Dans les cinébdos, je compile mes critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Article écrit avec le soutien d’1 tipeur anonyme ! <3
Sommaire
Hôtel New Hampshire (Tony Richardson, 1984)
Oscar et la dame rose (Éric-Emmanuel Schmitt, 2009)
Une vie violente (Paolo Heusch, Brunello Rondi, 1962)
John Rabe (Florian Gallenberger, 2009)
Marock (Laïla Marrakchi, 2005)
Kill me again (John Dahl, 1989)
Image d’en-tête : John Rabe ; films 250 à 255 de 2019
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Mardi : Hôtel New Hampshire (Tony Richardson, 1984) « Thématique : Jodie Foster »* |
L’art ne va pas toujours dans la direction du monde et ce n’est pas une Jodie Foster de 22 ans qui va y changer grand chose. C’est un des premiers films où elle a joué qui ait sensiblement vieilli, et son ambiance rappelle bizarrement au pas très bon souvenir d’Aux bons soins du docteur Kellogg où récitait Parker le même genre de comédie ratant son décalage.
En fait de comédie, Richardson pratique le gavage, comme si la quantité de gags oiseux pouvait les relever de leur fange créative. Seuls Rob Lowe, Jodie Foster et Jennifer Dundas (inconnue et brillante enfant actrice) sont immunisés à cette purée familiale précipitée par un montage insensible dans autant de tentatives de métaphores que de contrepieds quasi-glauques.
Dès l’introduction, le film semble s’autoparodier, incapable de mesurer son humour et ne cherchant aucunement à implanter les personnages promis à disparaître. Il tente de se ressourcer dans l’improbable traversée de l’Atlantique d’une famille américaine qui veut donner dans l’hôtellerie à Vienne, à laquelle le livre donne à coup sûr une meilleure substance car dans le film, elle a des airs de caprice.
On comprendrait ce que le terrorisme vient faire là si une mesure à moitié cohérente avait été donnée, mais non : il va falloir faire avec l’idée qu’adapter un livre, c’est le copier, ainsi qu’avec des relations incompréhensibles allant de la négation des sentiments profonds à des scènes montées comme des farces qui ne trouvent pas leur place.
Je ne sais pas si Richardson recherchait quelque chose et que la frustration a fait de lui un Gatsby, ou bien s’il était normal qu’on pût enlever les hôtels de son histoire sans que cela semblât y enlever quoi que ce soit. En tout cas, c’est un visionnage peu plaisant où tout va trop vite vers pas grand chose.
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Mercredi : Oscar et la dame rose (Éric-Emmanuel Schmitt, 2009) « Thématique : Max von Sydow »* |
Quand un grand auteur s’attaque à la caméra, on est en droit d’attendre du ratage, et l’on se prépare à l’indulgence qu’il faut avoir pour accepter les écarts d’un art à l’autre. Et puis il y a les grands artistes comme Éric-Emmanuel Schmitt dont les seules fautes sont les déformations professionnelles, comme des dialogues trop beaux pour être honnêtes ou une naïveté graphique un peu trop grande.
[Spoilers] Mais un bon scénario et de beaux personnages ne lui ont pas suffi : le manque de tact de Michèle Laroque dans son rôle, il va falloir qu’il l’explique, ne laissant pour mystère que la raison pour laquelle elle a attiré l’œil, autrement que par ses habits roses, d’Oscar, dont elle va partager les derniers jours à la manière d’autres films de chevet.
Schmitt forge les liens en écrivain, moulant les formes de son environnement à sa guise d’une façon qui serait plus convaincante entre des pages qu’en images, mais rien ne laisse présager sa maîtrise d’elles ni la confiance qu’il place en des effets spéciaux parfois majoritaires et servant à donner la couleur de chaque scène, remplaçant ce qu’il a l’habitude de confier à l’imagination du lecteur.
Oscar a 10 ans et toute l’image est au service de la sienne, en échange de quoi les rebondissements rapides de son intelligence enfantine la remplissent de poésie. Laroque est trop extraordinaire pour que le gamin passe pour autre chose qu’un précoce et talentueux faire-valoir, toutefois jamais leur relation ne frisera le ridicule de cette gêne sociale si dure à transcrire – surtout entre deux générations – ni n’avancera trop vite par pudeur ou par raccourci. L’auteur n’a pas besoin d’en faire trop pour s’excuser d’aborder un sujet dur, et il en cueille toute l’émotion avec justesse et empathie.
