Dans les cinébdos, je compile mes critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Vatel (Roland Joffé, 2000)
Hamsun (Jan Troell, 1996)
Good Bye, Lenin! (Wolfgang Becker, 2003)
Together (Lukas Moodysson, 2000)
Le Soupirant (Pierre Étaix, 1962)
Image d’en-tête : Good Bye, Lenin! ; films 191 à 195 de 2019
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Lundi : Vatel (Roland Joffé, 2000) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
C’est avec le nom français du britannique Joffé, dont le nom rappelle avantageusement joies et buffet, qu’Ofbygod –, pardon, Depardieu se réconcilie avec ses trébuchements de langue en l’idiome de la perfide Albion, entouré de larbins cinématographiques qui sont ses supérieurs à l’écran : François Vatel est peut-être intendant – ou steward en ”VO” – mais il réalisera en même temps que nous qu’il est exploité.
Le cynique cinéaste historien se fend d’une image emplie des parfums dont on s’asperge pour éviter de se laver au coin d’un rideau, et des relents de selles royales ou d’urine déversée dans un pot entre les mains d’une servante. Sa caméra est trop fière de servir à la glorification de ces intérieurs faussement propres où parviennent les fumets pas forcément plus délicats de la cuisine où Vatel tournoie et plonge ses doigts dans toute chose dont il faut s’assurer de la perfection.
On le méprend pour un pâtissier & un valet, et on a raison : il est le sous-fifre de ce casting anglophone où son accent n’est pas de meilleur goût que les ”monsieur” jetés en amuse-gueule dans un français trop raffiné pour être honnête entre deux phrases étrangères ; on en vient à se demander si ce n’est pas Victoria qui rend visite à Louis XIV, c’est pour dire !
Tout fiers qu’on sera, pauvres moldus cerveaulavés que nous sommes, de reconnaître Timothy Spall et Richard Griffiths, on ne boudera surtout pas son plaisir devant Tim Roth, vraiment délicieux dans une brochette d’acteurs servant surtout de portes-manteaux, et l’on saura trouver la valeur de Depardieu derrière son côté batracien (je veux dire par là qu’il est le Frenchie symbolique de Joffé) : son innovativité, sa stoïcité parfois froide, qu’on devine concentrée mais qui se montre pourtant à l’écoute, c’est la recette d’un personnage dont on a l’impression qu’il serait un blockbuster dans la catégorie biopic au XVIème siècle.
Il y a aussi l’aspect psychologique & littéralement intrigant de ces personnages de basse cour s’échangeant des messes… Ou était-ce l’inverse ? C’est en tout cas la sauce qu’il faut pour relever un faste n’ayant de cinématographique que l’envergure ; en effet, les trois jours de fête & de banquet sont rythmés par des mains efficaces (aussi bien par Joffé que Vatel) qui ne prennent pas une seconde pour fabriquer de l’émotion ou quelque profondeur.
Malgré toutes ses qualités, Vatel est une œuvre peu mémorable, le mélange sans piquant de deux cultures qui rendent une saveur assez relevée mais sans arrière-goût. Juste un reportage sur un homme qui en a tellement fait que ça l’a tué. Cela cache hélas une folie des grandeurs pourtant pas simulée ; c’est un vrai banquet royal, adressé à nul roi, que Joffé a confié à nos papilles et à nos pupilles. Encore une fois, c’est un blockbuster qui s’adresse, malheureusement pour nous, à l’époque qu’il dépeint.
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Mercredi : Hamsun (Jan Troell, 1996) « Thématique : Max Von Sydow »* |
Von Sydow aura décidément difficilement démordu de sa langue natale, parlée même en Norvège avec le réalisateur comme seul compatriote d’importance, puisque le casting était norvégophone & sa femme danophone, de quoi modérer la conclusion à laquelle on aurait pu parvenir selon laquelle elle crachait ses mots par effet d’interprétation.
Ghita Nørby et lui auront de quoi mener des disputes dantesques, séparées qu’ils étaient dans leur vieille relation par la fibre artistique & les idéaux de l’écrivain. Tout n’aurait pas reposé sur le casting si ces affrontements ne se délitaient pas au montage, qui sépare les visages les uns des autres et ne sait se décider entre l’émotion du gros plan ou la composition quasi-architecturale de scènes qui perdent de leurs atouts dans la dualité.
Mais tout PEUT reposer sur le casting : Von Sydow continue de jouer les mourants et y arrive ici mieux que jamais, même séparé de son pays & de sa langue, bien servi par des collègues qui ont tout le répondant nécessaire et des textes trilingues fonctionnant admirablement bien ensemble, comme si Troell avait eu l’arrogance de transcender le jeu de scène en la privant du concept de ”réplique” et qu’il y était arrivé.
