Les cinébdos sont des compilations de mes critiques sur les films vus dans la semaine.
Encore une semaine bien panachée entre blockbuster et classique, avec toujours de bonnes découvertes en cinéma africain et chez Fatih Akın. Euh, par contre, ne me tapez pas trop pour avoir aimé PdC 5.
Sommaire
Les Anges Gardiens (Jean-Marie Poiré, 1995)
Aux yeux de tous (Billy Ray, 2015)
Pirates des Caraïbes : La Vengeance de Salazar (Joachim Rønning, Espen Sandberg, 2017)
Rome violente (Marino Girolami, 1975)
Badiaga (Jean-Pierre Dikongue-Pipa, 1987)
De l’autre côté (Fatih Akın, 2007)
Ma vie en rose (Alain Berliner, 1997)
Image d’en-tête : Pirates des Caraïbes : La Vengeance de Salazar ; films 121 à 127 de 2019
Lundi : Les Anges Gardiens (Jean-Marie Poiré, 1995) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Je n’avais pas profondément gravé le nom de Jean-Marie Poiré, doté que j’étais d’un recul anticipé sur les classiques. Mais il va me falloir l’immortaliser dans mon esprit comme génie du comique. Et puis ce n’est pas tous les jours qu’on démarre le moteur alchimique entre l’Astérix et l’Obélix emblématiques du cinéma français.
Pourtant, ça va vite. Il le faut, à plusieurs reprises, et tout d’abord pour empiler la comédie franchouillarde sur le film d’action au goût des ruelles hong-kongaises pratiquées comme jadis Pierre Richard accompagnait Depardieu au Mexique. Le montage nous offre des asyndètes permanentes de l’image, des raccourcis osés mais bien utiles pour permettre à l’œuvre de s’offrir un rythme.
Entre les cascades james-bondiennes et le distique interprétatif, entre la trépidation sinomorphe et les vagues fondements dramatiques qui se forgent à Paris pour de dissoudre illico dans une conclusion éclair, c’est à se demander comment l’on peut naviguer du début à la fin sans percevoir de secousses ou de ruptures.
Ne lésinant pas sur le nombre de caméras ni de prises (obligé : on sent venir qu’il y aura un bêtisier, et il tombe bien pour faire durer le plaisir au-delà même de la fin), Poiré cherche des angles abrupts et use de pas mal de machinerie pour faire bien voir sa méthode ; c’est un m’as-tu-vu franchement efficace quand on peut compter sur la complicité des stars avec leur public, le sentiment que les acteurs ne jouent pas seulement pour nous, mais qu’ils sont à nous, arrachés à leur prestation par toute la hauteur de scènes drôles et insouciantes : un incendie ? qu’à cela ne tienne : on se sent proche de l’équipe, et bizarrement, voilà qui cimente tout. Alors l’incendie, les cascades, le drame : on s’envole au-dessus, on ne voit plus le film, on EST le film.
Les Anges Gardiens arrivent tard, en réalité ; c’est que pour aller de A à B, Poiré passe en revue tout l’alphabet, ajoutant des couches à son millefeuille jovial : la Chine, la comédie, le drame d’action, ajoutons-y la Belgique, la famille, et finalement les fameux anges gardiens et leur côté fantastique et débridé. Rien n’est de trop, rien n’est trop vite survolé, malgré le train d’enfer que Poiré imprime pour explorer l’apport au compte-gouttes des enfants (qui sont à la charge du Père Tarain, A-I-N comme « pain », s’escrimera son Clavier d’interprète) et de la polissonerie cabaresque servant de beurre sur le Paris-Brest.
Oui, on se perd un peu dans le sur-emploi de l’humour qui consiste à créer la confusion sur l’interlocuteur, et l’on à peine le temps de se questionner sur ce « cinéma de papa » speed avant l’heure. Mais, fichtre, il y a tellement de choses, tellement d’investissement, qu’il soit comique ou qu’il pourvoie à un carambolage. Et, diantre, j’ai tant ri.
Mardi : Aux yeux de tous (Billy Ray, 2015) « Thématique : Julia Roberts »* |
Difficile de déterminer ce qui est « aux yeux de tous » quand il va s’agir de dévoiler le cœur inattendu de l’intrigue en même temps que la valeur du film. Et elle met un moment à se montrer : on est introduits par des froncements de sourcils d’Ejiofor qui ont pour devoir de nous convaincre très vite que le thriller est passionnant. C’est une entrée en matière plus atrophiée encore que chez Split, mais cela n’empêche pas Billy Ray de nous endormir avec des dialogues mous et pleins de blancs.
Ses inserts trop courts, pressés de réduire l’image en esclavage au profit du vif du sujet (qui tarde pourtant), finissent par amener des circonstances relativement satisfaisantes qui maîtrisent bien le flashback : on est dans l’abus mais les allers-retours sont clairs et les métaphores lisibles, même si la rareté de chacune (l’apparition ectoplasmique de la fille disparue et le mensonge, par exemple) nous pose la question du but poursuivi.
