Dans l’hebdo de cette semaine : Je t’aime moi non plus (Serge Gainsbourg, 1976), Le Parfum: Histoire d’un meurtre (Tom Tykwer, 2006), 007 Spectre (Sam Mendes, 2015), Folles de joie (Paolo Virzi, 2016), Les Nains aussi ont commencé petits (Werner Herzog, 1970), Source Code(Duncan Jones, 2011), La Voie lactée (Luis Buñuel, 1969).
Un hebdo à sept films (ce n’est pas toujours), que j’ai globalement bien reçus sauf deux.
(J’écris par passion de l’écriture et de mes sujets, mais c’est encore mieux d’avoir l’impression d’être utile. Si vous aimez cet article, cliquez sur le bouton « j’aime », laissez un commentaire, voire partagez si vous en avez envie. Sinon, vous pouvez juste lire, c’est bien aussi. Merci beaucoup !)
Image d’en-tête : Le Parfum: Histoire d’un meurtre ; films 48 à 54 de 2018
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Lundi : Je t’aime moi non plus(Serge Gainsbourg, 1976) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Gainsbourg se met au cinéma… Derrière ce titre culte, il délivre une version graphique de son attrait pour les sujets de la chair. Encore cela serait-il bien fait… Mais faute de poésie ou d’oser aller au fond des ses idées, il s’en sort avec quelques lignes intéressantes émergeant de dialogues sans aucune valeur littéraire, le tout baignant dans une réalisation correcte mais ruinée au montage. Bizarrement, il manie mieux la caméra que sa propre musique, comme si son talent de musicien ne lui permettait pas de savourer la valeur cinématographique des harmonies sonores. Elles se résument à deux instrumentaux régis par une poignée d’accords chacun ; du pur Gainsbourg, quoi, qui colle aux scènes à deux petites occurrences par un complet hasard. Il ne sait pas manipuler les corps sans laisser transparaître l’expérimentation, quoique l’idée qu’il avait en tête soit visible. Une médiocrité vaguement compensée par Jane Birkin qui joue bien et s’assume.
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Mardi : Le Parfum: histoire d’un meurtre(Tom Tykwer, 2006) « Thématique : Dustin Hoffman »* |
Ce film a des facettes qui, peu importe la force du ressenti direct, se révèlent après-coup pour ajouter de la confusion. Ces facettes sont des moments du film distillant leur impression dans l’ombre : il y a le tournage un peu magique en Provence, où se déroulent des évènements peu raccords avec les senteurs de lavande. Il y a le réalisme de la crasse du vieux Paris qui nous fait nous demander pourquoi diable cette coproduction franco-germano-espagnole parle anglais.
Tiens, cette crasse, on y est d’ailleurs initié d’entrée, et les séquences qui s’ensuivent laissent une trainée fragile de désagrément : l’agacement contre la voix off qui s’incruste, la frustration de ne pas savoir où donner de la tête dans une dimension olfactive qui n’a normalement pas sa place au cinéma. On se dit : quel intérêt de savoir si bien tourner le sale si c’est pour ne pas y montrer aussi la beauté, pour la laisser aux mains seules de l’initié ? On se rendra compte par la suite que si ce sentiment demeure indistinct, c’est parce que le film est long et que, fort de ses facettes, on ne voit pas le temps passer.
Mais entretemps, il faut encore traverser la plus grande desdites facettes : les passages dignes d’un Tim Burton ayant été dépossédé de la virtuosité de son compositeur et à qui on aurait donné Dustin Hoffman pour un rôle sans caractère. On assiste ensuite à la mort de son personnage, cynique et inutile à souhait, bercée aussi d’un soupçon de fantastique ; tout à fait burtonien. Est-ce un hasard si l’illustre réalisateur a été considéré pour faire ce film ? En tout cas, on va croire à plusieurs reprises que Ben Whishaw se transforme en Johnny Depp et Paris en Londres ; est-ce le barbier de Fleet Street, ce parfumeur ? Qui assassine dans un silence mutique et sans subtilité à des fins injustifiables, voire immorales, qu’on garde toujours hors de portée de l’entendement du spectateur lui-même ?
À ce stade, l’œuvre est au bord du gouffre du malsain. C’est étonnant qu’il puisse s’en sortir en jouant la carte du fantastique, sortie à demi-mot jusque là. Une carte facile, quasiment grotesque, mais lâchée avec élégance et poésie en puisant dans les racines littéraires de l’histoire. Si on ajoute à cela l’indéniabilité d’une reconstitution soignée et les dimensions dantesques du tournage, on ne peut plus guère dire de ce film qu’il est mauvais, à part peut-être avec ce dernier commentaire : le fantastique occulte inexcusablement le fait qu’une âme d’artiste, fût-elle déterminée et illuminée, n’est pas une âme d’assassin.
