Quels sont les rôles et les origines de l’écriture automatique, et comment s’y prend-on ?
Avant de devenir un procédé littéraire, l’écriture automatique a été popularisée par le mouvement surréaliste, la psychologie, et, plus tôt encore… par le spiritisme ! Je vais retracer son histoire dans l’ordre avant de la décortiquer.
Sommaire
- Historique
- Description
- Mode d’emploi
- Pourquoi faire de l’écriture automatique
- Exemples et conclusion
- Sources
Historique
”Psychographie” : c’est le premier nom de l’écriture automatique. Elle l’a acquis en 1861 sous la plume du fondateur du spiritisme lui-même, Allan Kardec, dans Le Livre des médiums. Le procédé est ensuite décrit par Hippolyte Taine, philosophe de son état, en 1878, dans son ouvrage De l’Intelligence.
[…] [Une personne] écrit sans regarder son papier des phrases suivies et même des pages entières, sans avoir conscience de ce qu’elle écrit.
Une recherche Google nous apprend vite que la psychographie est toujours utilisée par les médiums. On sera informé qu’il est dangereux, en écriture automatique, de croire que c’est l’inconscient qui parle et non un esprit. Heureusement, un bon conseil accompagne de tels avertissements : on peut brûler de l’encens pour se purifier de la possession.
Bref.
En 1889, la psychographie se fait une place en psychologie car elle permet de faire parler l’inconscient du patient en le désinhibant de ses réactions conscientes. Cette année-là, le philosophe et psychologue Pierre Janet décrit dans son ouvrage L’automatisme psychologique l’usage qu’il en fait.
[…] voici la main qui s’agite et écrit la réponse sur le papier, sans que, pendant ce temps, [la patiente] se soit arrêtée de parler d’autres choses. […]
On n’est pas encore dans le domaine de la création mais il s’agit de la première description scientifique des effets de l’écriture automatique.
En 1919, André Breton et Philippe Soupault publient Les Champs Magnétiques, premier ouvrage rédigé en écriture automatique. Breton regrettera plus tard que le procédé ne fût pas mieux employé mais l’ouvrage signa le début du mouvement surréaliste à lui tout seul.
Description
Selon son père, André Breton, l’écriture automatique créative, c’est ça :
Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l’état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. […] Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire.
Je ne vais pas recopier tout le Manifeste du surréalisme de Breton (1924), mais quelques concepts clés émergent de cet extrait :
- Breton n’allait pas chercher son matériel d’écriture lui-même ;
- il s’agit d’être passif ;
- réceptif ;
- et il faut se concentrer sur soi-même.
Ces notions illustrent bien ce qui peut se faire méprendre l’auteur automatique en lui faisant croire que quelqu’un d’autre écrit à travers lui.
L’interprétation spirite abuse un peu d’encens, mais c’est précisément l’impression que les surréalistes cherchent à produire. Je parle de l’effet de dissociation, pas celui de l’encens. Les surréalistes cherchent à le produire avant tout sur eux-mêmes, car on est le premier lecteur de ce qu’on écrit en écriture automatique et, oui, ça peut avoir un côté effrayant.
L’écriture automatique est en quelque sorte un gribouillage avec des mots. C’est d’ailleurs à peu près l’idée derrière la peinture automatique aussi.
On parle souvent de fond et de forme d’un texte. L’écriture automatique, c’est une super-forme : il n’y a pas de propos. Ce qui intéressera son lecteur, ce sera l’incongruité des sonorités, de la syntaxe et des images évoquées par une trame qui semblera tissée de fils de rêves, sans cohérence mais imprégnée d’une beauté outre-mondiale… surréaliste.
L’écriture automatique est un spectacle littéraire de l’absurde, à la fois facile et difficile car il n’a cure des conventions mais nécessite de s’hypnotiser tout seul. Par contre, il est toujours jouissif quand on le découvre et libérateur à la conception.
Mode d’emploi
Les mots de Breton peuvent être un peu abstraits, alors voici mon interprétation pratique de ses conseils. Avant de vous perdre, je vais vous asséner un principe fondamental :
Pour faire de l’écriture automatique, il faut se déconcentrer.