On passe peu de temps à observer l’image, qui ne semble pas l’objet quand on remarque les cadrages souffreteux, mais Troell a dépeint une œuvre aussi néo-réaliste que le style de Knut Hamsun lui-même, le vrai. Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte à quel point les acteurs sont choisis sur mesure, taillés dans le roc pur du cinéma pour représenter les meneurs & les pantins tour à tour d’un royaume guerroyant oublié : la Norvège pendant la Seconde Guerre mondiale, pour une fois traîtresse à la cause de sa proximité tous azimuts avec la Suède en ce qu’elle avait cédé aux miroitements du nazisme. Comme tout le monde à l’époque, rappelle Max Von Hamsun.
Von Sydow est Hamsun, pourraient dire les affiches. Mais c’est vrai : il est le même stoïque nonagénaire et se fait doucement une place au rang des plus brillantes interprétations de personnages réels.
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Vendredi : Good Bye, Lenin! (Wolfgang Becker, 2003) « Thématique : langue allemande »* |
Lénine est parti socialiste bien avant que le mur de Berlin en ratatouille. Pourtant, si Becker fait appel au grand personnage, ce n’est pas juste pour permettre le magnifique & symbolique enlèvement de son buste à Berlin-Est ou pour faire figure de proue(sse) devant d’autres grands personnages, ceux du film.
Les murs de Berlin-Est en 1989 vibraient au passage des tanks dans les rues, et le peuple à l’évocation de ses ”camarades”, diaspora politico-survivaliste d’une URSS à l’agonie. Une situation digne d’être toujours rappelée ne serait-ce que dans une optique historique, mais dans notre cas, c’est aussi un cadre qui se prête bien à une forte contextualisation, et un terrain propice à la voix off de Daniel Brühl qui serait facilement encombrante dans un autre contexte. Enfin, c’est une aire créative parfaite pour Becker qui dote à qui mieux-mieux son film de compositions tour à tour charmantes & grinçantes, pastels & vives, positives & négatives.
Dans ce jeu de cloche-pied sur la frontière entre les deux Allemagne, réduite à un fil d’équilibriste par les treize années séparant la chute du Mur & le tournage, il est aussi formidable de voir la métamorphose de Berlin réunifiée, retranscrite avec toute sa fulgurance et avec la moindre once de son sens pour les habitants éperdus. C’est une saveur de nouvel âge hippie qui est créée par l’huile & l’eau de la ville, mélangées dans le miracle social.
On regrette au passage l’arrière-goût un peu artificiel derrière les Berlin contrastés à outrance par les effets visuels, où l’Ouest se dote du vernis aseptisé & un peu idéaliste qui nappe aujourd’hui les dystopies les plus timides.
Au gré d’arabesques aux motifs ni répétitifs ni redondants, Becker nous fait subir les problèmes de ses personnages dans une histoire extrêmement fictive qui pourrait être… extrêmement vraie. Son scénario consiste à prendre le point de basculement de la chute du Mur et d’y ajouter juste une épice scripturale : le coma. Un trait tiré au-dessus d’un basculement qui serait fatal s’il était révélé à la souffrante à son réveil, et dont la simplicité n’a d’égaux que la réalité du choc & les délices de quiproquos discrets que Becker n’avait plus qu’à se pencher pour ramasser.
Berlin a sombré dans le coma aussi pendant ce temps : un coma éthique induit par des déversements capitalistes brusques, toujours un peu idéalisés ; disons que c’était la déviation nécessaire pour mettre la dernière touche à l’humeur du film et afin que le travail de révélation-ridiculisation se maintienne.
Lénine s’en va dans un salut patriote devenu signe d’adieu, on parodie l’ ”ancien” jounal télévisé en affectant une tenue qu’on avait reniée très vite (en arborant un costume mais sans porter de pantalon) et on retrouve, au détour de la surprotection d’un fils et avec une nostalgie teintée de dégout, les maniérismes d’un Berlin-Est tout terne, usé par quatre décennies de proximité subatomique avec son parfait opposé.
Le plus magique, c’est que ces mascarades (qui sont des mensonges) passent sous le coup d’une ”rechute du mur” parfaitement maîtrisée au grand écran, et elles renaissent de leurs cendres contre toute attente en passant par leur propre dérision. Né dans la technique et mort dans la douceur, Good Bye, Lenin! est de ces chefs-d’œuvre non américains qu’on néglige.
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Samedi : Together (Lukas Moodysson, 2000) « Thématique : langue scandinave »* |
Entre Fucking Åmål en 1998 & Lilja 4-ever en 2002, Moodysson a exploré avec un peu plus d’optimisme le passé de son pays, profitant du tournant du millénaire pour regarder un quart de siècle en arrière, du temps où la communauté ”Tillsammans”, entassée dans une maison en face d’un vieux couple bourgeois aigri, se réjouissait de la mort de Franco et faisait perdurer les valeurs hippies dans un quartier de Stockholm n’ayant rien à faire de leurs revendications renfermées.
