Dans les cinébdos, je compile mes critiques sur les films vus dans la semaine. Bonne lecture ! 📚
Sommaire
Kansas City Bomber (Jerrold Freedman, 1972)
Judge Dredd (Danny Cannon, 1995)
Incendies (Denis Villeneuve, 2010)
Polytechnique (Denis Villeneuve, 2009)
Image d’en-tête : Incendies ; films 187 à 190 de 2019
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Mardi : Kansas City Bomber (Jerrold Freedman, 1972) « Thématique : Jodie Foster (nouveau !) »* |
Kansas City Bomber, c’est l’annonce de Rollerball (Norman Jewison, 1975). Le film s’ouvre et se ferme (d’ailleurs très mal) sur des séquences sportives où la violence remplace sans queue ni tête la vraie performance, en l’occurence le roller, mais sans l’excuse du futur cassé de Rollerball.
Ce semi-catch de piste, se dit-on, ne peut exister qu’à Las Vegas, Kansas City ou Los Angeles (d’où la discipline est originaire en réalité) et ne peut être pratiqué que par des colosses ou des sportives pin-up qui, comme le personnage de Raquel Welch, en ont les initiales en pseudonyme : K.C. Carr. Pourtant non, c’est aussi un sport qui sort de ses villes de confort pour essaimer le divertissement télévisuel dans le pays.
Pour nous, c’est juste un film, et il est carrément étonnant qu’en 1972, un climat si peu machiste se soit pu au septième art sportif. Dommage que Kevin McCarthy soit entre deux chaises et deux âges avec son rôle d’antagoniste séducteur, trop vieux jeu pour accrocher l’œil même si la post-synchro semble dater de son époque aussi.
Bref, c’est un film de sport, intéressant en ce qu’il ne recherche pas le crescendo typique du genre, frissonnant et facile à déclencher : le sport est partout, bien étalé, presque sans frissons. Il y a un peu d’auto-dérision très bien amenée avec les spectateurs filmés au près, dont l’image et la voix se superposent à celles du commentateur, le scandalomètre : on sait que les choses sont vraiment allées trop loin quand lui en fait la remarque.
En ça, KCB est un film très moderne, qui, sous ses airs de ne pas savoir manier l’éclairage ou le cadrage en-dehors des salles ni modérer le surjeu, saute à cœur joie sur le tremplin des seventies en dénigrant gentiment le divertissement venu du baby-boom remontant les générations une à une jusqu’à toutes les faire tourner sur le manège mercantile.
En donnant un de ses premiers rôles au grand écran à une Jodie Foster tout juste entrée dans sa deuxième décennie et déjà impressionnante du haut de ses deux minutes à l’écran, Freedman se glisse dans la pop culture sans élégance ni technique, dans une de ces prises de catch bâclées au cours de laquelle on se blesse soi-même plus que l’adversaire. Ce qu’il aura cherché à prouver en mettant des faiblesses si peu assumées dans ses protagonistes qu’il dût les faire porter par des rôles d’andouilles, cela reste à voir, mais ce n’est pas non plus un visionnage perdu.
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Mercredi : Judge Dredd (Danny Cannon, 1995) « Thématique : Max Von Sydow »* |
Ce n’est pas toujours que l’adaptation de comics au cinéma se fait dans une telle adéquation du budget avec l’ambition. En ça, mon avis rejoint celui de John Wagner, le créateur du comic, mais aussi sur le fait que le film essaye d’en faire trop.
Il ne faut pas en blâmer trop vite Cannon : les choses ne sont pas si simples quand on a Stallone en tête d’affiche, car Rocky a du caractère et il aime bien mettre son grain de sel. Il n’est pas juste le costaud et la machine à punchlines (I knew you would say that), il est quasiment co-réalisateur officieux.
Stallone a certainement causé du tort au film, ne serait-ce qu’en faisant ployer la créativité à son ego, mais c’est aussi à lui qu’on doit le ton entre deux eaux de Judge Dredd, voire son originalité toute entière. Sans lui, qui sait si tout ne se serait pas noyé de pire manière encore dans un bain d’expressions surjouées, dans des certitudes trop vite acquises et des décisions prises sans états d’âme. Qui sait si la Loi elle-même aurait eu du sens s’il s’était contenté de sa position de Louis XIV robocopien : « la loi, c’est moi ! ». La loi, il l’a faite sur le plateau, et ce n’était pas mal vu.
