Ce format consiste en une compilation de mes critiques sur les films que j’ai vus dans la semaine.
Dans l’hebdo de cette semaine : Le Dernier Métro (François Truffaut, 1980), Satisfaction (Joan Freeman, 1988), Le Visage (Ingmar Berman, 1958), Manuale d’amore (Giovanni Veronesi, 2007), Le Bannissement (Andreï Zvyagintsyev, 2007), Mother India (Mehboob Khan, 1957), Da Vinci Code (Ron Howard, 2006).
(J’écris par passion de l’écriture et de mes sujets, mais c’est encore mieux d’avoir l’impression de ne pas être seul. Si vous aimez cet article, cliquez sur le bouton « j’aime », laissez un commentaire, voire partagez si vous en avez envie. Sinon, vous pouvez juste lire, c’est bien aussi. Merci beaucoup !)
Image d’en-tête : Le Visage; films 169 à 175 de 2018
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Lundi : Le Dernier Métro(François Truffaut, 1980) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
C’est peut-être Le Dernier Métro, mais ce n’est pas le dernier des films français ; c’est même le plus oscarisé avec Cyrano de Bergerac (Jean-Paul Rappeneau, 1990), et il ne se cache pas derrière les brumes qui entourent parfois ces récompenses. On comprend clairement le choc qu’il a produit.
Ce qui frappe d’abord, c’est la colorisation du film, qu’on peut prendre pour un caprice et une exagération d’icelui, car ces tons jaunes n’étaient pas une mode et donnent une impression initiale plutôt étrange. Mais ils ont tôt fait de se fondre dans des décors parfaitement colmatés, dont on a l’impression que les bords, à l’instar du théâtre, sont tout près, et pourtant invisibles – quoique ce sentiment se vérifie quand on découvre un membre de l’équipe de tournage qui se cache vainement dans le noir du coin d’un plan trop serré.
Une fois cette petite boîte ambiancée créée, Truffaut a pu agiter quelques acteurs plus que compétents qui ont constitué une oligarchie de la performance, à qui il a donné des lignes de bonne facture hélas marquées du sceau de sa molesse. La spontanéité l’emporte, sauf chez Deneuve qui est curieusement incompatible avec cette formule, perdant sa concentration quand les dialogues s’emmêlent pourtant de fort belle façon ; elle devient une actrice de présence, plus de réplique.
Le Dernier Métro est suffisamment bon pour ne pas souffrir de la comparaison avec un aussi bon film que Le Journal d’Anne Frank (George Stevens, 1959) avec lequel il partage des apparences, dans la qualité de son immersion dans un monde plein de guerre notamment, et pour sa maîtrise d’un environnement clos. Pour faire un contraste, les deux œuvres sont des survivals d’avant les survivals, des films tirant leur matière de la survie, du temps où elle était réelle et non encore un simple objet du divertissement. Pourtant c’est bien de la joie qu’on ressent quand de belliqueux préjudices s’abattent sur les Parisiens, sourdant à l’intérieur de la boîte sans que le réalisateur y soit – apparemment – pour quoi que ce soit (et si j’ai tort sur ce dernier point, c’est qu’il allie ingéniosité et discrétion).
Avec ses airs de Fantôme de l’opéra où le fantôme est un être arborant la Croix Gammée avec qui l’on cohabite ou l’on collabore, Le Dernier Métro nous donne à revivre le Paris du début des années 1940, mais aussi son cinéma, et pas seulement parce qu’on y mentionne le Jean Gabin de La Bête humaine (Jean Renoir, 1938). Vous l’aurez compris si vous ne le saviez déjà, Le Dernier Métro est un opus multiinfluencé qui tire ses forces de ses sources théâtrales, de son casting, et des racines qu’il enfonce avec passion et justesse dans les temps passés.
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Mardi : Satisfaction(Joan Freeman, 1988) « Thématique : Julia Roberts »* |
Pourquoi vous l’aimez pas, ce film ? Je ne comprends. Satisfaction est un film avec sa part de défauts, et je vais bien entendu en parler, mais ça reste une œuvre innocente et feelgood avec une bonne dose d’ingéniosité. Elle sait construire une ambiance sans sophistication, simple et agréable, avec des accessoires un tantinet trop pléthoriques, mais la magie du cinéma s’interpose pour justifier cet écueil.
