Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Nouvelle-France (Jean Beaudin, 2004)
Nell (Michael Apted, 1994)
Juliette des esprits (Federico Fellini, 1965)
War Zone (Dzhanik Fayzyev, 2012)
Dans ses yeux (Juan José Campanella, 2009)
Image d’en-tête : War Zone ; films 11 à 16 de 2020
|
Lundi : Nouvelle-France (Jean Beaudin, 2004) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Je découvre en suivant les pas de Depardieu ce qu’a été la mode française du film historique à gros budget – jusqu’ici pour moi un ramassis de souvenirs souvent télévisuels de castings emperruqués. Je découvre donc aussi, après avoir adoré Nouvelle France en 2016, ce que cela représente de vouloir transposer Paris au Québec. En effet, le panamisme est l’affliction symptomatique du Québec de Beaudin, qui en fait de reconstituer s’attache à reproduire ce qu’il connaît déjà en essayant de s’approcher de ce que cela pouvait être jadis.
On s’insurgera à raison en me répondant que Beaudin est montréalais & qu’il est censé savoir de quoi il parle, pourtant le compromis est bel & bien là qui écrase les acteurs francophones d’outre-Atlantique pour les faire rentrer dans une idée de l’ancienne France coloniale d’une manière qui est effectivement très Nouvelle France – celle d’aujourd’hui qu’on vend aux Américains, pas celle de jadis qu’on a donnée aux Anglais.
Mais fi de ces arrangements : pour le métropolitain, les interprètes seront d’autant plus talentueux qu’ils sont méconnus, de sorte que le film accède pour le spectateur français au succès d’une production audacieuse qui maîtrisait ses ambitions (l’œuvre me frappe en cela de très similaire manière à Le Parfum). Les décors finissent par nous emporter dans une histoire ne souffrant pas trop d’être comparable à un autre grand film historique de Depardieu, 1492. Les personnages semblent disposés comme des pions au départ, mais l’impression se diluera jusqu’à ce qu’on vienne finalement à regretter leur insouciance.
Soutenu par une volonté de véracité assez dense pour l’amener à utiliser beaucoup la langue amérindienne sous-titrée sans donner dans le tape-à-l’œil, le film souffre toutefois de l’absence d’une seconde piste d’ambiance, une ”truth track” ou une ”honesty track” qui aurait étoffé notre attachement à ses différentes approches : la romance marche bien toute seule, mais la trame historique se limite à l’évocation de quelques faits & personnages clés rapidement survolés (les scènes de la Pompadour & de Voltaire sont parmi les plus marquantes mais ne représentent pas grand chose) & la sous-histoire judiciaire est assez vite balayée sous le tapis.
Quand on voit l’apparition à peine symbolique de Tim Roth, le manque de contexte derrière les manquements passionnels d’un Depardieu prologuant & épiloguant & le peu de montée en puissance de chaque thème, on se demande où vont les 145 minutes. Des dialogues un peu plus poussés se seraient vite effondrés telles les paroles de la chanson de Céline Dion au générique.
Je pense que Nouvelle France est amené à être adoré par beaucoup de cinéphiles peu regardants, ce en quoi je ne leur donne surtout pas tort : l’interprétation ne jure pas, les décors & costumes sont plus que présents & le scénario actif ne se repose sur aucun laurier, toujours prêt à se jeter sur de nouvelles modestes miettes d’exotisme d’époque. Il en faut remarquablement peu, toutefois, pour se rendre compte du bric & du broc que camoufle la superproduction. C’est ce qu’on fait de mieux dans le genre des films en plastique plaqués or.
|
Mardi : Nell (Michael Apted, 1994) « Thématique : Jodie Foster »* |
Ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir un film linguistique ! Nell se base sur l’idioglossie, ce qui n’est pas, contrairement aux apparences, l’étude de la langue des idiots, mais le phénomène consistant à créer (souvent spontanément) une langue pour soi ou un petit groupe tels des jumeaux. Elle est peut-être plus transparente sous son autre nom : la cryptophasie. Ou pas.
