Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
La Môme (Olivier Dahan, 2007)
À vif (Neil Jordan, 2007)
Waterworld (Kevin Reynolds, 1995)
La Voce della Luna (Federico Fellini, 1990)
Les SS frappent la nuit (Robert Siodmak, 1957)
Highlander (Russell Mulcahy, 1986)
Image d’en-tête : La Voce della Luna ; films 52 à 57 de 2020
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Lundi : La Môme (Olivier Dahan, 2007) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Le problème éternel du biopic, c’est de viser le public. Plus grande est la légende, plus large est l’écart entre les nostalgiques & les cinéphiles, des audiences qu’il faut savoir rassembler au lever du rideau. Le choix est dur & Dahan le règle d’une manière simple : se montrer froid & confus, ne pas faire de spectacle & enchaîner les changements de date. En titrant “La Môme”, le film ne prétend d’ailleurs pas donner la vision d’une vie, mais de ses origines.
Gerbe d’images discontinues guidée par des allusions secrètes s’adressant aux connaisseurs, le film semble longtemps vouloir survoler les faits réels & nous faire décrocher, & l’on comprendra plus tard pourquoi. L’histoire de la chanteuse commencera assez vite de se découvrir d’elle-même pendant que défileront les noms d’un casting qui tolère de graviter autour de Cotillard comme le monde gravitait autour de Piaf, mais avant d’activer le mode Feux de la rampe, on aura le plaisir de traverser l’enfance oliver-twistesque de la chanteuse, menée par Pauline Burlet aussi bien que Cotillard assurera le rôle adulte.
L’actrice, qui remportera 27 récompenses (dont un Oscar), transmet l’entière prestance de l’artiste à qui elle rend hommage, participant à ce que l’art du film, naturellement oppressé par l’art du chant, finisse de se faire le plus petit possible. Une bonne chose ? Oui & non.
C’est de là que vient le ballet des dates, difficiles à suivre, qui freinent juste assez la mise en scène pour avoir l’humilité de ne pas en faire ”le film de Dahan” (c’est celui de Piaf) & rester parlant quand les clairs-obscurs doivent se déployer & que le parallèle entre Paname & la Grosse Pomme doit prendre son sens de pont d’or – au-dessus de l’Atlantique – pour des stars qui vivent dans le déchirement. D’une date à l’autre, le personnage se crédibilise, se tissant dans un joli désordre.
Le tout est donc froid & déroutant. Trop de scènes, pas assez d’humanité en-dehors de ce personnage qu’on adule. Toutefois, il agit bientôt comme une chrysalide pour Cotillard, impossible à brider mais magnifiquement dirigée, qui du coup n’en fait pas non plus “le film de Cotillard”. Ce n’est pourtant ni elle ni Piaf qui ressort de son interprétation : c’est un tout, une unité, & c’est ce qui fait toute la beauté & la force (tardives, mais par nécessité) de son hommage.
Le film, le vrai, celui de Dahan, celui de Cotillard & celui du succès critique, il semble n’émerger qu’en guise de conclusion, dans la mort effroyablement élégante de la chanteuse ; la scène qui, enfin, concilie nostalgiques & cinéphiles. Voilà pourquoi les allusions & la confusion étaient nécessaires, voilà ce qui rendait la discontinuité primordiale : la vie délurée de Piaf, telle qu’on l’a vécue en accéléré & raccourcie, n’était évidemment qu’une facette.
Au moment de sa mort, la confusion se démêle, les allusions se déroulent & c’est tout le récit qui rebondit en souvenir vers une autre Môme, celle qui a toujours vécu au creux de l’âme de la poétesse – aux côtés du personnage cinématographique – & qui maintenant nous fait faire une partie du chemin à l’envers.
Je ne sais pas si j’admire le film, qui reste un biopic avec les freins que cela implique, mais j’admire ce bout de vie que des artistes discrets ont su développer en l’évocation d’une vie entière, avec cette leçon qui sert de joli point final : on peut vivre dans le vice & la colère & être bon quand même, sans qu’Hollywood ne s’en mêle.
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Mardi : À vif (Neil Jordan, 2007) « Thématique : Jodie Foster »* |
[Spoilers partout] “New York, la grande ville la plus sûre au monde”. Elle se joue à fond, massive, débordante d’elle-même, faisant regretter que l’introduction ne prît pas plus son temps. Rapidement, on envoie Foster dans un tunnel de Central Park à la nuit tombée : la scène pouvait difficilement transpirer plus le crime. Et bien sûr le crime survient. Une introduction copiée-collée de Ghost vient de nous faire vivre, dans l’atmosphère d’un Extrêmement fort et incroyablement près néo-noir, la première rupture entre des ambiances multiples maniées avec grande aise. Le tunnel a fait entrer Foster dans le terrier du lapin : Alice n’est plus ici, elle est dans le coma, au pays où la… mort veille.