Le petit côté cheap ne partira jamais, mais est-ce un mal ? Un autre caractère intrinsèque de Satisfaction, c’est son vieillissement, qui l’a bien ancré à son époque, mais est-ce encore un mal ? J’admettrai que la prise de son n’est pas très bonne et crée une rupture choquante entre les dialogues et les chansons, comme si ces dernières ne faisaient pas partie du film mais l’investissaient par l’extérieur, néanmoins la musique est un thème qui n’est pas traité à la légère et qu’on appréciera (ou qu’on devrait apprécier, à mon avis) dans son analyse comme dans sa conception. D’accord, la dramatisation est faite à la louche par des notes plantureuses qui rappellent au spectateur distrait qu’il est temps de sortir les Kleenex, et cet aspect sitcom est présent dans le reste de l’œuvre (le changement d’idée du personnage de Julia Roberts, qui passe de « je vais me marier !!! » à « je pars avec le groupe en Europe !!! », restera dans la légende) ; j’écris cette critique sur la défensive (pour moi comme pour le film), mais je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un chef-d’œuvre.
Comme dans Mystic Pizza sorti en fin d’année 1988 (oui, je les ai vus à l’envers), le casting a été choisi pour sa cohésion, et l’interprétation de groupe est purement remarquable. Leurs répliques sont potables, pour autant qu’elles obéissent à un modèle reconnaisables et sont débitées un peu trop précipitamment.
Ça fait beaucoup de reconnaissances de défauts pour un film que je défends. Le fait est que ces failles sont des attaques de petits calibres contre un ensemble solide ; elles lui retirent quelques points, mais on ne peut pas lui enlever que c’est un bon film musical et une bonne romance, quoique très prévisible, que la « satisfaction » du spectateur tient à cœur.
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Mercredi : Le Visage(Ingmar Berman, 1958) « Thématique : Max von Sydow »* |
Pour la première fois (dans l’ordre chronologique de visionnage de ses films), Bergman ne me convainc pas. Pourtant il parvient à m’immerger en deux images et trois mouvements, par son grand travail sur la lumière et… les visages. Mais sa maîtrise de l’une est déjà assise, et ne se démarque ici que par son emprise comme sur un fluide éclaboussant les plans sans s’expliquer. Les contrastes sont magnifiques, mais perdent leur souffle quand ils sont manipulés. Il faudra surtout en retenir la marque de respect dont ils dotent pour une fois le cinéma envers les orages : les lueurs des éclairs sont réalistes, et tiennent le tonnerre en respect d’une manière enfin cohérente avec les lois acoustiques les plus élémentaires. Quant au thème du visage, il ponctue le scénario d’une façon qui n’est pas digne des métaphores les plus habiles, que Max von Sydow ne semble pas être en mesure de porter seul sur les épaules.
À trop tapisser son film d’inexplicable – puisqu’il confronte l’art d’un magnétiseur à l’esprit scientifique, pragmatique et administratif d’une bourgade –, c’est le film qui devient inexplicable. Les caprices des personnages – le faux muet, le faux assistant dont il est toujours évident que c’est une femme même si l’on ne reconnaît pas Ingrid Thulin – n’apportent rien, et débouchent sur un all-in sans conviction. Le scénario n’est pas désagréable en soi, et l’on pourra s’accrocher sans trop de difficultés à l’aisance avec laquelle Bergman détaille l’esprit scientifique (même s’il n’apporte pas son corollaire religieux dont il est un friand manipulateur dans ses précédentes œuvres), mais le film témoigne d’une certaine fatigue ou d’une idée en laquelle il a eu trop confiance.
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Jeudi : Manuale d’amore 2 [pas de titre fr.](Giovanni Veronesi, 2007) « Thématique : langue italienne »* |
Après Leçons d’amour à l’italienne, Veronesi a décidé d’en remettre une couche. Entre un premier opus potable et un troisième sorti de nulle part (et qui sort Robert de Niro de nulle part), ce reboot a été si peu distribué qu’on n’en trouve même pas de titre français. Alors amusons-à le retitrer, voulez-vous ? D’abord, on croit voir Leçons de sexe à l’italienne, parce qu’après l’amour, c’était le thème à explorer. C’est d’ailleurs à moitié avoué puisqu’une roucoulante voix off nous annonce qu’elle va nous entraîner dans les pas d’Éros. Mais ça reste peu fin ; le sexe devient le but et non plus le moyen de l’amour, et aucune subtilité ne viendra calmer les amalgames.