Maintenant j’explique.
Être passif, cela veut dire ne pas réfléchir et surtout ne pas se juger. On doit éliminer tout raisonnement et toute réflexion (dans la mesure où vous ne vous mettez pas à sniffer de l’encens).
Être réceptif, cela signifie tout laisser entrer. Ne triez pas vos sentiments, laissez tout aller sur la feuille. Intégrez tout ce qui vous passe par l’esprit sans y penser ni essayer de faire des liens.
Se concentrer sur soi-même, c’est la partie la plus délicate. Cela veut dire s’hypnotiser – d’ailleurs, si vous savez le faire, profitez-en pour expérimenter. Je n’en ai pas besoin quand je fais de l’écriture automatique pour soulager une « crise créative » mais j’ai essayé d’écrire automatiquement sans ça, pour l’expérience, et voici mes conclusions :
- isolez-vous sensoriellement (préférez un environnement calme à moins que vous puissiez vous enfermer dans votre esprit) ;
- ne pensez à rien volontairement et pensez en mots, pas en images ;
- si possible, ne regardez pas la feuille / l’écran.
Cela revient à se relaxer et tient du même principe que les idées qui nous frappent sous la douche, quand plus rien ne nous distrait. J’ai trouvé une citation à ce sujet :
When our minds are at ease […], we’re more likely to direct the spotlight of attention inward, toward that stream of remote associations emanating from the right hemisphere. In contrast, when we are diligently focused, our attention tends to be directed outward, toward the details of the problems we’re trying to solve ¹.
Quand notre esprit est relaxé, on dirige plus facilement notre attention vers l’intérieur, en direction du flux d’associations exotiques qui émane de l’hémisphère droit [du cerveau]. À l’inverse, quand on est concentré et consciencieux, notre attention se dirige vers l’extérieur, vers les détails des problèmes qu’on tente de résoudre.
(Ma traduction)
Vous devez prendre le premier mot qui vous vient à l’esprit et jeter votre dévolu sur les tournures les plus spontanées. Ne vous souciez jamais du résultat. Oubliez votre enseignement, qu’il soit littéraire, grammatical ou même orthographique si cela doit vous freiner. Ne regardez jamais en arrière et ne vous corrigez pas avant d’avoir tout à fait fini.
Don’t judge your ideas at this stage. There’s a reason they occurred to you this way ¹.
Ne jugez même pas vos idées. Il y a une raison si elles vous sont venues de cette manière.
(Ma traduction)
Pourquoi faire de l’écriture automatique
Pour m’en tenir à l’écriture automatique créative, qui est la seule que je pratique, j’y vois deux atouts majeurs :
- elle est idéale si l’on a envie d’écrire mais ni sujet ni inspiration ;
- c’est de l’écriture thérapeutique dans l’absolu.
L’écriture thérapeutique désigne la pratique de la création littéraire dans le but de se faire du bien. En écriture automatique, on rédige vite et l’on ne met sur papier (ou sur écran) que les choses qu’on a sur le cœur, puisque c’est directement sur lui qu’on branche la plume (ou le clavier).
C’est bien là la raison à ce que la psychographie ait été une pratique quasi-médicale. On peut aussi parler d’écriture automatique quand un auteur se surprend lui-même avec ce qu’il vient d’écrire, ce qui peut arriver dans l’immersion même s’il se soucie de l’orthographe, de la grammaire et du style en même temps – une sorte de transe d’écriture.
Exemples et conclusion
À titre d’exemples, je vous dirige sur certains de mes textes écrits automatiquement :
- Inévolution (129 mots), pure écriture automatique ;
- Le gentilhomme ozoné (448 mots), mi-poème, mi-micronouvelle, où la trame a fini par émerger toute seule sans que je cherche à la contrôler ;
- Coffre au cœur (~ 30 900 mots), roman court écrit sur une forte base automatique (j’ai créé tous les liens et un semblant de cohérence avec les relectures seulement).