Judge Dredd est issu d’une myriade d’influences mais bénéficie d’un sens du design qui a extraordinairement peu vieilli, avec des effets presque sans tache même pour un œil moderne. Il a sa propre personnalité, quoique la brutalité chiche des séquences violentes, les passages du coq à l’âne et un côté kitsch à peine trop prononcé l’affectent des symptômes d’un navetisme bénin.
Le casting est inégal et rapidement trié par redondances : on aura son content de sauvetages de dernière minute par coups de feu dans le dos, dont sera victime Von Sydow de sorte qu’il pût jouer une mort à l’américaine, avec dernier soubresaut et tout et tout.
Judge Dredd est une œuvre bariolée, beaucoup plus que ce qu’on peut attendre de l’adaptation d’un comic, mais beaucoup moins, par certains aspects, que ce que la base de la mise en scène nous enseigne. Pourtant, il a des éclairs de génie et un goût de soupe-au-lait instillé avec un brin de folie par Stallone. Il était important, je crois, que le budget serve de résistance face aux réécritures. C’est n’importe quoi, mais largement plus jouissif que malaisant.
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Vendredi : Incendies (Denis Villeneuve, 2010) « Hors-thématique »* |
Je continue à l’envers le chemin chronologique de la carrière de Villeneuve. Débarqué de Enemy où Gyllenhaal disposait des bases fermement anglophones, j’arrive dans le Québec natif du réalisateur.
C’est Incendies qui l’a révélé au grand public et il est passé par la voie peu orthodoxe de la sortie DVD pour connaître le succès. Et si le film se passe dans un pays arabophone, il est peu musulman aussi : ce sont chrétiens et musulmans qui se partagent la responsabilité et la douleur et des vrilles d’horreur déclenchées dans un pays du Moyen-Orient que Villeneuve ne nomme pas.
Une mère, expatriée depuis un certain temps au Canada de ce Moyen-Orient anonyme, laisse à ses deux enfants jumeaux un testament qui passe par les mains d’un notaire et ami de famille (joué par Rémy Girard dont je me rappelle pour Jésus de Montréal (Denys Arcand, 1989), ça fait bizarre). Tout est un peu prêt d’avance entre les personnages, desquels la cascade scénaristique tombe avec une aisance qui ne passe pas loin de faire s’écrouler le château de cartes primordial.
C’est une petite mixture dont Villeneuve arrive à capter les effluves gemellaires avec la virtuosité qu’on lui connaît, mais le temps d’une inclarté de flashback, et voilà que mère et fille sont jumelles dans notre esprit, parce qu’elles ont marché, à trente-cinq ans d’écart, aux mêmes endroits. Ou peut-être était-ce voulu, et ça n’enlève rien à la magnifique cryptophasie qui relie Mélissa Désormeaux-Poulin et Maxim Gaudette.
Le testament qui sert d’amorce figure une poésie qui est pourtant un euphémisme de la longue marche que Villeneuve va tourner en Jordanie, interprétée à la perfection par Lubna Azabal – la mère des jumeaux, encore jeune. Pour le régisseur québécois, il s’agit toujours de tout mélanger, à plus forte raison tant qu’il n’est pas encerclé par l’apparat hollywoodien : du Radiohead au Moyen-Orient, pourquoi pas. Il lui faut faire entrer en conflit ce qui ne se rencontre pas d’ordinaire, pour le plus grand plaisir du cinéphile, surtout avec une photographie aussi sensationnelle.
Par contre, si l’on ne s’appelle pas Rémy Girard, on n’est pas un personnage qui prend sa place aisément : les interprétations sont trop dramatiquement qualitatives et ancrées dans le réel pour permettre le côté thriller que Villeneuve cultive déjà et qui connaîtra son apogée avec Sicario. La diction des acteurs elle-même est trop parfaite pour qu’on se sente parfaitement à l’aise dans la recherche du gone boy – pour ne pas spoiler, car ce serait grave devant une conclusion si déchirante qu’elle m’a émotionnellement emporté à plusieurs reprises.