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Mercredi : 007 Spectre(Sam Mendes, 2015) « Thématique : autour de James Bond »* |
Le dernier film de James Bond en date est une sorte de compromis fait depuis les débuts de Craig dans le rôle. Éternellement menacée par une monotonie désireuse de s’installer, la franchise doit faire attention de ne pas se laisser rattraper par son âge. C’est un peu ce qu’il se passe ici, car la trame est déjà usée. Alors, pour limiter les dégâts, on y a injecté de petites doses de cynisme rapport à une modernité fictive dont le visage est celui de la réalité. Une bonne idée, sauf que les scénaristes croient qu’on y verra que du feu s’ils font de cet avenir prometteur la chose exacte que les gentils se font la promesse d’anéantir, et ô surprise, ils y parviennent.
L’œuvre retombe aussi dans des travers qu’on croyait exorcisés depuis Casino Royale : le montage hésitant des scènes impliquant des machins volants, la politique devant prévaloir (quoiqu’un prétexte de l’ampleur de la Guerre Froide soit introuvable à notre époque), et les femmes. Heureusement, l’ère où elles étaient des jouets est morte et enterrée, mais elles redeviennent des objets de collection faciles d’accès. Oui, il y a en effet un paradoxe.
Mais la plus grosse erreur de Spectre est la moins bien cachée : il fait le lien avec plein d’histoires passées. Cela produit une soupe médiane et sans caractère où les vermicelles forment les mots : « déjà vu ! ». L’arrivée de Craig signifiait un reboot, non ? Alors que viennent faire ces vieilles intrigues ici ? Bref, il y a beaucoup à critiquer, pourtant c’est un océan peu profond de soucis qu’on a vite fait d’écoper, étant assisté par l’affection qu’on peut porter à des gimmicks plus brillants que jamais (il faut bien compenser) et à une technique garantissant un bon divertissement sans trop d’efforts. Ni d’art, mais bon. Pas mal de rayures mais pas de pièces cassées dans cette vénérable Aston Martin.
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Jeudi : Folles de joie(Paolo Virzi, 2016) « Thématique : langue italienne »* |
Quelle limite entre le bonheur et la folie, entre la raison et l’acceptation résignée de son propre sort ? C’est ce qu’explore ce film dont le thème est psychologique s’il en est, puisque les folles du titre sont littérales et que l’histoire va nous faire réfléchir à la légitimité de la loi quand l’amour en tous genres entre en jeu. Ce n’est pas un hasard si les deux femmes tenant les rôles principaux vont semer l’anarchie sur leur parcours, que ce soit sous sa forme chaotique ou idéologique.
Bon, on ne fait pas de drame en Italie sans verser dans le revendicatif, mais il y a bien un défaut dont on puisse parler : comment prendre au sérieux le message politique lancé par une œuvre qui donne tout crédit à des personnes causant des problèmes si monstrueux ? Et pourquoi trouvent-ils leur compte après avoir passé leur temps à se cogner la tête contre le mur en béton armé du bon sens ? Il est presque dommage que le film se presse d’enchaîner les plans aussi vite que la langue est parlée pour s’échouer sur cet écueil. Toutefois, ce n’est pas là le fondement de l’histoire, qui soulève avant tout les sujets de l’humanité et de l’individualisme.
Est-ce que la tolérance médicale de personnes trop différentes n’est pas une forme raffinée d’hypocrisie ? Tout en gardant les proportions justes de ce qui fait des gens bons et mauvais, le film nous fait remettre en question toute forme de pensée, jusqu’à l’empathie la plus sincère, à cause de ces ce genre de motifs. C’est là la vraie réflexion politique et ce qui fait du film qu’il est beau. On aurait aimé avoir le temps de réfléchir plus profondément sur le sens de chaque scène, mais ainsi est le cinéma italien, et comment lui en vouloir quand il est mené par deux grandes actrices ? Il n’aurait pas fallu les discriminer aux récompenses car c’est là une vraie faute de goût critique qui ne sait pas voir la force et l’insécabilité d’un duo.
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Vendredi : Les nains aussi ont commencé petits(Werner Herzog, 1970) « Thématique : langue allemande »* |
Le deuxième film de Werner Herzog est comparable en marginalité avec le premier, mais pas dans le résultat. Il est long, gênant et sans subtilité. Son propos est d’une clarté aveuglante, comme pour permettre l’interprétation par quiconque. Ce n’est pas comme cela que l’art doit fonctionner. L’allégorie générale tourne court dès que les nains sont comparés à des poules ; là encore, avec zéro discrétion.