Anecdote : le titre espagnol du film, c’est « Manuale d’amore 2 (Corregido y aumentado) » : un intitulé en itagnol qui nous promet des corrections et des « augmentations ». En parlant d’itagnol, puisque le film amène des personnages italiens et espagnols à communiquer, il est assez amusant et instructif de les voir se débrouiller en sabir. C’est aussi réalisé avec spontanéité.
Comme on pouvait s’y attendre, l’œuvre explore donc – entre autres – l’amour homosexuel. Oui, car maintenant que voilà le spectateur appâté, l’amour redevient le sujet. Cela dénote une certaine amélioration, mais la dissociation si marquée de l’amour spirituel et charnel est discutable ; on peut aussi sentir une once d’hypocrisie. « Oui, on avait oublié la cause homosexuelle, pardon, voilà » ; un raisonnement qui nous amène à retitrer le film une nouvelle fois en Leçons de clichés à l’italienne, car pour le chapitre portant sur le mariage, le film ne fait qu’enfoncer le couple de personnages dans une revendication de tolérance qu’il ne gagne rien à mettre en images, et il lui importe peu, en réalité, de les mettre sur un pied d’égalité avec les couples soi-disant « normaux ».
Le film s’améliore réellement avec l’arrivée de deux acteurs dans son dernier tiers : Sergio Rubini et Carlo Verdone (lequel vient du premier film), qui nous sortent d’interprétations autrement épileptiques. Mais c’est un peu tard.
Au global, un film rarement éclairé, qui n’est pas à la hauteur de sa vocation et qui gêne, au mieux, quand il ne rebute pas.
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Vendredi : Le Bannissement(Andreï Zvyagintsyev, 2007) « Thématique : langue russe »* |
Quand on s’apprête à regarder Le Bannissement, mieux vaut se blinder contre les longueurs. D’habitude, j’y suis très résilient, mais là… c’était trop. Pourtant la caméra est fluide… oui mais ses mouvements sont toujours les mêmes. Pourtant la musique est bonne… oui mais il n’y a qu’un seul son. Pourtant le scénario est fluide aussi, il avance comme sur une onde calme, s’immisçant avec succès dans l’intimité de la famille constituant ses protagonistes… oui, mais les maladresses se font clairement ressentir dans l’abordement du côté familial ; on sent bien que le but n’était pas d’entrer dans le détail, car suffisamment de temps était dévoué à la contemplation, du coup c’est raté, malgré le plaisir indéniable que les acteurs ont pris dans leurs rôles et la compétence des plus jeunes.
Le Bannissement est un très bon film technique, qui fait montre d’une maîtrise épatante du silence – là aussi, entre autres, par les plus jeunes interprètes –, jamais exagérément long, toujours posé et plein de sens. Mais l’histoire est longue, alors y intégrer ce procédé a pour effet de creuser un grand trou dans le visionnage : l’heure du milieu, qui ne sert à rien et qu’on aurait pu couper sans handicaper le film de quelconque manière.
Par contre, quand Zvyagintsyev fait du plan pour du plan, c’est magnifique. Il tue les perspectives avec une discrète maîtrise quand l’intrigue lui en laisse le temps, pour finir avec un travelling monstrueux en guise de conclusion qui m’a fortement impressionné, là encore, par sa fluidité, son minutage et ses couleurs pastels. Dans un autre registre, l’histoire présente de gros sauts dans le temps sans transitions qui demeurent tout à fait compréhensibles. Et enfin, elle cache bien son jeu puisqu’un drame de très bonne qualité se cache à sa fin, confrontant le spectateur à sa propre bêtise de s’être ennuyé, puisqu’on lui montre tous les éléments importants qu’il avait mis de côté et qui se sont avérés utiles.
Donc oui, c’est un excellent film. Mais beaucoup, beaucoup, beaucoup trop lent et long.
