Quadrophenia est un film britannique de Franc Roddam sorti en 1979. Il est intimement lié à l’album éponyme des Who… Mais l’album fait-il la bande originale, ou l’inverse ?
J’avais vu le film deux fois déjà, et il m’avait paru noir. Étrange de voir que c’était bêtement littéral : les jeunes sont noctambules. Les jeunes, c’est tout un milieu dans lequel Quadrophenia rentre avec la plus totale compréhension du choc des générations, au point qu’il ne semble plus y avoir personne d’autre que des jeunes et leurs parents déjà vieux.
Plus aucun entre-deux, mais une binarité à tout crin où l’on doit s’identifier or ”be outcast”, comme le chante Daltrey. Pour aider à la mise en ambiance déjà efficace, on peut compter sur un tournage qui se souvient assez de Woodstock pour être juste ce qu’il faut de documentaire sur ce Londres qui le sent arriver (l’histoire se passe dans les années 60) sans trop savoir à quoi ça va ressembler. Une délicatesse qui fait rentrer l’œuvre dans son sujet sans qu’elle ait à forcer.
Un autre avantage de Quadrophenia – qui renforce aussi son côté documentaire -, c’est qu’il ne recherche pas les extrêmes : il jette un œil au milieu du milieu, tout comme les bandes à scooter envahissent le milieu de la route… nous faisant oublier qu’on conduit à gauche là-bas. Le héros n’est pas neutre, au sens où, en bon personnage, il faut qu’il lui arrive des choses. Mais avant ça, il est. Et il est… neutre.
Ni bon ni mauvais, ni fort ni faible, lui aussi veut faire partie d’un groupe pour affirmer son unicité et la concilier avec son besoin vicéralement social que les choses changent. Si les mods et les rockers anglais sont devenus un phénomène, c’est avant tout, je crois, parce qu’ils ne savaient pas exprimer leurs sentiments les plus simples, étouffés par leur éducation au point qu’ils ne savaient plus voir qu’une chose : « ça doit changer ! », et d’oublier comment formuler ça décemment. Les jeunes reproduisent d’ailleurs entre eux, par leur conflit, la binarité qui les sépare de leurs parents.
Alors quitte à être incapables de mettre leur amour en mots qui ne soient sexuels (pas un seul ”je t’aime” dans cette meute en chaleur) et à se créer l’illusion du changement par la drogue, les jeunes détruisent leur vie, confortés par la musique, cet art indomptable dont les paroles semblent les soutenir. On oublie vite que Quadrophenia est un film ”des” Who. Pourtant My Generation est une des chansons les plus emblématiques de tout ce que le film transcrit avec tant de succès. Chanson que le héros impose d’ailleurs à son entourage en remplaçant un disque en cours de route… Il se fait huer, puis l’ambiance l’emporte.
Roddam s’impose la nécessité de rendre l’album raccord avec le film, non d’une façon claire, mais poétique plutôt. On en a bien besoin dans ce Londres encore chargé de la poussière soulevée par les Cockneys, où l’on recherche le moindre moment de plaisir ; une émission, une pause cigarette, une grasse matinée, deux jours de vacances, une photo d’un genre que les parents ne toléreront que par souci de diplomatie… On fait tout pour tirer la ficelle.
En arrière-plan, toujours la musique, bien sûr. Un interrupteur que le réalisateur enfonce à loisir pour signifier la continuité ou la disruption, comme symbole d’une société qui se cherche. Les symboles, il y en a tant. Sting, dont le personnage est le héros de la chanson Bell Boy, est sans doute le plus monumental, surtout lorsqu’un acteur qu’on sait chanteur abandonne son organe pour ne jouer que de sa présence, fourbie d’illusion. Encore une métaphore parfaite d’une société aimant à fumer autant pour le plaisir que pour l’écran que cela crée. Créant presque celui du spectateur, qui peut s’y raccrocher comme s’il était solide afin de surmonter les barrières du temps, de la géographie et de la culture.
Le film s’aide ensuite d’un peu plus de neutralité : les parents ne sont pas les vieux croûtons têtus qu’on boude dans sa chambre, ils sont aussi les complices d’une maturité rendue difficile parce que la jeunesse a pour responsabilité de faire mûrir aussi le monde, et cela, tout le monde en ressent le poids, mais personne n’en a vraiment conscience. Ils sont le père qui pique une gueulante sans aller trop loin, qui secoue la tête avec nostalgie devant la façon ”moderne” de jouer de la guitare, qui moralise à coups de grands mots comme ”schizophrénie” que ni lui ni son fils ne comprennent. Ils sont la mère qui retarde la confrontation le plus possible, mais qui la rend définitive lorsqu’elle arrive. Une voie de sortie pour une jeunesse se voyant enfin libérée, dans la douleur et les plus grandes promesses. Suicidant ses propres symboles identitaires, préférant repartir à zéro.
Quadrophenia n’est pas qu’un excellent album qui a fait un excellent film. Il fait passer la musique pour accessoire en se basant pourtant dessus… tout comme les mods et les rockers y basaient leurs espoirs et les justifications de leur conflit sans but. Quadrophenia en est l’adaptation socialement brillante et cinématographiquement innovante.
Voilà un bien beau texte prompt à renvoyer la bille à tous les « grima-sieurs » qui ont boudé cette épopée d’époque, générationnelle de fait. Tête fracassée sur le mur du Floyd, je ne me suis jamais confronté au cri du sorcier Daltrey, n’y trouvant sans doute pas assez d’accords en harmonie avec mes aspirations. J’avoue que ton article fort bien conduit m’a fait tilter ! 😉
C’est un peu la même chose avec moi, même si j’aurais dû hériter des écoutes de la musique paternelle un goût égal pour les Who et Pink Floyd!