L’écriture automatique, comme beaucoup de tenants de l’absurde et du surréalisme, est assez peu pratiquée et connue surtout d’expérimentateurs ou des lecteurs d’André Breton. Pourtant, je trouve que les sessions d’écriture les plus satisfaisantes sont faites en écriture automatique. L’article Wikipédia est consulté par moins de 100 personnes par jour et il y avait même des points d’exclamation dedans que j’ai dû retirer ! Alors que ça parlait de linguistique, en plus. Quel scandale.
Moi, ce sont autant de choses qui me tiennent à cœur. J’espère avoir bien transmis ce sentiment et avoir su l’émailler de conseils utiles. L’espace commentaires est toujours ouvert aux insatisfaits !
Sources
- What is psychography?, psychography.org
- Automatic writing and Psychography: Related Terms, thesaurus.plus
- em>Automatism and Psychography: Related Terms, thesaurus.plus
- Why We Have Our Best Ideas in the Shower: The Science of Creativity, Leo Wildrich, Open Blog
L’écriture automatique, je vois ça comme du spontané réorganisé – «spontané» car on se laisse aller, on ressent l’écriture au lieu de la penser (comme tu dis, «passif plutôt qu’actif», aucun sous-entendu, -hum-), «réorganisé» car quand on veut écrire une histoire, il faut bien faire prendre la sauce obtenue en un tout homogène. Du coup, c’est un bon équilibre entre l’écriture construite de A à Z, et l’expérience mystique sur papier. Perso je pratique peu, mais j’écris beaucoup avec ce qui me vient des rêves, que je retranscris ensuite (ça existe, l’onirographie ?). Pour ceux qui aiment les ambiances à la fois barrées et intimistes (car y’a beaucoup de notre moi profond qui transparaît dans ces trucs, mine de rien) c’est l’idéal.
PS: je déconseille quand même à quiconque d’invoquer les esprits pour faire de l’écriture automatique, comme feu Allan Kardec. Si vous n’y croyez pas, disons qu’au mieux vous vous auto-hypnotisez, ce qui laisse votre inconscient complètement sans remparts pour le défendre (donc malléable à merci), si vous y croyez, vous devez déjà savoir qu’il vaut mieux ne pas «ouvrir certaines portes» à n’importe quelles entités…
Je dirais « désorganisé » personnellement. Pour l’écriture mystique, je ne peux que relayer le conseil : procure-toi beaucoup d’encens.
Ou apprends à tourner sur toi-même, comme Al Rûmî ^^
Non mais la mystique a quand même pas mal donné à la littérature – j’y inclus les types beurrés et ceux qui étaient complètement stone, qu’auraient fait Baudelaire ou Rimbaud sans la fée verte et l’opium ?
Après, c’est une opposition aussi vieille que la littérature elle-même, Thomas Mann considérant que les sentiments et les expériences couchés sur papier, sans être travaillés, pensés et organisés, produisent une littérature médiocre, et bien d’autres auteurs (dont les surréalistes que tu as cités) qui a contrario ne juraient que par ça. À chacun de trouver sa voie, comme auraient pu dire de vieux maîtres chinois un poil encensés, dans tous les sens du mot.
Oui, les défenseurs de telle école nous jettent leur enseignement du haut de leur tour d’ivoire aka « biais du survivant ». Je m’en méfie comme de la peste (quoique c’est un peu anachronique).
mi-microunouvelle << Pas de U 🙂 (Suov zerongi'm srola euq ej suov emia…)
Est ce qu’il faut faire quelque chose apres ?
Après ? Découvrir ce qu’on a écrit avec un plaisir ébahi. 🙂
[…] L’écriture automatique ✍️ est un exercice qui consiste à écrire ses pensées profondes sans réfléchir, sans chercher à trouver les bons mots, sans se censurer et en laissant son inconscient parler. Cet exercice peut révéler énormément d’éléments sur un mal-être, des blocages ou un potentiel inexploité. […]
[…] pour me plonger un peu plus dans ma bulle lors des phases où j’utilisais le processus de l’écriture automatique, j’ai écouté pas mal de musiques. En faire la liste serait trop longue, mais je peux vous […]
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