De New York au Burkina Faso, de Paris à Hambourg, de Bergerac à İstanbul, je crois que ce cinébdo est un vrai globe trotter. Des expériences mitigés mais conclues par deux merveilles.
Sommaire
Élisa (Jean Becker, 1995)
Duplicity (Tony Gilroy, 2009)
Hannah et ses sœurs (Woody Allen, 1986)
Yaaba (Idrissa Ouedraogo, 1989)
Julie en Juillet (Fatih Akın, 2000)
Cyrano de Bergerac (Claude Barma, 1960)
Image d’en-tête : Julie en juillet ; films 80 à 85 de 2019
Lundi : Élisa (Jean Becker, 1995) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Si Jean Becker est plutôt connu pour être un vieux réalisateur champêtre de ce siècle, il prend ses racines dans le goudron parisien, se dédiant aux banlieux et son film à Gainsbourg. Il lui emprunte un prénom, porté par la mère à l’écran de Vanessa Paradis. Ce n’est pas un crime au paradis, mais pas loin, sauf que le paradis, lui, est loin.
Derrière une introduction sans sensibilité, aussi dure que pressée, l’établissement d’un bon lien entre les personnages requiert pour Becker qu’il en fasse trop, dans un naturalisme si acéré qu’il en perd son « al ». Si le trio aux airs d’August Rush tient la route (ou la rue, d’ailleurs), c’est au prix d’une misère sketchifiée, forte mais parcellaire.
Les inquiétudes tombent (et les habits de Vanessa Paradis aussi, vraiment sans raison aucune) avec les quelques bombes d’émotion qui détonnent autrement que cette pauvre intro. Dans une gloire de la crasse empruntée à Blier, Becker becquète bonassement les fruits mûris au soleil breton d’un grand vide qui s’emplit tout d’un Depardieu. Gris dans la mise en scène et dans l’humeur, il prend des couleurs dans la justesse de l’espoir, guidé quand même par des acteurs égaux dans le talent.
Mardi : Duplicity (Tony Gilroy, 2009) « Thématique : Julia Roberts »* |
Est-on de retour dans la Guerre Tiède hollywoodienne, où complexité était mère de scénarios ? Sauf que Duplicity entre aussi dans l’ère du plot twist, lequel va construire l’intégralité des rebondissements. Au cœur d’un espionnage industriel grandeur nature, c’est un script digne de Dan Brown qui se déroule en trois dimensions, d’avant en arrière, dans un bourdonnement continu et tout dialogué qui ne sera pas pour déplaire.
Mais Gilroy, habitué d’histoires en tire-bouchons, ne cherche même plus à faire comprendre le sens de ses scènes en quadruple jeu et multiples enjeux. Comme si traîner dans la queue de la comète devait nous suffire. Il faut décidément trop se concentrer pour saisir la moindre once de ce brouhaha d’ambassades, de magouilles, de shampooings et de dollars. Il ne suffisait visiblement pas d’aller de bas en haut du concept pour donner une idée de sa hauteur.
Le bon point est dans la dimension personnelle de l’histoire, le double fond qui fourre cette tapisserie de traîtrises intéressées. Clive Owen et Julia Roberts reforment un couple aussi instable qu’avec le Closer de Mike Nichols, une relation sans confiance qui est l’apologie et la dénonciation de ce surplus d’inclarté. Ils lui donnent une aura, mais le sauvent pas de ses abus.
Mercredi : Hannah et ses sœurs (Woody Allen, 1986) « Thématique : Max Von Sydow »* |
Woody Allen, c’est un nom qui fiat déjà toute une page de script. On peut s’attendre à du bavard et l’on ne sera pas déçu. Une histoire si bien pensée aux yeux de la majorité qu’on a tenté de lui faire courir le Pulitzer.
Avec Allen, il y a toujours un capharnaüm volontaire où il ne se fait acteur que pour se déprécier et n’ouvre les portes que pour reproduire un théâtre en extérieur. Une obsession si vivace qu’il a ni plus ni moins tourné dans l’appartement de Mia Farrow. Pendant qu’elle et ses enfants y vivaient.
À ce jour, ce film est à la fois le premier où je vois Carrie Fisher en-dehors de Star Wars, et le premier Allen qui ne me fait pas (plus) détester son plateau de tournage figé à travers les décennies et les rues de New York. Il peaufine son talent de formation des personnages, ces acteurs déconstruits puis reconstruits sur place comme s’ils avaient seulement changé de dimension pour se jouer eux-mêmes (sauf Michael Caine qui hérite de la moumoute et ne peut s’empêcher de rapprocher sa personnalité de celle de son réalisateur et ami).
Il constitue une histoire qui n’a pas l’air de flotter sur les vagues d’un naturel forcé, mais plutôt sur un support moelleux qui justifie la prégnance des petits soucis, autre manie parfois gênante du régisseur. Les évènements ne sauraient survenir autrement que dans l’emboîtement des personnalités. Il nous fait oublier où l’on est, ce que j’ai du mal à concilier avec le fait que, au-delà de ma critique et très subjectivement, je n’ai pas aimé l’histoire. Qu’un film me mette dans le doute est déjà une réussite.
Dans l’humour, il reste fidèle à lui-même, ce qui est particulièrement énervant là aussi car je n’ai jamais aimé cette affection pince-sans-rire et diluée qu’on doit saisir au vol. Pourtant, moitié subtil, moitié émaillé de culture, il a sa place. Se couvrant d’un ridicule moins grossier qu’à l’accoutumée, il s’autorise à se laisser paraître pour intellectuel en moquant la religion par sa bêtise à lui, sans qu’on perdît de vue l’argument.