J’y reviens, la fusionnalité des jumeaux est « élevé au rang de détail » par Villeneuve mais c’est une de ces marques d’empathie qui s’impriment sur ses œuvres et qui aident à faire de lui l’homme parfait pour tous les genres. Même si Incendies est piqué de ce que je perçois comme de relatives imperfections, je suis toujours largement admiratif.
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Samedi : Polytechnique (Denis Villeneuve, 2009) « Hors-thématique »* |
Je remonte toujours dans la chronologie de Villeneuve. Un choix discutable mais révélateur notamment quant aux liens qu’entretient le réalisateur avec Maxim Gaudette, déjà maître de l’interprétation noire avant Incendies dans Polytechnique, où il interprète le tueur dans l’histoire vraie du massacre montréalais de 1989.
Tourné en noir et blanc pour ne pas avoir à montrer de rouge, le film trouve tout seul sa métaphore, la mort qui rampe sous l’épaisse neige canadienne. La photographie rend, comme toujours chez lui, hommage aux expressions comme aux objets, peut-être même plus que dans ses productions subséquentes parce qu’elle se concentre ici sur le huis-clos et l’astuce. Vous savez, celle qui consiste à passer par une porte qui n’existe pas, et qu’on voit bien fermée quand la caméra se retourne.
Ce genre de trucages bénin établit une complicité monstrueuse entre nous et l’équipe, et par conséquent un lien fort entre le spectateur et le drame. Sous la coupe du criminel sombre de Maxim Gaudette, un héros blanc se lève sans faste en la personne de Sébastien Huberdeau ; deux hommes qui se font némésis et walkyries sur le champ de bataille doublement inégal d’un attentat fomenté par antiféminisme, nous mettant grotesquement devant le ridicule des coups de feu hollywoodiens salvés par des pros, quand la poigne tremblante et amateure de Gaudette est si glacement précise. Quand je parle de grotesque, ce n’est pas péjoratif : c’est d’un réalisme froid (ça m’arrange parce que la notion est réchauffée) et c’est ce qui est parlant.
Dommage, parfois le contemporain d’Inception fait un peu passer ses amusements caméristiques pour du remplissage dans une œuvre courte (77 minutes) où il n’y a finalement pas grand chose. Le vide est criant dans les connexions que le scénario tente d’établir non-linéairement avec l’extérieur de sa trame claustrophile. On dirait qu’il manque de la matière, ce qui rend difficile d’imprimer le film dans nos mémoires, pourtant Villeneuve rend hommage à celle des victimes sans donner l’impression de se forcer ; le déroulé est agréable, juste peu dense.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Je crois bien que jamais je ne pourrais voir le film Incendies… J’ai été bien trop traumatisée par la pièce de théâtre ado à Chaillot! Quand elle apprend pour son fils, sur scène la lumière était rouge, elle portait une robe rouge, et un karcher a littéralement fait tomber la comédienne, qui baignait dans une marre rouge… Choquant et percutant!
Tu n’es pas la seule à me faire ce retour. Je n’ai pas trouvé le film si choquant mais il m’a ému à un point rare donc je te comprends totalement.
Merci pour ton passage !
Pas vu le film avec Stallone, en revanche ta description est conforme à ce que j’imaginais^^
J’ai en revanche vu «Dredd» (2012), qui délaisse le côté haut en couleur, voire loufoque, du précédent pour un huis clos oppressant et cruel entre deux juges (dont Dredd) et une dirigeante de gang impitoyable avec son armée. Le film développe des thèmes des comics peu mis en avant dans les adaptations, comme les relations entre les Juges, ou encore les Mégablocks, ces gigantesques barres de béton vivant en autarcie, qui forment de véritables «sociétés dans la société», avec leurs propres boss ayant leurs propres règles… L’ambiance est presque à l’opposé de celle du film avec Stallone: sombre, sale, étouffante, imprégnée d’une violence psychologique qui devance souvent la violence physique.
Perso, je l’ai trouvé très réussi, je te le conseille ! Ça prouve qu’on peut s’écarter ce qui est attendu dans l’adaptation (car évident dans l’oeuvre originale) et accoucher de très bonnes surprises en développant des choses plus secondaires.
Laisse-moi me remettre de mon traumatisme de Southland Tales, oh. o_O