Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Article soutenu par Yumemiruhito ! ❤
Sommaire
Tais-toi (Francis Veber, 2003)
Le Petit Homme (Jodie Foster, 1992)
Les Nuits de Cabiria (Federico Fellini, 1957)
En attendant la mer (Bakhtiar Khudojnazarov, 2012)
Le Collier perdu de la colombe (Nacer Khemir, 1991)
La Gifle (Claude Pinoteau, 1974)
Image d’en-tête : En attendant la mer ; films 293 à 298 de 2019
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Lundi : Tais-toi (Francis Veber, 2003) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Veber est indestructible, mais Tais-toi a quand même été perçu comme son retour. Sans doute n’attendait-on plus rien de lui après 66 ans de vie & au moins un film culte encore bien ancré dans les mémoires. C’est en tout cas le retour du Depardieu comique, celui qui s’abandonne dans ses rôles, oubliant de se jouer lui-même comme il le fait souvent, délivrant ici la quintessence de l’idiot français bien longtemps après en avoir été l’antagoniste dans ses duos avec Richard.
J’avais dit du médiocre San Antonio, vu juste avant, qu’il était véberesque, mais la comparaison est petite quand on voit l’énergie encore déployée par le réalisateur pour faire éclore les ellipses comme des fleurs le long d’un chemin pavé de beaux dialogues qui sont d’autant plus admirables qu’ils sont en fait creux la plupart du temps : Jean Reno d’abord mutique s’oppose au moulin à parole insensé de son collègue. Les deux acteurs sont de classe internationale & c’est plus que sympathique de les voir au mieux de leur forme dans des gags simples où ils sont bien reconnaissables, Obélix & Léon soudain rassemblés de façon parfois littérale dans un scénario très cocoriquesque… qui est bien loin de retomber sur ses pattes lorsqu’il s’agit de conclure.
La partie finale aurait pu se permettre la continuité plutôt que de jeter ses belles lignes dans un beau bazar indémêlable. Une sortie de scène naïve aurait mieux valu qu’une privation soudaine où, comme chez d’autres sensationnalistes du thriller français, les seconds rôles se font les faire-valoirs de têtes d’affiche explosives. Tais-toi est alors sans morale ni direction ; il flotte sur le genre comique sans but apparent, même si le divertissement est là & le syndrome du comeback bien fonctionnel.
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Mardi : Le petit homme (Jodie Foster, 1992) « Thématique : Jodie Foster »* |
Le premier film réalisé par Jodie Foster devait l’être par Joe Dante. Ayant pris sa place, Jodie l’étoile depuis longtemps montante prenait ses aises de starlette pendant que d’autres sombraient ; Little Man Tate est alors devenu le moyen pour Orion Pictures d’afficher Foster en poster après Le Silence des Agneaux. Alors, coup publicitaire ?
Le film est tout de même loin d’être un pari : le little man du titre, c’est un enfant prodige à la August Rush, & Foster en a été un. Elle sait donc de quoi elle parle, & son propre prodige s’applique – du moins s’en rend-on compte ici pour la première fois – à la mise en scène. Le tape-à-l’œil de son Money Monster (si on l’a vu, comme moi, avant Little Man Tate) est trompeur quant au talent qu’elle a déversé avec enthousiasme dans cette première œuvre. C’est compliqué de se donner à soi-même un rôle nuancé, ni trop flatteur ni trop modeste, & son personnage de mère est presque outrageusement convaincant.
Son fils, alias Adam Hann-Byrn (qui fera à peine autre chose que le premier Jumanji), a lui aussi une bonne crédibilité, quoiqu’un peu calme. C’est l’arbre qui cache la forêt d’alchimies magiques entre les enfants, les adultes & les entredeux, même si, ironiquement, tous manquent un peu d’anonymat pour ne pas faire regretter leur développement modeste. Tout est un peu trop basé sur Foster vs Dianne West, dont l’inimitié sur le plateau permet d’alimenter le conflit entre l’instinct maternel encombrant de l’une & l’esprit académique psychorigide de l’autre, ce qui est le seul (mais gros) avantage de leur conflit. L’enfant prodige, en manque de réplique, est ballotté entre ces deux forces sans pouvoir faire grand chose.