Nell, c’est donc aussi la personne qui idioglosse, à savoir Jodie Foster, qui tient ici un de ses rôles préférés. Les cas d’enfants sauvages ne sont plus très neufs au cinéma depuis longtemps, mais on tente d’élever son personnage au même rang d’exception que celui de L’Enfant sauvage de Truffaut ; l’actrice a d’ailleurs lu les mêmes livres qui l’ont inspiré, en version originale française parce que pourquoi pas.
On n’a en tout cas jamais assez d’une surdouée pour jouer une (prétendue) déficiente mentale, car la seule performance de la Rainwoman d’Apted aurait pu gâcher entièrement la tentative de lui donner sa propre langue. Ce n’est pas à la portée de tout le monde de baragouiner. Heureusement, & de façon un peu inattendue, personne dans la production ne semblait du genre à considérer qu’une langue fictive ne valait pas la peine d’être soignée sous prétexte que personne ne la comprendrait.
Pour nous initier à ce synopsis qui a des airs bien barbants pour tout le monde sauf moi, la caméra fait la navette entre les belles montagnes de Caroline du Nord & la civilisation en une alternance qui serait magnifiquement mise en valeur s’il ne semblait pas un peu trop aisé de déplacer deux personnages (un homme & une femme, hein, ça se voit venir) en-dehors de leur vie professionnelle jusque dans les montagnes de Nell, quoique Neeson arrivera à maintenir un brouillard surréel de gentillesse malgré l’exploration presque trop profonde de ce trait énorme dont on l’affuble. On ne peut pas être aussi élogieux pour Natasha Richardson dont la prestation est juste passable, quoiqu’on peut mentionner à sa défense la responsabilité qu’elle a hélas de ridiculiser la science & la psychologie dans la cristallisation qui est faite du cliché psychorigide affilié à sa profession.
Fortement reposée sur Foster afin de la laisser mener la danse, l’œuvre est bizarrement hypodramatique – ce dont je ne me plains pas, car si c’est monotone dans l’idée, c’est aussi d’une linéarité confortable qui ne se dispense pas pour autant de décorer le déroulé de la dose de méchanceté & d’injustice qui va bien. Cependant, il aurait fallu en faire plus afin d’offrir une catharsis digne de ce nom.
Pas excellemment équilibré autour de ses points très forts, l’opus d’Apted n’en génère pas moins une histoire respectueuse d’une marginalité souvent mise en boîte, sachant en outre transformer ses détails en petites pointes d’empathie, signes qu’Egg Pictures ne met pas tous ses œufs dans le même pas niais.
|
Jeudi : Juliette des esprits (Federico Fellini, 1965) « Thématique : Federico Fellini »* |
De retour devant les caméras de son Fellini de compagnon après sa période ”attends, chérie, je fais des chefs-d’œuvres”, Giulietta Masina prend des couleurs mais pas de rides. De plus en plus captivante quoique moins présente avec ce rôle qui la fait un peu trop sourire, elle éponymise aussi l’œuvre dont le titre semble lui donner le rôle plus ou moins religieux d’une illuminée – même si c’était sans doute Fellini l’illuminé, comme il était dans le coup comme toujours & déclare avoir pris de la LSD pour produire ses Juliette.
Au cœur de cette confusione dont le réalisateur tirait d’ordinaire le meilleur & le meilleur, j’ai trouvé cette fois-ci qu’il tournait un peu en rond. Pour la première fois chez lui, la bouffonnerie bourgeoise est à la fois le thème & le procédé, ce qui use à la longue. On s’intéressera aux scènes que le symbolisme mystique éclaire aussi bien que la couleur (dont c’est le premier usage homogène chez l’artiste) & arrivant à faire tenir le scénario malgré l’absence d’une réelle trame. On arguera que c’est commun chez Fellini, mais la résumabilité exhaustive de l’histoire en une seule ligne témoigne des deux heures passées à tourner autour du Pô.