Cette clarté se perd quand, sur le tard, le film décide de cesser d’être ennuyeux, convertissant ses faiblesses en frisson et faisant jaillir, comme de rien, une magnifique scène d’interrogatoire où la prestance de Kidman se conjugue avec le poids porté policièrement par Ejiofor dans une ambiance suintante de manipulation semi-morale, d’humiliation et de révolte. Cette décharge nous met définitivement sur la bonne voie même si l’on aura encore du mal à se situer sur le spectre atmosphérique, entre le va-tout à la Room et l’extrapolation badine que les Américains aiment à faire du Bureau, où romances et amitiés se croisent sans jamais d’apogée.
Mercredi : Pirates des Caraïbes : La Vengeance de Salazar (Joachim Rønning, Espen Sandberg, 2017) « Hors-thématique »* |
Je ne pense pas avoir été le seul à craindre la débâcle chez le cinquième opus de Sparrow, surtout réalisé par deux réalisateurs différents des deux précédents. Des noms scandinaves dans les Caraïbes ? Hem.
Mais Bloom citait que c’était un « soft reboot », et mon visionnage a forgé une autre version de cette idée : Rønning et Sandberg ont fait le deuil des précédents films, et sans faire table rase, ils prennent un nouveau cap artistique. Cela évite les maillons faibles sur une chaîne bien reconnaissable et permet une grandiloquence graphiquement plaisante qui transforme notre pitié en vraie plaisir.
Je m’étonne même de ne pas trouver de plus gros défauts au film vue la taille du préjugé avec lequel j’ai lancé sa lecture, mais entre le retour à une ambiance 100 % caribéenne, la démarche d’un Sparrow désenchanté, le dédain tout piratesque qu’un barman aura en le voyant couvert de m***e, le soin qui est apporté au tempérament à la fois cruel et gentil de l’équipage du Black Pearl, et le retour bien placé de Bloom et Knightley (qui ne sont pas pressés pour faire des caméos coûteux forcés d’être denses en sentiments), je ne peux qu’applaudir les capitaines de ce navire déjà bien rodé qu’il fallait désenrouiller. On nous évite même l’écueil de la bourgeoisie si mal rendue dans le 4.
Chaque scène a son thème graphique, une glissade sur un scénario conciliateur et sans prises de risques, mais qui relie bien les points. Geoffrey Rush et Javier Bardem jouent un face-à-face éclatant (sur fond de débauche en CGI, d’accord) qui gave l’histoire d’une tension bien sentie. Johnny Depp est dosé, peut-être un peu trop mis en arrière-plan, mais pas non plus totalement viré pour faire place aux jeunes. La nouvelle génération poursuit harmonieusement la chaîne, même s’il faut pour ça donner le grand coup de baguette magique des « neuf ans plus tard ».
Moi, fan du premier PdC, annonciateur du déclin verbinskien, détracteur de Rob Marshall et sceptique du suitisme hollywoodien, suis le premier à m’étonner d’approuver La Vengeance de Salazar.
Jeudi : Rome violente (Marino Girolami, 1975) « Thématique : langue italienne »* |
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On sait que Rome est violente, a fortiori au cinéma. Qu’est-ce qui motive un titre à « promettre » plus encore ? Apparemment, l’intégration dans une foule difficile à traumatiser, des badauds choqués mais citoyens et réactifs.
Une belle utopie qui apporte un soutien intermittent à une police débordée, incarnée par le charismatiquement moustachu Maurizio Merli sous la tutelle duquel les policiers deviennent « plus connus que James Bond ». Quoique la justice ne connaît pas le dicton « faute avouée, à moitié pardonnée », ce nom est peut-être l’aveu d’une inspiration plus large à la saga 007, étant données les cascades impressionnantes (quand on n’a pas à souffrir d’une synchronisation des coups de poing assez affreuse).
C’est une manière d’étaler la violence, puisqu’elle est le sujet, mais c’est omettre de l’égaliser : l’absence totale de créativité en matière de transitions la fait paraître par grumeaux épais et exagérés, des meurtres sans suite ni délicatesse dans leurs conséquences. Aussi, c’est ça, Rome violente ? Pas entièrement.
C’est aussi créer la jubilation du spectateur devant les arrestations, car elles sont la conclusion méritée à tant d’épanchements de sang. C’est aussi des courses-poursuites automobiles en temps et en mouvements réels, capturées par des caméras embarquées qui témoignent des cheveux au vent du héros et du paysage défilant sous les roues sans trucages. C’est un bon petit budget en destruction, aussi.
Et puis surtout, c’est poser un vrai questionnement : la police et la milice sont la thèse et l’antithèse d’un même aphorisme : « on ne peut se faire justice soi-même ». On ne s’attend pas à réfléchir après tellement de morts, de voiture et de sangs employés sous l’égide du divertissement, mais Rome violente est un vaccin contre les extrêmes qui nous offre une fin poétique, avec un choix : de quel côté serons-nous ?