Parfois trop prompt à suivre des fausses pistes qu’on est arrogamment tenté de voir comme des signes d’inexpérience, Little Man Tate est ce film du début des nineties avec des effets visuels très kitschs, réalisé par une grande actrice qui fait son boulot tout en se découvrant une aptitude de réalisatrice. La production a rassemblé les bonnes personnes pour lui faire remplir totalement sa vocation avec un minimum d’anicroches. Ce n’est pas le film prodigieux que tout cela peut faire attendre dans l’idéal, mais il en a plus que de simples symptômes.
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Jeudi : Les Nuits de Cabiria (Federico Fellini, 1957) « Thématique : langue italienne »* |
Je suis encore néophyte chez Fellini, donc si cela ne vaut pas grand chose de mettre Cabiria sur mon top 1 temporaire, le film confirme que je suis un nouvel adepte de son génie.
Ses réussites techniques n’avaient pas encore réussi à m’embarquer totalement ; c’est maintenant chose faite avec une énième apparition de Giulietta Masina dans le rôle-titre où elle donne une performance absolument hors-normes. Cela l’aidait sûrement que son mari fût aux manettes, mais c’est elle qui sait garder sa force de caractère tout en incarnant une prostituée bien conforme au puritanisme pas seulement cinématographique d’époque ; elle gère seule le compromis entre la crasse franche & la délicatesse de la suggestion.
Même aujourd’hui, cette censure conventionnelle n’entame en rien la richesse des humeurs de l’actrice & son milliard d’expressions à tout moment mises en valeur par un éclairage parfait. Fellini avait de moins en moins besoin de se rassurer : son génie était en train de s’asseoir & De Laurentiis était déjà là. François Périer, l’acteur français qui assure un financement en coproduction, aurait pu figurer seulement pour la forme s’il n’apportait pas grandement au défilé de tableaux continus qui font avancer l’histoire autour de ses protagonistes.
C’est la métaphore que, comme à chaque fois, Fellini m’inspire pour son film entier : l’impression qu’il a écrit l’ambiance comme une transposition du principe originel du cinéma, la simulation du mouvement image par image. Chez lui, les images sont des sensations – juste un peu froides par moments – défilant si vite qu’on oublie de faire attention aux dialogues & aux émotions changeantes.
Il y a des sentiments dans Les nuits de Cabiria, mais ni qualités ni défauts chez qui il préfigure : seulement des vies qui se croisent, peut-être de façon trop ordonnée (les tableaux s’imbriquent avec une joliesse de trop), mais avec tellement de mouvement & d’évolutions simultanées que le film devient naturellement immense.
Une heure cinquante ? J’ai eu l’impression qu’il faisait une demi-heure de plus, qu’il s’agissait de deux heures & demi de hauts & de bas aux encorbellements loquaces se jetant dans une fin très fellinique (on la sent venir de loin & monter longtemps) d’une magie difficilement égalable. Sauf s’il a fait encore mieux après, ce que j’attends de voir avec impatience.
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Vendredi : En attendant la mer (Bakhtiar Khudojnazarov, 2012) « Thématique : langue russe »* |
Grand poète du cinéma soviétique, Khudojnazarov est une star dans son Tadjikistan actuel. Financé par les plus grands logos – Arte, Eurimages –, il affiche ”Tajikfilm” en tout petit à la fin de son générique, pourtant il voit grand.
La Mer d’Aral n’est jamais nommée dans cette histoire plus dramatiquement réaliste que Luna Papa où les pêcheurs vont se trouver privés de tout par l’eau qui se retire. Les responsables ? On ne les connaît pas, ou du moins on ne les nomme pas, & on place sa foi & toutes ses croyances dans la mer, tous priant pour qu’elle revienne sans se lamenter trop fort qu’elle soit partie à moins d’être au plus mal – le tout dans une culture épurée qui est assénée trop vite pour savoir où se situer entre vérité & cinéma ; il fallait en venir au fait, on le sent.