Le micro-rythme des dialogues, celui qui gère les changements d’humeur et d’avis, évolue en direct et va et vient, un risque rentable témoignant du souci d’Allen pour le détail innocent ou grotesque qui va tout signifier. L’avis négatif est en fait beaucoup subjectif : je reprocherais les choix musicaux, l’abondance de dialogues, les petits problèmes qui prennent la tête du spectateur, la prégnance d’un familial hypocrite, la platitude des transitions visuelles (bâtiments et dinde de Thanksgiving ont le point commun de lasser vite) et la sempiternelle récurrence d’Allen dans son petit monde. Les bribes d’objectif là-dedans justifieront que je ne ferai pas d’éloge pulitzerien à Hannah et ses sœurs.
Vendredi : Yaaba (Idrissa Ouedraogo, 1989) « Thématique : langues du monde »* |
Le marché du film au Burkina Faso… Ayant médité ces mots, il est difficile de ne pas être admiratif devant ces gens qui sont soudain devenus acteurs, simulant leur vie quand leur vie est tout ce qu’il y a de plus vrai. Il aura fallu que la France, la Suisse et la moribonde Allemagne de l’Ouest s’en mêlent, apportant leur art, leurs conseillers techniques et leur argent au petit pays pour lui faire sécréter sa soumission aux Academy Awards.
Ce cosmopolitisme, très déplacé en théorie, n’empêche pas que le film est familial. La vie de village est la vraie, et pas un mot emprunté aux langues européennes ne fuit des lèvres de ses personnages. La savane, il y en aura beaucoup trop, une overdose témoignant de notre aveuglement sur le fait que ça doit être… beaucoup comme ça. Il y aura trop de tentatives, en revanche, de sortir les burkinabés de leurs habitudes : les gestes ne sont pas naturels, l’éducation des enfants et les conflits sont fondés sur des leitmotivs, des modèles qui se répètent. C’est un accroc qui est sans incidence sur la qualité cinématographique indiscutable, une vie qui est tournée brute sans pourtant manquer d’ambiance. On sent simplement pourquoi Ouedraogo est accusé de trop s’adresser aux Européens.
Samedi : Julie en Juillet (Fatih Akın, 2000) « Thématique : langue allemande »* |
Le road movie, c’est par « essence » le goût du goudron, un air d’aire de repos mais de repos, point. C’est pourtant la saveur d’une faveur qui rend Fatih Akın si passionné. Une romance aux apparences de demi-tour, jamais une impasse. Un trajet où tout va se mélanger, par exemple l’insécurité du personnage confronté à des démons ancrés dans un extrait d’Hambourg un peu court mais incroyablement vivant, mais aussi les directions multiples généralement évités par le cinéma, parce qu’elles donnent des choix.
Par l’Italie ou l’Europe de l’Est, on ira de Turquie en Allemagne. Sur les ailes d’une insouciance allant de pair avec la chatoyance de ses tons estivaux, Im Juli porte bien son titre original : en juillet. Mais le jeu de mots aidant, c’est aussi « I’m Juli », du nom de la décoinceuse de mœurs que le personnage de Christiane Paul va représenter pour celui de Moritz Bleibtreu – sans le débarrasser d’un ahurissement mignon mais par moments bébête qui m’a rappelé Patrick Mille.
Les vacances sont moins qu’un thème, juste un cadre, pourtant elles remplissent le film avec une présence énorme qui gicle même sur la rudesse normalement anxiogène d’une nuit sur l’autoroute. Et l’insouciance est récompensée : semblable en ça à Little Miss Sunshine (Jonathan Dayton, Valerie Faris, 2006), elle va démonter le drame et le laisser en plan, juste de quoi rendre l’histoire jubilatoire, un peu absurde et très poétique – quoiqu’Akın dépasse un peu les « bornes » quand il ridiculise la police pour diverses raisons.
Il semble aussi que le mal, qui n’a pas été mis seulement parce qu’il était censé être là, est en « roue libre » et comble trop nonchalamment une dichotomie qu’il faudrait nourrir ou ignorer. Instable, peut-être par inexpérience ou peut-être par expérimentation, Im Juli reste un absolu du road movie feel good. J’écris le brouillon de ma critique sur tablette et le correcteur me propose de compléter « good » en « Goodyear ». La conclusion parfaite, car oui, Im Juli roule tout seul et mérite qu’on s’en rappelle au moins toute une année.
Dimanche : Cyrano de Bergerac (Claude Barma, 1960) « Hors-thématique »* |
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Que l’auteur ne m’en veuille, je recommets céans
Des vers pour le louer, ce monstre de Rostand
Car volant à mon sens la gloire à Depardieu
C’est Daniel Sorano qui franchement fait mieux
En vedette magique, il envole le vers
Qui ne saurait chez lui dévaler à l’envers
La pente noire et blanche si télévisuelle.
Car oui, Claude Barma délivra cette perle
Sur le petit écran, un monde bien modeste
Qui ne fait pas savoir la grandeur de ses gestes.
Aux prémices du texte (ou 80%),
On ajouta le rythme, et un large talent
Pour plus de mouvements, une interprétation
Chargée finalement, en plus de l’émotion,
De force précision, qui même dans la taille
Ne perd pas la moindre once de la peine qu’il vaille.
Vaguement amateur, il amadoue surtout
Parce qu’il fait des rôles de vraies pépites d’or.
Le vers est emporté par ces acteurs, ces fous
Promettant qu’à languir, jamais on ne s’endort.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
« Gilroy, habitué d’histoires en tire-bouchon » celle je me la glisse derrière l’oreille et la ressortirai si je revois un film de lui. 😀
Sur Woody, autant te dire que je ne suis pas du tout du même avis.
Dis-m’en plus sur Woody. Le bonhomme est capable de m’insupporter comme de faire que je l’admire.