Dans le format des cours intuitifs, je transmets des méthodes que j’ai conçues ou améliorées moi-même pour m’aider à comprendre certains concepts dans les langues que j’apprends. Ce sont mes mots, mais qui sait, peut-être vous conviendront-ils aussi.
Cette fois-ci, je m’intéresse à la particularité que je préfère dans la langue turque : l’harmonie vocalique.
Les diagrammes sont de mon travail personnel dérivé d’un élément du domaine public.
Le principe
L’harmonie vocalique est au cœur de l’histoire turque : elle a forgé son vocabulaire. Aujourd’hui, les emprunts aux langues étrangères et l’évolution des voyelles l’a affaiblie, mais elle reste un élément fondamental de la grammaire, et particulièrement des suffixes.
Note : d’autres langues utilisent une harmonie vocalique, comme le hongrois ou l’estonien.
Les suffixes servent à énormément de choses en turc, comme l’accord des adjectifs avec la personne :
- kızgın : énervé ;
- kızgınım : je suis en colère ;
- yorgun : fatigué ;
- yorgunum : je suis fatigué ;
- üzgün : triste, désolé ;
- üzgünüm : je suis triste, je suis désolé.
Vous aurez remarqué que la terminaison en -m pour la première personne réutilise la dernière voyelle du mot. C’est l’harmonie vocalique. Mais attention : l’harmonie vocalique dépend toujours de la dernière voyelle du mot, mais cela ne veut pas dire qu’il suffit de la recopier dans la terminaison (comme le laissent croire les exemples précédents). La preuve :
- şişman : gros ;
- şişmanım : je suis gros.
C’est là tout le mystère de l’harmonie vocalique turque que je m’en vais décortiquer pour vous. Heureusement, comme le reste de la langue, elle est extrêmement logique.
Un peu de phonétique pour commencer
La position d’une voyelle est déterminée par trois facteurs principaux : la position verticale de la langue (aperture), sa position horizontale (point d’articulation), et si oui ou non les lèvres sont arrondies pour la produire. Le principe harmonique tient de ce que les voyelles turques sont positionnées avec une logique étonnante.
Dans le tableau ci-dessous, les voyelles turques sont représentées avec leur équivalent en français s’il existe. La voyelle <ı> (phonétiquement : /ɯ/) n’a pas d’équivalent français.
Dans ce tableau, les voyelles turques sont écrites en phonétique (en noir) avec la lettre qui leur correspond (en bleu). En rouge sont les voyelles arrondies.
La disposition des voyelles permet d’adapter les terminaisons selon deux types d’harmonie, en coupant le tableau en deux (harmonie simple) ou en quatre (harmonie complexe).
L’harmonie simple ou harmonie en E
Pour représenter l’harmonie simple, il faut couper le tableau des voyelles en deux.
De la sorte, on affiche les voyelles frontales (dites « claires ») à gauche et les voyelles postérieures (dites « sombres ») à droite. Pour chaque groupe de voyelles, il y en a une principale, entourée.
- Astuce pour reconnaître l’harmonie à l’écrit : les voyelles claires sont « à point », plus le E : <e,i,ü,ö> ; les voyelles sombre sont « sans point » : <a,ı,u,o>.
- Astuce pour reconnaître l’harmonie à l’oral : la langue (l’organe) est plus avancée pour une voyelle claire (faites l’essai avec le tableau des équivalents en français) ; si vous n’arrivez pas à le déterminer, vous pouvez toujours vous rendre compte qu’une voyelle sombre est plus ”gutturale”.
L’harmonie simple est très bien démontrée par le suffixe qu’on apprend en premier lorsqu’on apprend le turc, celui du pluriel : -ler/-lar (on l’écrit aussi -ler² pour simplifier). Le premier est le suffixe clair, le second le suffixe sombre. Tout mot est décliné selon le type de sa dernière voyelle : si la dernière voyelle d’un mot est claire, le suffixe utilisera la voyelle principale de l’harmonie claire, et si la dernière voyelle d’un mot est sombre, le suffixe utilisera la voyelle principale de l’harmonie sombre.
- çiçek, fleur ;
- çiçekler, fleurs ;
- karınca, fourmi ;
- karıncalar, fourmis ;
- inci, perle ;
- inciler, perles ;
- acı, épice ;
- acılar, épices.
Le locatif -de/-da (-de²) est un autre exemple d’application de l’harmonie simple.
- çiçekte*, sur / dans la fleur ;
- karincada, sur / dans la fourmi.
* Ici, la consonne s’adapte aussi. « Çiçekde » se prononce déjà naturellement « çiçekte », alors l’orthographe suit.
L’harmonie complexe ou harmonie en İ
L’harmonie complexe utilise aussi la distinction entre voyelles claires et sombres, mais y ajoute la distinction d’arrondissement des lèvres (reportez-vous au second graphique), de sorte que le tableau doit être coupé en quatre.
L’harmonie complexe distingue donc voyelles claires non arrondies, voyelles claires arrondies, voyelles sombres non arrondies et voyelles sombres arrondies. Là aussi, chacun des quatre groupes est mené par une voyelle principale. Le principe reste le même : tout mot est décliné selon le type de sa dernière voyelle : le mot se déclinera avec la voyelle principale de l’harmonie à laquelle appartient sa dernière voyelle.
Le suffixe -dir/-dır/-dür/-dur (aussi écrit -dir⁴ pour simplifier), qui signifie « c’est », « il est » ou « elle est », obéit à l’harmonie complexe.
- inci, perle ;
- incidir, c’est une perle ;
- acı, épice ;
- acıdır, c’est une épice ;
- kötü, méchant ;
- kötüdür, il/elle est méchant(e) ;
- karınca, fourmi ;
- karıncadır, c’est une fourmi ;
- baykuş, chouette ;
- baykuştur*, c’est une chouette.
* Même chose ici, la consonne s’adapte. « Baykuşdur » se prononce déjà naturellement « baykuştur », alors l’orthographe suit.
Parfois, l’harmonie vocalique s’applique aussi aux prépositions, comme la particule interrogative mi/mı/mü/mu (mi⁴).
- kedi, chat ;
- kedi mi?, est-ce un chat ? ;
- acı, épice ;
- acı mı?, est-ce une épice ? ;
- karınca, fourmi ;
- karınca mı?, est-ce une fourmi ?;
- baykuş, chouette ;
- baykuş mu?, est-ce une chouette ?
Vue synthétique
Dans le vocabulaire
À l’origine, les mots turcs respectaient entièrement l’harmonie, mais des exceptions sont nées comme « kardeş », « frère », qui prend son pluriel en « kardeşler » comme tout mot de l’harmonie claire ; pourtant, son autre voyelle est sombre, ce qui s’explique du fait que le mot en vieux turc était « kardaş », avec un pluriel sombre « kardaşlar ». De la même manière, « ateş » (« feu ») vient du vieux turc « ataş » (le mot « ataş », quant à lui, signifie « trombone à papier » depuis qu’il a été emprunté du français « attache »). On peut voir que l’harmonie a suivi, mais ce n’est pas le cas de certains emprunts qui n’harmonisent pas la terminaison, par exemple : « alkol », « alkoller ».
Sources
Pas de sources ? C’est que l’article vient de mes connaissances personnelles et que je fais directement corriger mes infos par des natifs ou des personnes plus compétentes que moi. En l’occurrence, Avlönskt et un natif anonyme sur Discord. Merci à eux !
J’espère que ma méthode vous aura aidé. Si vous n’avez pas compris une partie du cours, n’hésitez pas à m’engueuler en commentaire et je boucherai les trous !