Depardieu survit dans la continuité de mes explorations cinématographiques ; je coupe le reste de la semaine avec des découvertes impromptues chez Villeneuve et Fincher, en passant par le médiocre Blanche Neige.
Sommaire
Le Garçu (Maurice Pialat, 1995)
Blanche Neige (Tarsem Singh, 2012)
Enemy (Denis Villeneuve, 2013)
Gone Girl (David Fincher, 2014)
Image d’en-tête : Enemy ; films 103 à 108 de 2019
Lundi : Le Garçu (Maurice Pialat, 1995) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Pialat écrit des dialogues, dit-il. Curieuse pratique que de recréer ce qui se dit au plus proche de la réalité. Pour son dernier film, Pialat a poussé le vice jusqu’à faire jouer son fils dont on est incapable de dire s’il était acteur ou garçon ignorant de ce que les caméras faisaient autour de lui.
« Autour », c’est d’ailleurs bien le mot, car les scènes tournées avec Antoine Pialat donnent l’impression qu’il est le cœur de l’attention, la genèse de toute improvisation, et malgré la qualité du travail de Depardieu et Géraldine Pailhas, ils passent pour secondaires. Par ailleurs, la spontanéité que le gamin génère n’est pas égale dans des plans dont il est absent, et qui jurent par ce contraste mais aussi par l’écriture radicalement différente.
Le résultat, c’est que chaque scène paraît être le passage obligatoire d’un pan de l’histoire à un autre, réglée par des acteurs à la grâce et au talent comparable aux figurants de chez Mocky (ça veut dire « nuls ») avec lesquels tout le monde compose heureusement pour constituer cahin-caha un truc qui tienne la route. Et puis ça, c’est réussi, malgré toute l’ostentation avec laquelle Pailhas cache sa nudité à… personne, puisque seule la caméra se tient devant elle.
Bijou d’interprétation, Le garçu est plus expérimental que dramatique, plus familial du côté des acteurs que du spectateur. Pialat a osé pousser, une dernière fois, le bouchon de sa marginalité plus loin, s’en retournant au pays auvergnat avant de quitter les caméras. Familialement exaltant, il est emporté par le fils du réalisateur et… personne ne suit vraiment.
Mardi : Blanche Neige (Tarsem Singh, 2012) « Thématique : Julia Roberts »* |
Sorti la même année que Blanche-Neige et le chasseur, c’est un duel de cinéma qu’a joué Tarsem Singh avec sa création. Si l’autre lançait la carte d’un spin off noir, lui s’est conformé à l’histoire pour sortir un divertissement familial et baroque.
Il ne sait pas tout filmer, en témoignent des scènes de combats restituées par un changement de plan toutes les demi-secondes, tant et si bien qu’on n’y lit plus rien de grisant. C’est d’ailleurs à peine si le film titille la moindre fibre spectatoriale, hésitant gauchement entre l’affectation de dialogues à l’ancienne et les mots plus modernes et plus amusants ; c’est ainsi que se côtoient « wee » et « shut up », « bizarre » et « psycho ».
Si c’est ça, le familial, ça n’agrée guère aux sens ni à la logique. Pas plus, d’ailleurs, que le reste des anachronismes moraux ou culturels conduisant même le régisseur à nous offrir une scène finale dansée comme si l’on venait de regarder Madagascar dans des tons orientaux. Les cordes sont immenses. Et c’est bien dommage car il ne s’en fallait peut-être pas de tant que la cohérence fût à la hauteur modeste mais respectable de la créativité graphique.
Le personnage de Nathan Lane est parfait, malmené, obligé de jouer un double jeu tout en occupant décemment sa place de comique et de gentil, survivant dans l’adversité d’un scénario qui lui tend des ficelles sous les jambes au risque de l’user ; la reine Julia Roberts n’est pas mal non plus, éloignée des clichés parce qu’elle est méchante sans être cruelle, non interventionniste sans être timide.
On reconnaît bien l’histoire, mais elle est refondue : [spoiler] pas de frustration, l’épisode de la pomme lui-même est euphémisé dans ce château en forme de poupe de bateau où un tourbillon disneyiforme nous envoie sur les côtes du happy end [/spoiler]. Légère, mais assez ridicule, l’œuvre prend forme sous ses pierres d’achoppement, mais il lui manque encore l’envol d’un casting qui serait totalement libéré de ses allures pâlotes du mannequinat.
Mercredi : The Wiz (Sydney Lumet, 1978) « Hors-thématique »* |
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Critique détaillée ici.
Jeudi : Sicario (Denis Villeneuve, 2015) « Hors-thématique »* |
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Critique détaillée à venir !
Vendredi : Enemy (Denis Villeneuve, 2013) « Hors-thématique »* |
Ayant réalisé d’abord Enemy puis Prisoners (même s’ils sont sortis dans l’ordre inverse), Villeneuve s’était dégagé l’esprit pour faire de l’un un film noir et de l’autre un film… jaune. Un avant-goût de la lumière dont il entourera Tomas Lemarquis dans son petit rôle sur Blade Runner 2049, et un filtre entêtant sur la ville ainsi pastelisée.