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Samedi : Mother India(Mehboob Khan, 1957) « Thématique : film musical »* |
Le film démarre : c’est un Bollywood de 1957. Question : que sont les revendications d’un pays où le cinéma est né comme un champignon tchernobylien sur un terreau si peu comparable à celui des autres pays producteurs de cinéma, indépendant depuis dix ans et constitutionnalisé depuis sept ? La réponse avec la première image : c’est un engin agricole, et le propos est avoué d’office : comment concilier cette modernisation – objectivement bienvenue – avec le respect pour la douleur de ses ancêtres qui ont donné tant de sueur à leur terre ? Ce propos-là, Mother India lui voue toute son histoire, et son interprétation au travers d’une Nargis magnifiquement vieillie à coups de maquillage – même si ça se voit tout de suite – est juste énorme. Quant aux Anglais, on n’y fera qu’une seule et unique mention.
Au début, le film peine à trouver sa voie ; on ne comprend pas encore le modèle de la chose, on doit se confronter à un montage qui est horrible de tous points de vues (même si rempli de bonne volonté), et notre admiration de voir de la couleur dans un film indien si vieux ne va pas sans son corollaire : les décors sont risibles ! Ce n’est pas faute d’avoir fait bosser les décorateurs à plein régime, mais on croirait vraiment que l’utilisation de la couleur était prématurée et que Bollywood n’était pas prêt à en faire un rendu propre.
Mother India a de la peine à se défaire des faiblesses techniques allant de paire avec son époque, car sa motivation dépasse de loin toute considération temporelle. Néanmoins le budget était surprenamment énorme, la caméra est partout (d’où le montage atmosphérique), elle bouge, et même si les procédés théâtraux nous sortent parfois un peu de l’ambiance – je pense à la pluie qui vient de la droite de l’écran plutôt que d’en haut –, on ne peut s’empêcher d’admirer les moyens et l’audace du tournage. C’est une histoire un peu trop revendicative de la culture indienne pour un spectateur occidental – mais on sera agréablement choqué de voir un enfant fumer… pour de vrai ; c’est tellement tabou chez nous ! –, mais dont la beauté s’adresse à tout le monde.
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Dimanche : Da Vinci Code(Ron Howard, 2006) « Hors-thématique »* |
J’avais déjà vu Da Vinci Code il y a de cela de nombreuses années, et je m’attelle maintenant à voir toute la trilogie de Ron Howard avec un esprit plus aiguisé. J’ai été surpris de retrouver les exacts mêmes sentiments que j’avais vécus à l’époque ; au moins, aujourd’hui, je peux mettre des mots dessus. En plus, ayant lu du Dan Brown, je peux aussi faire le parallèle avec le bouquin dont c’est tiré.
DVC parvient tout à fait à reconstruire l’ambiance du roman. Il faut admettre que Dan Brown a inventé un genre, et qu’il se prête bien – ou presque – au cinéma. Presque, parce qu’on dirait que les personnages romanesques, plutôt que d’offrir une coquille aux acteurs, les enferment dans une interprétation gangrenée depuis le départ. Et Tom Hanks, malgré toute l’admiration que j’ai pour lui d’ordinaire, ne parvient absolument pas à s’en émanciper. Pas plus que n’importe quel acteur, sauf Ian McKellen qui est très convaincant avant que son personnage ne pète un câble à la Dan Brown.
Le roman comme le film se veulent un mélange culturel franco-américain à travers l’intemporalité de l’art, et c’est réussi. Mais cette collaboration résulte de manière très prosaïque en des détails difficiles à supporter. Entendre l’accent d’Audrey Tautou pendant deux heures et demi est un supplice. Comment ont-ils fait en VF ? Je n’ose même pas l’imaginer.
C’est sans parler du degré de risibilité de l’exploitation d’une culture par l’autre ; le regard jeté sur les petits Français et la jolie Paris est inquisiteur, tandis que Tom Hanks le grand Américain balancé là-dedans est la projection évidente de la curiosité du spectateur transatlantique. Et puis qu’est-ce que c’est que cette police française qu’on retrouvera sous des traits similaires dans Lucy (Luc Besson, 2014), nonchalante, suréquipée, héroïque et stupide tout à la fois ? Jean Reno lui-même n’excelle pas, et il ne faut pas compter sur lui pour empêcher le casting de donner vie à une armée de caricatures.
Ces manques de subtilité sont regrettables car la thématique et le ton du film sont excellents. Le mystère l’emporte. L’ambiance compte parmi les plus méritantes du monde du film à suspense. Le divertissement est de qualité, Ron Howard a eu du nez. Mais il l’a produit par des canons, sans éclair de génie.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.