Ce format consiste en une compilation de mes critiques sur les films que j’ai vus dans la semaine.
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Sommaire
Trop belle pour toi (Bertrand Blier, 1989)
Erin Brockovich, seule contre tous (Steven Soderbergh, 2000)
Mes chers amis (Mario Monicelli, 1975)
Cinq soirées (Nikita Mikhalkov, 1979)
Les Bouchers verts (Anders Thomas Jensen, 2003)
Image d’en-tête : Mes chers amis ; films 298 à 302 de 2018
Lundi : Trop belle pour toi (Bertrand Blier, 1989) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Bertrand Blier… Toujours à tourner autour de lui-même, à tourner des films qui veulent faire réfléchir aux conventions sociales. Il nous avait habitué à plus terre-à-terre, à plus plus « physiquement édifiant », que cette création aérienne portée à bout de bras. C’est presque féerique, la façon qu’il a de faire retenir leur souffle à ses scènes. On le sent d’entrée quand Depardieu occupe la première image de sa voix et Balasko de son visage ; l’entrée dans chaque plan est un choc photographique, en respect permanent de la loi des tiers, dont les lignes droites coupent le sifflet à tout le monde, sauf Schubert, choisi par le cinéaste pour conduire le ballet.
Cela semble d’ailleurs nouveau, cet attrait de Blier pour l’image parlante. Non qu’il l’ait jamais délaissée, mais elle occulte presque le propos de cet opus, faisant que les dialogues, soignés, tournent dans le vide parfois. Difficile pour le dialoguiste, en effet, de tenir le rythme face à cet emploi très simple de la topographie ; 1) des bureaux mitoyens, qui se voient mais ne se rejoignent pas, 2) une grande maison dont on ne voit que l’essentiel tant la richesse semble gâchée en-dehors de la salle à manger, 3) un appartement d’écrivain, sans vraiment de pièces que l’endroit pour écrire et l’endroit pour déprimer de ne pouvoir écrire, 4) une maison où toutes les pièces ont la même importance futile de pouvoir accueillir un couple.
C’est littéralement une histoire cloisonnée autour de son intrigue, et de l’exploration des sentiments qui la composent. Ce serait assez plat, finalement, si c’était une vision rêveuse et emmurée, mais les didascalies et le montage interviennent. Les premières, en un peu plus d’onirisme, sont des personnages qui peuvent se transformer par la force du fantasme dont elles sont la métaphore toute-puissante. Le second, un mélange de tout, une confusion de cette topographie pourtant si clairement établie, une sorte de transgression d’une loi des tiers atmosphérique contribuant à faire du film la question à ses propres réponses. Un coup de génie de Blier dans une époque qui réclame des choses qui changent.
Mardi : Erin Brockovich, seule contre tous (Steven Soderbergh, 2000) « Thématique : Julia Roberts »* |
La linéarité se prête bien à une adaptation d’histoire vraie. Ça tombe bien, car Soderbergh aime ça. Le résultat, une création divertissante que la vraie Erin Brockovich trouve fidèle à son histoire. Ce n’est pas gagné d’avance, un compromis comme ça.
La linéarité a par contre pour inconvénient de ne pas insister sur ce qui pourrait devenir des défauts ou des qualités. La réussite est assez haute en altitude, mais un paysage de plateau a quelque chose de monotone. On peut toutefois citer, pour le discrédit de cet argument, que les personnages sont érigés comme de monumentaux pitons à partir de leur base, donnant tout son piment à une Californie qui nous offre déjà un terrain de jeu pour la photographie. Quoiqu’on puisse encore arguer que les protagonistes sont le produit archétypal de l’érosion de leur réalité. Pour en finir avec ce jeu de ping-pong, il faut garder à l’esprit qu’un film est une œuvre commerciale censée divertir, et que celle-ci est crédible. Le mal ne vaut pas de se lancer dans une plaidoirie.
Distraire avec le sentiment de justice est un art maîtrisé par les Américains depuis des générations, et Soderbergh n’en dément pas le savoir-faire. Il n’est peut-être qu’un metteur en images avec le souci du tri, mais il arrive également à tirer le meilleur d’une Julia Roberts bien affinée dans un rôle qui ne la renouvelle pourtant pas beaucoup. Décidément, cette critique est toute en « oui mais ». Pour en finir à la défense du film, on va mettre cet aspect sur le compte d’une histoire sachant manipuler les tribunaux, la paperasse et la vie dure avec juste les doses bénéfiques.
