vieil anglais « ġemǣne », puis l’anglais « mean », mais aussi le vieux haut allemand « gimeini » puis l’allemand « gemein »… or l’allemand traduit « communion » par « Gemeinschaft ».
On prouve ainsi que « Gemeinschaft » et « communion » sont aussi des cognats, mais des cognats qui sont encore d’actualité cette fois-ci. Dans le cas où le sens a survécu (ici par exemple), les cognats sont en quelque sorte des « synonymes translinguaux ». Mais le sens des cognats peut avoir dérivé, comme c’est le cas de l’anglais « queen » (« reine ») qui est un cognat du russe « жена » (« žena », « épouse »). Les deux dérivent de la racine proto-indo-européenne « *gʷēn », « femme », et leurs racines communes sont pour le moins difficiles à deviner pour le non spécialiste.
Doublets lexicaux
Le phénomène des doublets lexicaux se produit lorqu’une seule racine évolue pour donner deux mots différents, de sens comme d’orthographe et de prononciation. C’est le cas du latin « commūnicāre », qui dans un premier temps a donné « communier » (on estime son apparition au Xème siècle, et il était déjà orthographié avec la perte de la syllable latine vers l’an 1200, avec « commeniier »), puis plus tard « communiquer ».
Si cette deuxième forme a conservé sa syllabe d’origine, c’est parce qu’elle est entrée plus tard dans notre langue, après la période de raccourcissements syllabiques ; on l’observe pour la première fois vers 1370 avec le sens « participer à ».
D’ailleurs, cela nous amène à des constatations encore plus étonnantes sur le sujet.
Les pertes de syllabes entières depuis le latin jusqu’aux langues romanes est un phénomène répandu, surtout en français. Ainsi « commūnicāre » devenant « communier » ne serait pas surprenant si un doublet n’avait pas conservé toutes les syllabes, et si surtout le mot avec le préfixe « ex- » ne changeait pas tout !
En effet, on a « excommunier », qui, sur la base de « communier », signifie « retrancher de la communion », mais le nom qui correspond à ce verbe est… « excommunication ». Cela s’explique sans doute par l’influence d’un des doublets sur l’autre. Mais c’est d’autant plus amusant que l’anglais utilise « excommunicate » et « excommunication ».
J’espère que cet article vous aura plu. Il était de forme un peu « hâchée », et j’ose espérer que cela ne vous a pas dérangé. And as always, thanks for reading!