Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Les Enfants de Timpelbach (Nicolas Bary, 2008)
Les Fils de l’homme (Alfonso Cuarón, 2006)
Divorce à l’italienne (Pietro Germi, 1961)
Liverpool (Lisandro Alonso, 2008)
Assassins et voleurs (Sacha Guitry, 1956)
Image d’en-tête : Liverpool ; films 106 à 111 de 2020
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Lundi : Les Enfants de Timpelbach (Nicolas Bary, 2008) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Quelque part entre Sa Majesté des mouches & Bugsy Malone, dans un entredeux infertile déserté de tous, Nicolas Bary a fait surgir Les Enfants de Timpelbach. Adaptation qui était pour lui un rêve d’enfance, il l’a réalisée en mode Petit Nicolas, en totale communion avec les enfants acteurs & dans une esthétique très contrastée & surnaturelle qui coupe aussi bien Timpelbach du reste du monde & du temps que Burton arrive à le faire (dont Bary s’est inspiré), ou Ron Howard dans Le Grinch. Je vais arrêter là avec les références ; de toute manière, c’est à peu près là que s’arrêtent ses points forts & il ne faudrait pas trop le flatter.
Sans fluidité, les scènes essayent tant bien que mal d’épouser les reliefs de rushs dont on a tiré une sorte de best of du jeune casting ; tout le monde a un peu confondu “jouer un rôle” & “jouer” tout court. L’univers méritait de se révéler dans des sous-narrations qui sont finalement toutes reléguées au profit du culte de la spontanéité, lequel est si poussé que l’œuvre finit par être ni plus ni moins qu’un film POUR enfants. Ne généralisons pas : ce n’est pas forcément péjoratif. Mais là si.
L’animation 2D & 3D, qui nous lance sur les chapeaux de roue dans l’espoir d’un monde bariolé qui aurait pu assommer de richesse, se révèle déplacée, voire moche, & finalement le monde nous assomme tout court, lui aussi. Le côté Sa Majesté des mouches ? Inexistant : les enfants, seuls dans le village de Timpelbach, font ce qu’ils veulent, eeeet… continuront de faire ce qu’ils veulent. Les parents, d’abord marionnettes de leurs enfants malgré eux, deviennent véritablement les marionnettes du scénario, dont on attend à peine qu’ils réagissent face à des succédanés d’antagonistes dont on ne saura littéralement rien : ni qui ils sont, ni pourquoi ils sont “méchants”, ni pourquoi ils arrêtent de l’être.
Timpelbach, où aurait pu se déployer le talent de jeunes acteurs dans un cadre plein de personnalité, devient une aire de jeux qui semble avoir expérimenté de tourner avec des enfants sans avoir de direction artistique – on leur a juste donné des lignes pour les guider. Le genre de “mystère” que j’ai arrêté d’apprécier à 5 ans.
Mardi : L’insoutenable légèreté de l’être (Philip Kaufman, 1988) « Thématique : Daniel Day-Lewis »* |
Critique détaillée ici.
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Mercredi : Les Fils de l’homme (Alfonso Cuarón, 2006) « Hors-thématique »* |
J’avais vu Les Fils de l’Homme du temps où pour moi, le charme du post-apocalyptique était éclipsé par l’intérêt plus palpitant de ses exploitations commerciales. Heureusement, Cuarón était là pour prendre le contrepied, même s’il m’a fallu un deuxième visionnage pour m’en rendre compte : déjà, il fait du pré-apocalyptique, & ensuite il fait du Cuarón, où la notion de “commercial” se détache du résultat pratique.
Sa patte graphique s’accordait de base avec le thème, & il lui a suffi de quelques plans-séquences pour infuser la prégnance de ses cadrages & la tension derrière chaque risque. Ce serait une simple débauche de digital chez d’autres, car le cinéaste n’est pas franchement porté sur les plans organiques ; c’est en fait grâce à lui la clé d’un contexte qui s’auto-construit.
Rempli de ces clins d’œil à lui-même qui font le plaisir du fan attentif, le film a été conçu pour ne démarrer qu’avec le générique de fin, alors il s’emploie à nous apprendre constamment sa raison d’être : tout le temps qu’il dure, on apprend à se familiariser avec son univers, qui est finalement arraché de nous comme il arrache parfois la vie, ou l’espoir : le symbole du cri d’enfant qui met un terme aux combats, Cuarón est capable de le magnifier et de le jeter comme s’il était trop simple pour être digne de son histoire. Et il le fait tellement bien qu’on n’a rien à y redire.