Le créateur cherche à porter cette fois son criticisme ambigu en même temps sur le spiritisme & la médecine de comptoir, confiant dans son idée qu’il a eue d’en dénoncer la superficialité tout en la rendant ontologiquement fascinante par son obtusité & son ridicule intrinsèque.
Tout cela fonctionnerait si Masina, au cœur de l’entonnoir, n’était pas entièrement & assumément passive. Tout mon préjugé positif pour Fellini (peut-être émoussé, je l’admets, par la puissance de La Dolce Vita & de 8 ½) n’a pas suffi à me faire voir Giulietta comme autre chose que la titanesque bande-annonce du buñuelisme social qu’on lui connaissait déjà (je ne m’en veux même pas de le priver ici de l’étiquette du fellinisme) où il se fait plaisir avec un casting cosmopolite & butinant dont il remplit les dialogues d’une outrance qui ne semble cette fois-ci rien viser.
Juliette des Esprits doit être vu pour son ambiance essentiellement héritée d’Hitchcock (et très prégnante dans ce sens), recyclant en couleurs vives une psychose nouvellement à la mode avec le style d’un autre ”grand” en matière d’hallucinations au septième art. C’est précisément le comparatif qui catalyse ma vision du film telle une œuvre non originale, tentative de faire seulement ”au moins aussi bien” dans une lignée somme toute très reconnaissable où Fellini prend un peu trop ses aises dans une gloire bien établie.
|
Vendredi : War Zone (Dzhanik Fayzyev, 2012) « Thématique : langue russe »* |
Encore une belle production d’une Russie qui aime la guerre & offrant avec War Zone un exemple glorieux de conflit fictif rondement mené. Du moins, c’est l’illusion que Fayzyev tient à entretenir, car la deuxième guerre d’Ossétie du Sud, telle qu’on la connaît en France (ou pas), est une période bien réelle, & cela change beaucoup de choses de le savoir.
Rien n’enlèvera toutefois au film le fait qu’il touche à cinq genres en une demi-heure : science-fiction, comédie dramatique, comédie absurde, drame familial & finalement film de guerre, c’est un foisonnement créatif densément entretenu par une image composée avec une artillerie graphique clairement indécente ; cependant le résultat est là, avec pour seul impair à ce stade de substituer trop longtemps l’imagination d’un petit garçon à une figure maternelle qui se démène & pour qui tout finit par être injuste – une supplétion pas très humaine que l’actrice n’était pas du tout prête à gérer.
Car la machinerie cinématographique russe, si elle tient à montrer qu’elle est capable de sentiment derrière plus d’un siècle à maintenir l’illusion contraire, sait aussi l’écraser sous le roulement oppressant des acteurs où, à la manière de L’Éclair Noir, c’est la manière de présenter le propos qui se met à primer sur ce dernier.
On sortira indemne de ces atteintes pendant plus d’une heure grâce à la très haute interactivité des rebondissements puis des combats, où le rôle des militaires lié au destin des civils bénéficie grandement de la suspension d’incrédulité – c’est sensationnaliste, mais ça tient le coup. Pendant ce temps, le jeu d’acteurs a une place petite : il tient dans une petite boîte de mimiques & d’interjections bien lancées qui sont un strict minimum superbement exploité sur la durée.
L’heure suivante s’emploiera à lentement revenir sur ses pas pour défaire de grands espoirs sans trop endommager son inventivité, mais en laissant beaucoup suinter l’enjeu artificialisé d’une guerre qu’il ne contribue pas à faire connaître pour sa réalité – & c’est un euphémisme. On croirait que Fayzyev a essayé, en sous-texte, de faire un Godzilla slave où le monstre imaginaire (qu’on n’essaye pas de caler dans la vérité autrement que par une large gamme d’effets spéciaux) représente la guerre plutôt que la bombe. Raté.