Il faut bien sûr tenir compte de l’époque actuelle, qui, sans le dire, est encore plus politiquement correcte que les années 1970, au point qu’il est impossible de qualifier les personnes de petite taille en un mot sans choquer, mais il y a une certaine inconscience derrière ce tournage qui n’est pas pour arranger le film. Qui que soient les acteurs, le sens sous-jacent est juste méchant. C’est sans compter une cruauté envers les animaux qui serait probablement dénoncée et montée en scandale de nos jours : poules brutalisées, singe crucifié (avec une corde, pas des clous, Dieu merci), jusqu’à l’organisation d’un combat de coqs. Tout ça va trop loin ; il faut chercher la beauté dans l’esthétique de quelques plans, et le sens ne justifie pas les moyens, sans compter la dangerosité évidente du tournage.
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Samedi : Source Code(Duncan Jones, 2011) « Hors-thématique »* |
Source Code peut être résumé comme un Edge of Tomorrow plus intimiste et humble. Et mieux, aussi. Alors que ce dernier faillissait à capter une âme quelconque, pourchassant plutôt la réussite, Source Code capture la sienne avec élégance et une apparente facilité. Sans jamais attirer l’œil du spectateur sur sa vocation car c’est avant tout un divertissement, il rappelle que chaque film est une réalité parallèle, et il en prend le thème pour lui-même.
C’est du même coup un doux film d’action, qui ne prend jamais le spectateur pour un bouffeur de pop corn et manie avec finesse les deux mondes qui forment son intrigue : le réel et la simulation. Aucun des deux n’est privilégié sur l’autre, et ils ne passent pas une seconde pour inutiles. Dans son traitement et dans le choix de sa fin, c’est une œuvre qui rappelle la légèreté d’un film comme Lucy, qui pallie ses faiblesses avouées par une conclusion qui monte en puissance très tôt et dont le crescendo ne s’écroule ni ne déçoit.
Les faiblesses en question tiennent d’ailleurs en peu de choses : on regrette que des rôles de figurants soient emphasés pour la simple répétition de leurs scènes, car cela crée un déséquilibre non seulement chez les acteurs (Jake Gyllenhaal et Vera Farmiga sont bons, Michelle Monhagan et Jeffrey Wright bof bof) mais aussi chez les protagonistes car la confusion des héros nous contamine et nous empêche de détecter à qui s’attacher. Les travellings aériens sont un peu barbants. Le cœur science-fictionnel de l’intrigue ne fonctionne pas. Mais à part ça, c’est un concentré de drame, de psychologique (un peu), de futurisme et d’action qui devrait désillusionner très peu d’adeptes de n’importe lequel de ces genres.
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Dimanche : La Voie lactée(Luis Buñuel, 1969) « Thématique : Luis Buñuel »* |
Après avoir touché à la religion dans ses premières années mexicaines, Buñuel vide de nouveau l’abcès de sa haine contre les dogmes, cette fois-ci en grande pompe. Il y a tout, mais avant tout, il y a le traitement, le magnifique traitement : La Voie lactée est une thèse et une antithèse à la fois, et c’est au spectateur de faire sa propre synthèse. Le réalisateur a rempli son œuvre de faits réels, tirant les quatre véritées des Écritures, pour présenter avec objectivité les faits et gestes des croyants et des incroyants. Le visionneur croyant ne pourra pas se piquer, parce qu’il est présenté dans l’histoire tel qu’il est vraiment. Le film n’est pas une parodie ni un pamphlet sauf pour qui veut y en voir un. Même chose pour l’incroyant qui se verra mis en images sans fausse note.
Difficile de dire si l’effet produit était volontaire, mais si tel était le cas, ça ne s’est pas fait sans fausses notes, puisque certains moments sont la négation de cette vocation apparente, comme la scène magnifique du curé dans le déni d’avoir changé d’avis sur la transsubstantiation. Cela reste un film anticlérical au possible. Mais malgré ces doutes sur la volonté créative, c’est ainsi que le spectateur, qui qu’il soit, sera généralement satisfait d’avoir vu cette œuvre qui, croit-il, lui donne raison, et il sera content d’avoir vu son opinion confortée.
Il ne pouvait y avoir plus élégante manière de confronter les gens à leur pensée. De plus, Buñuel est clairement en terrain familier, ainsi que le prouve la concordance extraordinaire de son style confus et onirique avec l’abstrusité de son mirifique propos. Cela n’a plus d’importance de ne pas être sûr de comprendre la scène, du moment qu’on l’écoute.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.