À son réveil, traumatisée, Foster a perdu son compagnon, assassiné dans (ou par ?) le tunnel. Mais À Vif n’est pas l’histoire d’une victime & la souffrance n’est pas du genre, ici, à retourner dans son antre une fois son ouvrage accomplie. Alice doit encore se faire avaler par New York au moment où sa propre histoire criminelle en rencontre une autre, comme dans une collision aussi improbable que dramatique qui va lui faire rejoindre le côté obscur. Son deuil & son traumatisme ne cicatriseront pas : ils vont se gangréner, suivant sa transformation en cette “autre” qui devient une meurtrière.
Emportée ainsi par un de ces concours de circonstances menant à des drames simples dont on fait rarement des films, son âme meurt de ses blessures & de celles des autres. Plusieurs fois, on nous rappellera à son essence fantomatique, confirmant qu’elle est, sous bien des aspects, la version féminine & bien vivante de Patrick Swayze dans Ghost : on dit qu’elle est “revenue” de sa souffrance, elle devient une “Étrangère” presque invisible, une créature nocturne pour qui tout est soudain différent.
There is no going back, to that other person, that other place. This thing, this stranger, she is all you are now.
[…]
Why don’t my hands shake? Why doesn’t somebody stop me?
On pourrait n’y voir que la métaphore élaborée permettant de brasser un peu la représentation artistique de la souffrance, mais c’est davantage : Foster, une fois de plus extrêmement bien castée dans le même genre de rôles froids & efficaces que Panic Room ou Flightplan qui lui ont servi de rodage, donne sa pleine puissance à cette rencontre de douleurs variées qui fait fusionner les couches d’ambiances ; le deuil, la peur & le ressentiment se fondent en un alliage presque surnaturel qui va la définir. Ce sont des données franchement réalistes & hyperdramatiques ; elle ont juste en commun d’être noires, & le film n’a finalement pour défi que de les combiner. Il y arrive très bien.
À partir de là, le film pouvait difficilement aller trop loin. Le contrat que le spectateur a signé au générique du début, en écoutant la voix de Foster & sa belle apologie radiophonique de sa ville adorée, est solide. Les alter egos de la ville & de Foster sont presque des évidences. Quand arrive ce qui doit arriver (axiome & bête noire du scénariste le plus accompli), c’est comme un quitte ou double de l’incrédulité qu’on est obligé de jouer, car le drame est parfois suffisamment simple & les enjeux trop lunaires pour que leur fonctionnement dans un décor aussi organique & récurrent que le crime new-yorkais n’exerce pas un immense pouvoir d’attraction.
Rôle peut-être trop déjà-vu pour Foster qui n’y trouve que peu de gloire, À vif paraît être le contrepied de l’ “histoire vraie” hollywoodienne, maniée de sorte à en faire un grand thriller même si son arrière-goût est familier.
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Mercredi : Waterworld (Kevin Reynolds, 1995) « Hors-thématique »* |
Nouveau visionnage pour Waterworld, film qui a failli par deux fois à me fasciner malgré mon affection séculaire pour les genres surnaturels hollywoodiens. Je voulais mettre le doigt sur ce qui me gênait & c’est chose faite.
Le noyau dur de mon souvenir était l’océan, bien sûr, sous une forme bien précise qui fait toute la personnalité du film : sa qualité de prison ouverte qui s’étend à l’infini & où les options pour fuir les Méchants™ sont magnifiquement restreintes. Deux films me viennent pour qualifier cette ambiance : Le Livre d’Eli & Mad Max.
Waterworld est indéniablement & entièrement un Mad Max aquatique, ce qui est difficile à se sortir de la tête une fois qu’on y a pensé. On a aussi remplacé Mel Gibson : Kevin Costner lui tient lui de parfait équivalent dans le rôle du dur-à-cuire post-apocalyptique qui va réapprendre à être humain. Mais le tournage aurait pu se passer de son caractère (pas comme de ses gros sous, visiblement), parce qu’entre le climat chagrin & le tournage flottant aux conditions affreuses, le film prenait déjà suffisamment l’eau.
Peut-être avais-je senti ces difficultés à travers l’écran, même si elles n’impactent pas la qualité du blockbuster au budget gigantesque battu seulement trois ans plus tard par Titanic – décidément, l’eau est chère aux USA. Le côté “méca”, bien rouillé & huileux, est particulièrement soigné & apporte une pierre immense à l’ouvrage, complétant le mystère de cette planète recouverte d’eau où les humains sont aussi cosmopolites qu’éparpillés.
Mais cela ne contrebalance pas les gros accrocs du mood, qui ne passe pas loin d’être unique (vraiment pas loin : c’est ça qui me frustrait) & qui y aurait vraiment gagné plutôt que d’hésiter entre le surnaturel soft & une sorte de… fantasy ? Le surjeu (très waterpunk) & les pointes d’humour me font même penser à Willow, en beaucoup moins puéril (le nom de la gamine a pu jouer aussi : Enola, Elora…).