Pleine de textes & d’accessoires, l’œuvre est un décor ambulant qui renferme un lore énorme au sein duquel Clive Owen ne nous fait pas que traverser les lignes du front, mais les lignes du script : une chute libre dans une réalité étroite mais incommensurablement haute, au jeu de laquelle on se prend car il ne suffit pas d’un film pour la faire saisir entière.
Dix ans après Bienvenue à Gattaca, le genre d’anticipation prend à nouveau conscience de lui-même : regard nostalgique sur un futur qui n’est pas encore survenu, il fait un peu pressentir Cuarón à la réalisation d’un film dans l’espace, comme le scénario consiste essentiellement à passer de problème en problème. Mais si l’on s’accorde à le qualifier de documentaire de fiction, c’est le meilleur de l’histoire du cinéma.
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Jeudi : Divorce à l’italienne (Pietro Germi, 1961) « Thématique : langue italienne »* |
À l’italienne ou à la sicilienne ? La célèbre île, considérée généralement comme une sous-Italie, a toujours servi à dépeindre une hyper-Italie, & même Germi n’y fait pas exception, quoique le lieu est plutôt un prétexte à mettre Mastroianni dans ce rôle patrimonial mais très peu matrimonial du jaloux-cocu-libertin.
Cependant, le vrai moteur du film, c’est la loi, une vraie loi italienne abrogée en 1981, qui punissait de seulement 3 à 7 ans de prison les homicides commis sur une épouse, fille ou sœur (ou l’amant de n’importe laquelle de ces dernières) dont on venait de découvrir qu’elle ou il (enfin… les deux, du coup) entretenait des relations charnelles illégitimes. Un traitement de faveur pour l’homme qui venge son “honneur” : on croirait que la culture sicilienne stéréotypique s’élevait au niveau national.
Mastroianni donc, tout fraîchement sorti de La Dolce Vita, tombe dans L’Amara Vita & ses travers qu’il n’a pas moins de talent & de plaisir à jouer que le paparazzo. Figure principale d’un monument introspectif, chef au chef bien laqué de bien des laquais, il tient la dragée haute au petit peuple depuis son titre de baron, faisant oublier que le film prend pas mal son temps & se concentre un peu trop sur son noyau judiciaire, comme si la loi tenait plus lieu de script que n’importe quel texte créatif.
En effet, si Daniela Rocca (celle que Mastroianni va faire en sorte de mettre dans le rôle de l’infidèle) minaude de manière délicieusement insupportable, l’arrière-fond se meut avec le peu de grâce d’un vaudeville : usant de running gags & de petits drames, Germi ne le soigne pas plus que la réalité dépolie de sa Sicile. Ce qui compte, c’est ce qu’il y a dans la tête de Mastroianni. On ne va pas s’en plaindre mais ça se révèle assez limité.
Artiste de pop culture avant l’heure, Germi arrive à border son décor de quelques perles : en montrant des Italiens qui se réjouissent du succès de Spoutnik, il donne une place de choix & révélatrice à la course à l’espace, quoiqu’avec le chouilla de maladresse qui allait avec ce précoce compromis entre le film & ses éléments parascénaristiques. Il intègre directement La Dolce Vita aussi, avec ses effets inattendus sur une société sicilienne plus intéressée par la fastueuse actrice que par l’art de Fellini.
Se bringuebalant sans médiocrité mais sans beaucoup d’ouverture non plus, le divorce à l’italienne évite en tout cas de devenir le cliché ambulant que même le titre original faisait craindre, en finissant comme on ne s’attendait pas à ce qu’il finisse comme on ne s’y attendait pas.
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Vendredi : Liverpool (Lisandro Alonso, 2008) « Thématique : langue espagnole »* |
Alonso ne simule pas le documentaire : il fait tout ce que le genre ne montrerait pas. De cinématographique, il ne garde que le montage, & encore, seulement les coupures ; au sein d’un même plan, le temps ne doit pas être distordu & c’est bien ce qui rend Liverpool insupportable. S’il n’y a pas de film désagréable dans l’absolu, celui-ci fait de son mieux pour démontrer le contraire.