Tout ce qui nous avait fait croire à un melting pot capable de nous faire voir la guerre comme à la fois absurde (dans ce monde tout à fait contemporain & méconnu qu’est l’Ossétie) & inéluctable, tout ce qui donnait de la consistance à des protagonistes assez caricaturaux sur une ligne de crête incroyable du film du genre, tout cela se rétracte jusqu’à ne laisser que le pivot sans saveur d’un film de guerre où même le contexte se délite.
|
Samedi : Dans ses yeux (Juan José Campanella, 2009) « Thématique : langue espagnole »* |
Avant que Julia Roberts n’emporte le scénario d’Eduardo Sacheri ”Aux Yeux de Tous” (c’est le titre du film de 2015), Campanella avait fait une version psychologique de ce survol judiciaire plus profond qu’il n’y paraît. Son tort : il fait des films argentins, & c’est moins porteur.
Heureusement, tout le monde n’a pas eu l’indélicatesse de supprimer l’ambiguïté du titre original (le titre français ne précise pas non plus de qui sont les yeux dont on parle exactement) ou de faire un remake retirant tout le contexte politique argentin discrètement amené par Campanella en arrière-plan pour qui veut vient l’entrevoir.
La non-linéarité jaillit chez lui d’une manière qui fait passer l’utilisation habituelle du procédé pour un simple ersatz : ici, elle ne sert pas qu’à éviter d’être trop direct. Elle consiste aussi à faire de l’histoire de tous l’histoire de tous les autres. C’est peut-être cette insistance dans le contournement des faits directs qui rend l’œuvre distante : je parlais tout à l’heure de survol & il semble que jamais le scénario, trop brillant dans ses voies détournées, ne touche vraiment à son sujet, même si le choix de narration permet l’entrelacement harmonique de la couche politique avec la progression.
Dans cette ambiance où le soin thématique de la bureaucratie instillé dans l’image empêche l’épanouissement des vues, c’est presque un choc quand arrive la brillante scène du stade, espèce de méta-travelling incompréhensible au sein duquel la caméra est capable de voler, de courir & de traverser une foule sans coupures. Cet éclat soudain est malheureusement dépareillé dans le scénario par ailleurs très bien dialogué qui savait convertir le drame judiciaire en la quintessence de l’anti-thriller & de l’anti-romance : pas question pour le spectateur de se sentir émoustillé par une justice coincée entre ses couloirs & ses entassements d’archives où l’injustice est verrouillée par l’autorité – notion phare qui est extrapolée au mieux par des prestations fortes mais là aussi pleines de grumeaux.
Si le but n’était pas de faire du divertissement ni d’extraire l’essence dramatique d’une écriture de toute façon assez bien assurée pour fonctionner de manière autonome, il ne reste à voir El Secreto de Sus Ojos que telle l’apologie du talent cinématographique, dont il n’a pas été jugé utile de nous faire sentir le courant pulser sous les fondations de l’histoire, quitte à le laisser se diluer dans un métalangage assez peu clair. Cependant, c’est une œuvre mémorable pour la composition de ses tons pastels & la façon qu’elle a d’injecter des sentiments sous des apparences tellement peu susceptibles d’en dissimuler.
|
Dimanche : Avanti! (Billy Wilder, 1972) |
|
Critique détaillée à venir !
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Jamais vu la Juliette, mais ton article m’a bien plu.
Comment, c’est bien toi qui ton avis si simplement évoques ? ^^
Ah, «En sus ojos», tu réveilles de bon souvenir ! Le temps emporte les mémoires, ou plutôt les remplace, il faudrait que je le revoie pour m’en faire un avis complet, mais j’en ai le souvenir d’un film à la non-linéarité effectivement déroutante, au point de s’y perdre, un film grave, solennel, très maîtrisé, et parvenant effectivement à transmettre d’authentiques émotions sous ses atours un brin austères.
*bonS souvenirS, bien évidemment.
Une définition exhaustive et conforme à mon ressenti, effectivement. À se demander pourquoi je me fais ше à écrire des analyses critiques, hein. 😀