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Jeudi : Une vie violente (Paolo Heusch, Brunello Rondi, 1962) « Thématique : langue italienne »* |
Les vies violentes du vieux cinéma, elles prêtent à rire aujourd’hui, engluées qu’elles sont dans le noir et blanc. Mais l’éclairage ne meurt pas, lui le porteur des motifs fantômatiques qui tout au long de l’œuvre jouent leur prophétie silencieuse.
Non, la violence n’est plus là, elle a trop vieilli, mais que devait-ce être alors comme contraste, à l’époque, que de lui opposer l’âme observatrice qui est celle de Franco Citti, romantique sans douceur et révolutionnaire fainéant duquel on ne s’attache qu’à une facette de sa personnalité d’adolescent trop naïf et trop mûr en même temps.
À vouloir jouer sur différents tableaux, Heusch et Rondi ne savent plus vraiment quoi montrer. Ils se sont amusés à envoyer valser les damoiselles dans les salles communistes, ont entr’aperçu la vie entre les barreaux et pavé le chemin néo-réaliste d’une jeunesse baby-boomante et confuse, mais alors quoi ? Citti préfigurait-il sa propre fin à seule fin que la sienne ne fût pas celle de l’époque entière qui est montrée ?
La vie est violente et elle est brillante, et variée, trop variée. Le film est impactant, mais il manque de ce qui lui permettrait de marquer les esprits, sûrement parce que ceux des spectateurs d’alors l’étaient déjà.
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Vendredi : John Rabe (Florian Gallenberger, 2009) « Thématique : langue allemande »* |
Le massacre de Nankin est un de ces bouts d’Histoire qui restent compliqués même quand on veut faire un film dessus. Sous la direction de Gallenberger, c’est un tas de nationalités et de cultures qui se rencontrent, sans toutefois entrer en conflit comme c’est leur travail de le reproduire.
Parmi ces nationalités, des Japonais, dont le gouvernement refuse à ce jour de reconnaître les massacres, ce qui a donné lieu à toutes sortes de problèmes de casting. C’est une bonne chose qu’un film sur un sujet dur soit lui aussi dur à produire. Non que cela nous rapproche d’une réalité déjà trop lointaine, mais c’est un boost à la crédibilité qui se fait bien sentir sous la peau de quelques durs à cuire comme Steve Buscemi, Daniel Brühl et Ulrich Tukur.
Ils sont confrontés à ce que c’est d’être juste, et le réalisateur ne cherche pas à nous faire croire qu’il s’agit juste d’être inflexible devant les outrages. Nombreux sont les moments où les représailles font voler cette justesse superficielle en morceaux, même si les personnages apparaissent un peu naïfs devant cette éventualité, ou que leur flegme devant la nécessité de défendre la justesse eût mérité d’être plus fragile.
John Rabe nous demande d’entrer très vite dans le film à la fois que dans l’Histoire, et avec le fait que tout est fugace, il peut être un peu dur à suivre, n’en déplaise à l’autorité géniale campée par Tukur. Ajouter des prises de vue d’archives, parfois crues, ce n’est pas le secret d’un bon film de guerre, mais dans leur intégration et le trompe-l’œil que le passage du noir et blanc à la couleur opère immanquablement, on se rend compte à quel point la volonté d’être ”juste” fonctionne bien.
L’image pourrait respirer mieux – on est en Chine, dans une ville, dans un camp, et il n’y a pas beaucoup de figures de style possibles pour excuser qu’on se concentrât sur les humains – mais les rapports politiques et culturels inspirent. Sous les diatribes de ces Hommes blessés, on apprécie une guerre pleinement ”mondiale”, quoique ce sentiment se perd à la longue.
Il ne faut pas attendre un film particulièrement sensible même si le sens de la justice qui y est exploité donne l’impression constante que c’est le but. On appréhendera cette fibre au détour de procédés moins visibles, comme un ”heil hintern” (”vive mon derrière”) promptement suivi d’une coupure et d’une réplique sévère comme indirectement adressée au spectateur : ”ça ne prête pas à rire”. Et c’est vrai. Un film de guerre sérieux, c’est austère.