Vendredi : Badiaga (Jean-Pierre Dikongue-Pipa, 1987) « Thématique : langues du monde »* |
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Difficile d’entrer dans l’histoire de Badiaga, tourné en extra-amateur : les acteurs ne jouent pas et les passants se retournent vraiment beaucoup sur la caméra. Chaque plan contient de quoi faire réfléchir l’audience sur des drames rabachés sans résultat : la pauvreté, la pollution, le racisme des citadins envers les « broussards » qui ne s’intègrent pas dans la société moderne, et l’enfance ballotée entre tous les pièges.
Mais l’histoire avance, inflexible, sortant de la jungle pour investir les villes et amener la question fascinante de la célébrité. Car que cela signifie-t-il d’être connu au Cameroun ? Badiaga, c’est la chanteuse révélée par chance – après des déconvenues trop précoces – à la Radiodiffusion camerounaise, et il est vraiment captivant de voir ses interrogations et ses obstacles se dresser selon ce qui semble le modèle universel de la célébrité.
D’abord ennuyeux, le film finit par être hypnotique, et l’on se surprend à être captif d’une partie finale bercée entièrement par la musique, telle l’élévation tragimagique d’un déclin inéluctable, poétique et camouflé sous les pas exorcisants du mballax.
Samedi : De l’autre côté (Fatih Akın, 2007) « Thématique : langue allemande »* |
Il faudra que je revoie Head On pour être sûr de mon avis, mais il se peut qu’il n’ait pas marqué de changement de style chez Akın, lequel renoue avec l’empathie et la gentillesse – tout simplement – comme moteurs de ses films, avec ce tour de l’autre côté qui est plus expert et plus osé, puisqu’il va dans la critique du système judiciaire turc.
Ses films sont toujours allemands mais le ratio de langue turque est de plus en plus en faveur de cet Orient échappant à l’Europe et où se jouent des révolutions ignorées, en l’occurrence par Hanna Schygulla dont les sourires doux sont formidables en sa qualité de mère. Peut-être n’aurait-elle pas eu besoin du perfectionnisme humain du réalisateur pour qui l’impromptu est roi au royaume de la société, et chez qui tout se passe en un instant, comme le passage de l’autre côté.
Les rouages sont plus anonymes, peut-être parce que rodés, ou peut-être parce qu’Akın cherche de nouvelles recettes après avoir découvert que la violence était inadéquate. Les passages les plus forts sont un peu étouffés sous la prise de parole du sous-texte ; la trame est dense et ne tolère pas bien qu’on y fasse courir des doigts spontanés. Par contre, il y a un talent qui ne se perd pas : c’est le méli-mélo culturel et langagier, une entreprise qui doit se heurter à pas mal d’accrochages dans les coulisses.
Dimanche : Ma vie en rose (Alain Berliner, 1997) « Hors-thématique »* |
La transidentité, on dirait que c’est récent parce qu’on en parle tellement aujourd’hui. Et il y a bien quelque chose d’anachronique à voir le personnage de Ludovic genré au féminin dans le résumé IMDb. Du temps ou Michèle Laroque et Hélène Vincent incarnaient respectivement l’incompréhension et la tolérance devant l’identité de l’enfant, c’était un « il ».
Mais c’est aussi là qu’Alain Berliner puise son traitement : la pression sociale sur une famille victimisée nous oblige à considérer tour à tour le fils – la fille ? –, les perpétrateurs puis les géniteurs comme les coupables autour desquels gravitent de vraies figures de compréhension. Et puis la pression de l’environnement, cet ensemble de critiques ubiquites, transforme la mère – Laroque – en celle qui a tort de se défendre quand le monde n’est plus hostile.
Les métamorphoses ne sont malheureusement pas toujours expliquées : le grattage des extrêmes est facile mais forcément incomplet, et le mérite d’avoir exploré à peu près toutes les facettes d’un quartier – voisinage, école, fratrie, boulot, responsabilité – est abîmé par une trop grande tendance à l’évasivité.
Toutefois, les escapades oniriques sont belles, colorées et poétiques mais franches et sans métaphores, et la cultivation de l’androgynie est une piste fière dans l’exploration d’un sujet prémonitoire. Évidemment, le film a vieilli plus que de raison avec les chamboulements culturels, et sera bientôt nimbé des brumes d’un gigantesque gouffre générationnel. Un jour, on ne saura peut-être plus voir que les lignes sont tantôt trop faibles, tantôt trop vives, comme les humeurs d’un père qui change comme la météo anglaise.
Ou peut-être que c’est moi qui suis en tort, déjà de l’autre côté du gouffre ? Quoi qu’il en soit, au-delà de tempéraments capricieux et d’un vague manque de perfectionnisme dans la finition, Ma vie est rose est à la couleur que le titre annonce : une vision presque féminine qui accompagne Ludovic et le juste jeu de Georges du Fresnes, une vision un peu trop enrubannée de bourgeoisie pour être honnête, mais qui prend la peine et le taureau par les cornes.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Le Fatih Akin, superbe.
Akın*. =-D Plus sérieusement, oui, ce mec est génial.
Je n’ai pas cette touche mon téléphone. 😉
Même si tu laisses appuyé le I ?
Je ne connaissais pas le truc. J’y penserai lorsqu’il me faudra citer le réalisateur. 😉