Pendant les cinq ans que Marat passe loin de son village, la mer a eu tout le temps de s’éloigner. Pour la retrouver, il n’a d’autre choix que de devenir le Fitzcarraldo du Grand Est en tirant son bateau à travers un désert où se rencontrent plusieurs cultures négligées en un de ces points géographiquement œcuméniques qu’on préfère ignorer parce que wow, un paysage si sec, c’est quand même déprimant. Chevaux, chameaux, camions & speedsails se côtoient comme s’il fallait juste aller très loin pour que tout se rencontre.
Le côté traditionnel, déjà mâchouillé en intro, est sans doute le plus grand tort de l’œuvre, alors qu’elle aurait pu en faire un atout. Comme il est réaliste par l’image & rêveur dans le reste, le film ne sait pas construire d’ambiances & le scénario avance avec une abnégation neutre qui est monotone & guère porteuse, reflet trop fidèle de l’interprétation de Egor Beroïev qui est à fond dans son truc.
Se basant sur une histoire vraie qu’il ne cite jamais, Khudojnazarov s’accapare l’opportunité très exceptionnelle & tristement poétique de la mort d’une mer entière pour faire bouillonner les superstitions avec un drame relativement ancré dans le réel qui n’avance tout de même que grâce aux plus fous. Il crée ainsi une légende des temps modernes à partir d’une vérité qui est à la fois trop loin de notre monde & trop dramatisée pour, justement, émaner naturellement le drame moins terre-à-terre qui peut alimenter l’art de la plus belle façon & que le réalisateur a su capter entière jusqu’à une conclusion qui ne laisse pas sur sa fin.
On a bien fait d’envoyer tout ce qu’on pouvait depuis l’Europe pour que Khudojnazarov puisse parler d’Aral, car sans compter qu’il l’a bien fait, on ne pourra sans doute plus jamais le refaire.
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Samedi : Le Collier perdu de la colombe (Nacer Khemir, 1991) « Thématique : langues du monde »* |
Le cinéma du monde arabe est souvent porté par la force des choses sur sa condition actuelle, en dépit d’une histoire qui a forgé la culture d’au moins trois continents. Nacer Khemir, réalisateur du désert, remédie à cela en laissant les mille et une nuits envahir son image ; une référence qui, si l’on s’essaye à la manquer, est ravivée par le seul astre sélène, tantôt croissant ou entier mais toujours gigantesque, qui capte à lui seul l’essence orientale de ces contes.
La nuit est ramenée à son acception originelle de ”chapitre” dans ce monde où elle ne tombe jamais vraiment. La lumière est surnaturelle, le soir amène des ombres bizarrement plus nettes que le jour, et les djinns peuplent l’invisible d’un peuple qui vit dans le rêve, parlant d’amour sans jamais voir de femmes et dont les calligraphes peuvent dessiner une seule lettre pendant vingt ans comme si temps passés et futurs étaient tous deux sans fin.
Voilà la consistance d’une ambiance mise en place pendant longtemps, trop longtemps : la langueur habituelle des mille & une nuits se reflète mal dans ce cinéma très mal joué où l’on se meut comme au théâtre, comme si tout attendait d’être vu par la caméra pour se mettre à vivre.
C’est ainsi, en tout cas, que sont conçus les décors, quoiqu’ils sont l’extraordinaire point fort de l’œuvre de Khemir. Ils sont animés avec une vigueur qui estompe mal leur artificialité & leurs frontières, mais ils sont grands, variés, détaillés & visités grâce à de nombreuses allées & venues de personnages qui ne passent pas loin de rythmer l’histoire à la hauteur de ses graphismes.
Hélas, les acteurs ne sont pas dans leur assiette : la diction est montante, monocorde, les gros plans surjoués, & leur présence naturelle trop contrôlée. En fait, il n’y a pas de vraie liberté artistique chez Khemir, même si sa création se voulait le retour en grâce de croyances chaleureuses panorientales & mélancoliques.
C’est dans l’échec de cette transmission que le film se perd, faillissant à emporter avec lui le spectateur après s’être donné l’illusion de l’avoir séduit au travers d’une patte visuelle nettement travaillée qui, du reste, ne devrait pas décevoir beaucoup de nostalgiques de l’âge d’or arabe.