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Samedi : Marock (Laïla Marrakchi, 2005) « Thématique : langues du monde »* |
Choisir un titre snappy, c’est risqué, car c’est s’assurer une certaine pérennité dans les mémoires quel que soit le degré de réussite de l’entreprise. Toutefois, on se rappelle de Marock pour son aura médiatique de toute manière : une affiche mielleuse et un slogan qui annonce une romance entre une musulmane et un juif. Mais… c’est juste extrêmement réducteur, en fait.
Marock est un film réalisé sous des égides féminines, et ça fait un choc quand on regarde pas mal de cinéma arabe. Le patriarcat demeure mais il n’a pas les airs oppressants que, à certaines occasions, il mériterait quand même ici, tout comme les dialogues semblent passer à peu de choses d’être marquants sans jamais vraiment décoller des répliques adolescentes.
Marock n’a de musique que celle dont il tapisse sa bande sonore, ce qui fait passer le titre pour presque mensonger. Mais outre le fait que les choix sont excellents, elle illustre la façon dont s’évadent les riches. Car on n’est pas dans un film maghrébin social tenu dans un bidonville : on est dans le Casablanca où les maisons sont vraiment blanches, où l’on a des professeurs particuliers et que les rues deviennent des circuits où faire la course avec ses gros moteurs.
Dommage, rien d’inattendu ni d’exceptionnel. Les aspects qui sont couverts dans la vie tentaculaire des adolescentes sont divers et touchent à des myriades de sujet propres à faire réfléchir, de sorte que Marock possède une valeur pédagogique qui n’est pas plus reconnue qu’elle n’était sûrement voulue. Cependant la réalisatrice ne prend pas de risques en-dehors de ces gros détails qu’elle évoque avec trop de subtilité, sans les développer assez. Le cadre est séduisant et certains plans sont propres à nous faire envier quelques vies le temps du visionnage, mais aucune justice n’est rendue – d’ailleurs, il n’y a pas d’injustices non plus.
Malgré un arrière-plan social et religieux tendu et donc fertile, Marrakchi ne semble pas se détacher de la réalité des beaux quartiers, en donnant pour résultat une représentation jolie et plaisante, mais sans rebondissements ni enjeux qui s’engage assez vite sur la voie de l’attendu, de la miévrerie et de la fin facile.
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Dimanche : Kill me again (John Dahl, 1989) « Hors-thématique »* |
Joanne s’appelait Whalley-Kilmer à l’époque de Kill Me Again. Elle et Val Kilmer tournent chez Dahl le deuxième film de leur mariage après Willow, dans un environnement nettement plus sec et moins fantaisiste qui fait passer le Nevada pour l’Australie avec sa jolie photographie.
Le but était peut-être de nous faire prendre la dimension de ces grandes étendues à l’Ouest des Rocheuses où tant d’autres road thrillers ont écumé les motels et lancé leurs œillades à Las Vegas, capitale autoproclamée des petits criminels far westiens.
On nous sert de beaux décors aussi bien propres ou figurés que sales et défigurés pour des courses-poursuites d’endurance entre les gros cailloux rouges. Aujourd’hui, on s’en fiche, mais le PEGI de l’époque placardait un joli -18 pour violence en UK et en NZ. Comme quoi les sorties de route étaient encore faciles à septième-artifier sanguinolemment, et c’est peut-être ce qui explique les plans semi-horrifiques plus datés qu’ils ne devraient l’être ainsi que la grande confiance placée dans le charisme des têtes d’affiche, laquelle pourrait titrer ”wanted dead on the screen”, sauf qu’aucune récompense n’a été attribuée.
Je louerai l’ambiguïté maintenue très longtemps dans l’intrigue, qui sans rien cacher (tout demeure même très évident) préserve un vrai doute sur le mobile des uns et des autres. L’entreprise est facilitée par le peu de prise de risque : une mafia floue dans l’arrière-plan, trois personnages principaux, pas vraiment de présence policière ni de parasites, bref : c’est un thriller au rabais qui fait un truc bien avec les quelques ficelles qu’il s’autorise.
Kill Me Again risque d’être mémorisé par certains pour ses très beaux paysages, ce qui n’est pas très prestigieux. C’est un Thelma et Louise sans tension, un Mad Max dépourvu de mystère qui croit bien faire avec des plans qui transforment le caméraman en espion et la ville de ”Last Chance” en préfiguration maussade d’une fin tout juste bonne à satisfaire les adeptes de maigres crescendos.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.