En revanche, le réalisateur a du génie quand il s’agit de faire ressentir non pas les sentiments du personnage, mais ceux de la scène : l’ambiance frise l’émotion pure & simple, comme une humanisation profonde de l’image. L’Homme dans son cadre est presque inanimé, passager apathique de son voyage immobile.
Apparemment faite d’air, d’inaction & de silences, l’œuvre devient furieusement analysable, intriquée & ouverte, essentiellement parce qu’elle ose faire une scène de six minutes d’un homme qui emballe ses affaires, ou qui mange, ou qui marche. Les mystères bêtement humains, à peine effleurés dont nous parle le film, resteront inaccessibles à tous les autres artistes comme au spectateur qui s’ennuie. Encore une fois, le réalisateur rend la critique complètement caduque, car il est en-dehors de tous les mondes de l’opinion légitime.
Le sujet se prête moins à ce traitement particulier que son Los Muertos, mais Alonso sait ce qu’il veut faire & le fait à fond. Destructeur d’exotisme, il donne à ses lieux des palettes de notions inconnues qui arrivent à mettre Ushuaia & l’Amazonie dans le même panier, comme s’il nous transformait en citoyen du monde sans culture, ni langue, ni clichés. Davantage donner de sens à un porte-clé “Liverpool” dans les mains d’une femme simple d’esprit dans la région d’Ushuaia, c’est impensable. Mieux démont(r)er l’occidentalocentrisme, c’est impossible. Et inimaginable en documentaire. Qui aurait cru que c’est le cinéma qui se passerait le mieux d’être orienté pour faire voir l’autre bout du monde ?
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Dimanche : Assassins et voleurs (Sacha Guitry, 1956) « Hors-thématique »* |
Pour une de ses dernières œuvres, loin de ses “si le cinéma m’était conté”, Guitry a conçu une… petite œuvre. Compromis ultime entre littérature, théâtre & film, Assassins et voleurs est modeste dans les trois genres à la fois, voire, comme le dit Serrault, digne d’aucun d’eux car son sujet est une tentative de sortir le fait divers du regard morne & insensible que le lecteur du journal lui accorde, afin de le mettre dans un cadre plus digne de l’amusement – terme qui est d’ailleurs le credo de trois personnages, bonjour les tics d’écriture.
Mais l’écriture reste du Guitry, & le Guitry, c’est bien. C’est du jeu de mots dissimulé, de la référence discrète, en somme toutes choses qui sont & demeurent jouissives. On ne peut pas en dire autant de la continuité qui toussote, ni du fait que l’on est un peu pris pour des andouilles quand on doit croire que le bateau immobile est en mouvement (du coup, j’ai cru qu’ils étaient vraiment immobiles). Le déroulement est un égarement constant, encore plus dirigé par les digressions que le petit rôle de Darry Cowl n’en exploite en cinq minutes.
Comme on l’a dit, c’est une œuvrette : un divertissement… “innocent” qui est déjà bien gentil d’être spirituel, & un raccommodage où Poiret fait très bien semblant qu’il est Guitry lui-même dans son rôle d’instigateur général du rebondissement. Un film qui sera toujours à redécouvrir.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Je vois que nous avons tous les deux kiffé «Le Fils de l’Homme», excellent film, aux accents messianiques (le bébé qui va sauver l’humanité !) sans être manichéen, bon dans l’humour comme dans les émotions graves et prophétique sur certains points (crise des migrants), avec le recul. La seule broutille que je lui reprocherais, c’est de parfois délaisser la narration pour s’attarder sur son bel univers qu’il veut absolument nous faire connaître, mais étant fan des films qui prennent ce parti-pris (genre «Bladerunner 2049») ça ne me dérange en fait nullement.
C’est d’ailleurs bien pour ça qu’on s’accorde pour une fois sur un film, je pense ! Cuarón peut gérer narration et univers simultanément comme s’il écrivait des deux mains à la fois.
[…] “accordait” une peine réduite pour les meurtres commis pour défendre son “honneur” (cf. Divorce à l’italienne), Germi s’attaque cette fois-ci à un texte bien pire, abrogé lui aussi en 1981 : le mariage […]
[…] hors du temps, mais plus loin encore. Le voir prendre la suite des antiacteurs de Los Muertos & Liverpool semble faire du film le contenu de sa propre histoire : tandis que dans le reste de sa filmographie […]