Sa passion des bruitages se retrouve mieux que dans Prisoners, avec la façon dont il mêle la musique à des pas qui semblent battre la mesure en introduction. Laquelle est aussi absconse sur le court terme que tout le film se révélera l’être au final. Elle procède aussi de l’anesthésie, parallèle aisément établi lorsqu’on voit la place allégorique des araignées et des jeux d’ombres qui mettent les coins en valeur (d’ailleurs, les diagonales villeneuviennes sont moins prononcées ici).
Cette anesthésie est à double tranchant : elle est ce qui nous permet d’évoluer dans les dimensions toujours bien lissées du régisseur, moyen choisi par lui pour se faire passer des choses avec rien (ainsi que je le remarquais aussi dans Sicario). Mais c’est elle aussi qui permet l’étirement des éléments les plus déroutants jusqu’à ce que le film franchisse le point de non retour du psychologique confusant.
La monotonie et la lenteur dégagent certes beauté et fascination, et de la peur aussi – comme une araignée –, mais il n’y a que l’image qui ne soit fade, et rien pour la satiété de l’esprit que cette fascination, qui, oui, bon, je le concède, est quand même très forte.
Je n’hésitais pas vraiment à lui donner un score positif, mais il y a autre chose qui m’y pousse : c’est la pensée que Villeneuve place dans chacun de ses films et qu’il sort ici directement du cinéma pré-hollywoodien dont il émergeait à peine, et qui porte sur les petits acteurs, vecteurs quasi-anonymes d’un cinéma de l’ombre que Gylenhaal supporte très bien malgré la monovisagite dont le réalisateur tenait apparemment à affecter tous ses rôles principaux.
Un bijou lustré, un peu frustrant, qui a partiellement tort d’excuser sa complexité par sa beauté.
Dimanche : Gone Girl (David Fincher, 2014) « Hors-thématique »* |
Ayant déjà fait montre d’une incroyable maîtrise des espaces avec L’Étrange Histoire de Benjamin Button, Fincher remet ça et donne tout dans la représentation spatiale de la maison en général, une géographie ménagère précieuse dans un film criminel. Criminel ? C’est là que j’avertis que cette critique sera toute en spoilers.
La conception policière de l’histoire ouvre sur une intrigue qui se construit un peu vite autour du doublet classique du détective américain et de son assistant (lequel tient un impressionnant second rôle). La précipitation se ressent ensuite dans une mayonnaise qui prend trop rapidement, des enflements pressés qui font figure de médiocres rebondissements. Mais c’est aussi une entrée sur une grande psychologie et une certaine charge émotionnelle, dispensées dans un ultime nuage de ratage qu’on détecte dans la trop grande préparation de l’ensemble (même s’il faut concéder qu’une intrigue complexe et claire ne laisse pas grande place à la spontanéité).
Abusant un peu des interstices flottants entre les scènes, Fincher construit des fondus émotionnels qui reproduisent bien la trépidation d’une enquête et qui font une bonne recette pour un film long. Et puis Gone Girl révèle qu’il n’est pas tant un thriller qu’un film psychologique, un Prisoners au goût de Columbo et de montée en puissance juridique. Le machiavélisme explose dans une horreur névrotique posant une grande question : de cette Gone Girl piégeant son mari jusqu’à le faire accuser de meurtre, ou du mari lui-même, qui est le pire ?
Médiatiquement intéressant, amenant la manipulation des apparences au premier plan, Fincher mélange domotique décorative, selfies et « wtf » interjectifs pour nous faire réfléchir au droit à l’image dans l’ère post-smartphonique. Un cadre nouveau où le réalisateur se donne à cœur joie pour disposer toutes les raisons qu’on a de profiter de chaque étape de la procédure, ne mettant jamais un personnage de côté, respectant toujours la plus pure priorité sans objetifier ses interprètes.
Bien qu’un peu systématique, Gone Girl est extrêmement satisfaisant dans plusieurs thèmes : policier, psychologique, il est aussi toujours porté sur son côté familial. Il explore les vraies apparences en se concentrant sur les fausses. Pensé pour ce qu’il est, il déborde juste un peu des contours.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Pialat, peintre frustré, n’aimait aucun de ses films, à part son premier. De « l’enfance nue » au « Garçu » le chemin parcouru fait œuvre néanmoins, dépasse l’avis même du cinéaste. J’aime beaucoup ce film que je voudrais revoir.
Tu parles très bien de Gone Girl, thriller mental plutôt subtil.
Je n’aime pas vraiment Pialat, mais je n’ai pas vu son premier ; c’est Depardieu que je suis pour le moment.
Je crois que je n’avais pas eu envie de voir cette version de Blanche Neige… je trouvais que l’univers familial dont il se voulait le garant me semblait ne pas coller avec l’histoire originelle…
Quant à Gone Girl, c’est une pépite de thriller, je te rejoins également là dessus ! Il faudrait que je lise le roman d’ailleurs.
À en croire le film, le roman doit être épatant ! Ça m’a rappelé Room.
Ça c’est sûr ! Jamais vu mais vu ce que j’en sais, indeed !