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Dimanche : La Gifle (Claude Pinoteau, 1974) « Hors-thématique »* |
Je n’ai jamais apprécié le jeu d’Isabelle Adjani. Quelque chose dans sa désinvolture, peut-être. Avec La Gifle, à 19 ans, elle joue son âge & c’est justement ce caractère qui lui vaut d’être parfaite dans son rôle, alors je l’ai un peu redécouverte.
Pinoteau se situe dans la lignée très féconde de l’art des années 70, d’où il tire le film étudiant qu’on attend de lui avec quelques très bonnes tirades. Lino Ventura, père d’Adjani & professeur, remarque par exemple que l’heure passée avec ses élèves n’est pas la même pour lui que pour eux, pourtant il ne comprend pas mieux sa propre fille pour autant.
Ce paradoxe bien connu & joliment mis en mots, sur fond d’une intrigue policière qui nous pousse à croire que l’on va vivre une histoire pleinement soixante-huitarde, ouvre donc sur un père & sa fille, ou le professeur & l’élève, ou le conservateur & la progressiste, donc une mésentente. Si Pinoteau s’en tenait là, on pourrait déjà lui donner le mérite d’avoir su accorder deux acteurs avec une grande richesse par-delà plusieurs gouffres, surtout celui de l’âge. Mais il a aussi su mettre une dimension comique discrète & efficace qui n’a, elle, cure des générations.
En ça, le film est déjà post-68 & ramasse le gros lot des innovations baby-boomesques quand il se transforme en défilé si dense & rapide de véhicules en tous genres qu’on se croirait chez Buster Keaton. C’est vrai, quand on y pense : un avion, un train, des voitures, des pétrolettes variées, un vélo & même un aéroglisseur, qu’est-ce que tout cela fout là ? C’est juste la jeunesse qui prend sa liberté sous cette image peu discrète, de toute façon symptôme d’un rythme soutenu – dans tous les sens du terme.
Guidé par une énergie qui n’investit pas seulement les jeunes, le casting arrive même à faire jouer un rôle à ses rôles. Ils ne sont pas seulement bien trouvés : avec l’adorable soupçon de cliché que cela oblige, on a le père bloquant, la révoltée, le cuistre, le bosseur, le gentil, la mère compréhensive, bref, tout un bestiaire protagonologique à découvrir.
Ensemble, les acteurs soutiennent sans peine une histoire assez carrée quand on prend du recul, mais qui en direct jongle habilement entre les luttes estudiantines, la dirigeance & les désirs de chacun, entremêlés jusqu’au bazar émotionnel. Le scénario dérape un peu lui-même dans cette immaturité qu’il veut dépeindre sans juger, car elle finit par rompre plus de choix qu’il n’en faut pour qu’Adjani ne devienne pas, de personnage déluré, l’actrice délurée que je n’aime pas. Heureusement, il y a les prolongations.
Le film est en effet un bon quart d’heure plus long qu’on ne s’y attend, car Annie Girardot arrive tard mais elle a son (gros) mot à dire. C’est la pièce manquante dans un jeu qui n’est pas d’échecs & révèlant que le film n’est, finalement, pas le bon film estudiantin qu’on croyait ; il surnage même plutôt dans le genre (sans doute Pinoteau avait-il déjà trop de sa cinquantaine). Mais c’est un bon film dans bien plus de genres qu’il n’aime à le croire lui-même.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Ça me rassure de pas être le seul à avoir du mal avec Isabelle Adjani… Enfin j’admire beaucoup son talent d’actrice, sa beauté, son impétuosité parfois. Mais elle a un côté si… Artificiel, pédant, insupportable.
Pour tout te dire, j’imagine tout à fait que c’est le genre de fille à qui tu vas dire «tu es très belle aujourd’hui, chérie» et qui va te lancer un regard assassin en répondant «pourquoi, j’étais laide hier ?»… Ce genre là^^
Je ne la trouve pas belle, mais ça vient sûrement de moi qui projette mon ressenti d’elle sur son physique. Pour le reste, je suis content aussi de ne pas être seul. \o/