Jeudi : Mes chers amis (Mario Monicelli, 1975) « Thématique : langue italienne »* |
Les délires à l’italienne sont inimitables et maintenant bien enterrés dans leur tombe du temps qui passe. C’est une délectation que de découvrir ce que le mot « blague » n’est pas encore trop daté pour désigner : pas du vaudeville, pas des jeux de mots, juste des gags qu’on doit enfiler au plus vite pour divertir le spectateur. Et l’inconvénient de Mes chers amis, c’est qu’ils ne sont pas vraiment ceux du spectateur. Il y a quelque chose d’inévitablement assommant à regarder courir ces quatre ou cinq hommes dans toutes les directions de leurs fantasmes enfantins. On retombe sur nos pattes quand la conciliation de ces derniers avec la vie réelle intervient, mais l’aspect ”farce continue” tue un peu l’idée dans l’œuf ; le scénario ne voit pas plus loin que le sketch suivant. C’est drôle, mais on finit par s’attendre à ne plus rien vouloir attendre. Au final, c’est la confusion induite par le flash back qui contribue à rendre les choses peu claires.
Vendredi : Cinq soirées (Nikita Mikhalkov, 1979) « Thématique : langue russe »* |
Un film soviétique ne se faisait pas dans la demi-mesure. C’est toute une époque qui résonne depuis la guerre jusqu’à 1979, l’année du film. Une façon que les Russes ont de recompter le temps qui passe dans l’espoir que douze mille jours soient moins que 34 ans. Alors pourquoi pas cinq soirées ?
L’esprit reste très théâtral ; Mikhalkov fait beaucoup bouger sa caméra, mais toujours à l’intérieur du décor, jamais à l’extérieur. On suggère à peine ce qu’il y a au-delà. La campagne ? C’est beau, paraît-il, mais on n’y est jamais allé. L’ambiance est d’une austérité glaçante, comme s’il n’y avait d’espoir après le premier mur, son papier peint défraîchi et les bibelots démodés qui décorent çà et là. C’est la voix d’un peuple qui s’exclame avec une bonne qualité cinématographique, mais cela rend le film difficile à voir. Dommage que l’œuvre, étant transposée d’une pièce, fasse un défaut de ce qui aurait dû être une simple caractéristique : les acteurs sont sans faille, mais semblent ne pas exister plus loin que leurs lignes.
L’émotion se transmet par eux pour autant qu’ils parlent, mais leurs silences sont muets. C’est dommage qu’on doive ainsi perdre la profondeur, et qu’il soit tenté de la retrouver par des intermèdes semblant abstraits pour tout le monde : le passage de ces semi-caricatures bafouillantes qu’on appelle personnages secondaires mais qui n’apportent rien qu’une effluve humoristique mal placée. Technique modeste, atmosphère répulsive… Et une histoire qui se construit au milieu. Qui se reconstruit, plus précisément. Un acte de désespoir artistique un peu trop larmoyant pour être exutoire, et une romance qui a le mérite tout comme le désavantage de ne même plus avoir de rôle sociétal à jouer.
Dimanche : Les Bouchers verts (Anders Thomas Jensen, 2003) « Thématique : langues du monde »* |
Les Bouchers verts, drame comique danois mené par un Mads Mikkelsen qui porte bien son prénom, et Thomas Jensen dont la patte est bien affirmé, reconnaissable aussi dans Adam’s Apples. L’auteur fait ainsi de l’impolitesse la petite folie humaine dont la grande folie est toute proche, un relief donné à l’affection qu’il dissémine spartiatement. Plus si difficile, alors, de croire que l’histoire a des points communs avec Sweeney Todd dans son inhumanité et son absurdité volontaire.
Peut-être pas difficile mais pas pour autant réussi : on n’est pas assez dans le registre du grotesque ni du drame pour accepter ce qu’il va se produire. Les justificatifs manquent d’épaisseur, comme s’il manquait à l’atmosphère malsaine l’exutoire qu’elle se trouvera dans la poésie, toujours en ce qui concerne Adam’s Apples. On se questionne un peu trop sur les raisons d’être de ces protagonistes ne vivant que pour leurs souvenirs ou la fuite de leurs souvenirs. Il y a un tel vide derrière le raisonnement de l’histoire que cette dernière ne peut s’empêcher de puiser dans les ressources du « miracle« , délieur de nœuds scénaristiques depuis Méliès. Et quand ledit miracle ne vient pas ouvrir de nouvelles possibilités, les dialogues tournent un peu en boucle autour des constantes des personnages.
[Spoilers] Des possibilités qui sont par ailleurs aussi bien traitées que le reste, car il ne faudrait tout de même pas dire que De grønne slagtere est une hybridation dramatico-comique choquante et ratée où l’on arrive rien à admettre ; non. Le réalisateur a une conception unique du mélange des genres le conduisant à des réflexions quasi-œcuméniques sur le cinéma, qu’il met bellement en image et avec un propos qui, sans faire réfléchir, arrive à étonner. Il semble simplement avoir oublié un ingrédient, mais cela ne l’empêche pas non plus de se sortir de la déshumanisation (trop simple pour ne pas être blessante) en faisant jaillir un happy end inattendu.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.