Ce n’est néanmoins pas le manque d’ouverture qui gêne, ni l’impasse qu’on pourrait aisément ressentir devant ces personnages qui ont des idéaux mais pour seul vrai mérite leur existence autarcique. En fait, une grande partie du charme de Tillsammans est là, dans ses éclairages très jaunes, conviviaux, impudiques, toujours pris à la limite du sérieux pour s’assurer que le spectateur suit.
On a vite fait de se sentir chez soi chez ces babacools boycottant ABBA, même si on n’adhère pas forcément à leurs convictions parties en roue libre, auxquelles on est initialement convertis par des zooms brusques comme si ces gens faisaient quelque chose de mal, à part s’isoler dans un anarchisme aussi naïf & impratique qu’il est pourtant efficace, et qu’on pêchait par curiosité en voulant les observer.
On est invité dans un groupe qui recherche des substituts à la vie toute faite, que ce soit dans l’inacceptance ou la libération, d’une façon à la fois surannée (le Combi est là mais défraîchi, depuis longtemps revenu de ses rêves floraux) et bien dans l’air du temps. Et cela par deux fois : l’œuvre de Moodysson date de 2000 et prend ses racines en 1975, pourtant les valeurs individualistes & libertaires qui sont revendiquées sont les mêmes qu’aujourd’hui.
Les révolutionnaires suédois ont leur mollesse ailleurs, dans un martèlement de la phrase ”je ne sais pas” qui laisse supposément deviner un déni sans parvenir à s’élever vraiment au-dessus. Alors on se contentera de voir les membres de la communauté devenir tour à tour eux-mêmes ou leur propre contraire, effleurant leurs idéaux avec leurs propres paradoxes, et cette imbrication dans le familial que Moodysson semble soigner toujours.
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Dimanche : Le Soupirant (Pierre Étaix, 1962) « Thématique : Pierre Étaix »* |
N’ayant jusqu’ici vu que Le Grand Amour d’Étaix, je découvre en le reprenant dans l’ordre qu’il a toujours eu cette touche de surréalisme en lui, mais aussi, plus surprenamment, de Charlot. Car si son personnage unique est celui d’un clown filmé, aussi malléable que victimisé, c’est autre chose de le voir dans ce rôle semi-muet, beaucoup mimé, qu’il dote de grands mouvements tout en faisant un théâtre des jeux de scène filmiques.
Composant son image & son son sur plusieurs niveaux, avec pour faire bonne démesure un étage de grotesque, Étaix forme des petits sketchs soignés. Il attaque et se complaît toujours à la fois dans la bourgeoisie, ici ses ”parents” qui s’exaspèrent d’un rien et multiplient les hypocrisies sans jamais laisser transparaître qu’ils peuvent être autre chose que des colocataires râleurs.
Étaix est vieux garçon et toute son existence d’une heure et demie est fondée sur son aveuglement, celui qui le fait chercher loin ce qu’il réfute en lui-même, incapable de poser son regard sur ce qu’il a sous les yeux, que ce soit des chaussures, une tasse de thé ou la jeune Suédoise au pair.
C’est la source de son humour & de ses absurdes désillusions, mais aussi un peu des nôtres : il y a quelque chose de crispant dans le côté vaguement visionnaire d’Étaix en ce qu’il ridiculise l’esprit bourgeois, parce qu’il ne s’en sort pas lui-même, avec pour résultat un pamphlet mou, une critique essoufflée, et les personnages des parents qui servent d’accessoires aux gags, sans plus manifester de désapprobation qu’un ”tu ne pourrais pas faire un peu moins de bruit ?” quand le jovial dépasse les bornes.
Étaix concilie son humour & son ingéniosité dans une compilation de petits gestes & de cadrages brillants qui amènent aisément le rire, par contre c’est faire semblant que l’ambiance est réussie que de l’apprécier pour cette moelle.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Un ofbygod cuisiné avec délice par tes tournures saisies à cœur.
Je goûte les mots mais peu les mets.
Tu es salé !
Moi je goûte volontiers les deux.
L’Ywan se déguste tantôt à point, tantôt saignant, parfois un peu piquant, rarement trop sucré, mais toujours avec saveur; pour le coup, on n’est ni dans le Coca de Berlin-Ouest ni dans les simili-borsch sans saveur pour fonctionnaires du Parti de Berlin-Est, car c’est la critique la plus juste (et la plus finement assaisonnée) de «Goodbye Lenin» que j’aie lue depuis longtemps.
Aw. <3