J’ai donc non seulement compris ce qui me gênait dans Waterworld, mais je le revis en partie. Par contre, ça ne me gâche plus le visionnage ; un peu de culture du plaisir coupable est nécessaire pour goûter à l’unicité hétérogène de ce quasi-ovni incomplet.
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Jeudi : La Voce della Luna (Federico Fellini, 1990) « Thématique : Federico Fellini »* |
Pour son dernier film, Fellini n’en démordait pas : le doublage, sciemment imparfait, devait servir à “doubler” son univers surréaliste & à le mettre à “l’imparfait” d’une époque décalée comme un pied-de-nez à une vague réaliste qu’il a prise à contre-courant. Difficile d’y déceler un côté volontaire puisque c’est le stigmate des navets, mais de le voir aborder les années 1990 avec cette détermination laissant loin derrière elle le côté cheap de la mauvaise post-synchro, cela parvient à nous faire voir autre chose qu’un Litan italophone.
Benigni sera le dernier grand qu’emploieront les castings du génie ; l’éternel jovial est ici rempli de questions & de doutes, dans une indécision qui n’a d’égaux que les rêves de plus en plus pénétrants & la réalité de moins en moins sensée s’enroulant autour de sa folie. Pour le coup, c’est une folie folle et sans débordements qui s’agite avec calme & maîtrise.
Jouant sur les proportions, faisant passer un lit pour immense & tenir la Lune dans un hangar, puis créant le mouvement de l’extérieur par celui (trompe-l’œil) de la caméra qui regarde par une fenêtre, le réalisateur parvient à créer son monde le plus sobre & surnaturel, mais aussi le fruit avoué d’un arbre (trop) unique : son expérience. C’est le cœur de Fellini qui parle sur pilote automatique, confirmant que l’artiste n’a pas connu de pente descendante, mais évoquant un peu tristement ses dernières visions.
Produit dans une sorte d’atelier créatif de l’improvisation, La Voce Della Luna est serein, en fait sélène ; parfois on croit sentir l’Enfer sourdre depuis cet “autre côté” à la nature changeante, jamais très éloigné, dans lequel on sombre depuis un trou dans un toit, la folie d’un autre, une porte ou un champ. Peut-être cela vaut-il mieux de se le remémorer comme cette espèce de passage de la lumière aux ténèbres plutôt que comme la forme concrète & trop brute de la Lune déclamée par Cyrano – lui aussi faisait ça pour gagner du temps.
Fellini essaye d’en rajouter mais il manque de conviction dans la folie ; son film, coupé aux racines de la spontanéité malgré le culte de l’impro, reste coincé dans son monde d’enfer & de réel comme les esprits tourmentés qui le peuplent.
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Vendredi : Les SS frappent la nuit (Robert Siodmak, 1957) « Thématique : langue allemande »* |
J’utilise la version du titre qui traduit littéralement le titre original : Nachts, wenn der Teufel kam. J’aurais aussi pu choisir Les SS frappent la nuit, l’alternative moins portée sur la diabolisation du nazisme & plus apte à transmettre l’américanophilie de Robert Siodmak.
La possibilité du choix, en tout cas, est un joli reflet de la nature même du film, qui fait douter d’entrée : qu’est-ce que cet officier nazi sympathique & cet humour qui fait tache dans une Allemagne en guerre & bombardée elle-même ? Le mélange entre expressionnisme & film noir est en tout cas flagrant & aussi frustrant que passionnant, car ce sont les poncifs des deux genres qui sont recyclés dans une œuvre aussi nouvelle que réchauffée, un véritable hybride.
Toutefois, sa nature germanique & l’attachement qui est apporté aux petits gestes & aux grandes expressions (“il verse des larmes de joie dans son calice d’amertume”, dicunt les sous-titres) le place définitivement en marge de ses inspirations tandis que le choix de la guerre comme thème principal lui donne un faux air de précurseur au thriller. Mais ce n’est pas là qu’il est visionnaire.
La réussite de Siodmak se situe essentiellement dans ce qu’il arrive, avec un montage rapide & dense typiquement américain, à construire une histoire policière à partir de l’arrière-plan nazi ; ce dernier ne devient pas la raison d’être à tout comme le cinéma nous y a habitués, mais demeure une simple ressource qu’il se permet de modeler seulement dix ans après la fin de la guerre, & en Allemagne avec ça. Voilà où l’œuvre est en avance. Voilà ce qui la rend discrète à moins d’avoir le contexte historique bien en tête.
Le cinéphile a la chance, aujourd’hui, que la guerre & les nations patriotiques à reconstruire soient suffisamment loin pour permettre une analyse globalement démoulée des dissensions politiques, historiques & cinématographiques dont il découle. Il y a de quoi, par contre, s’étonner de la vitesse à laquelle le monde s’est découvert un attrait pour la Nuit de Siodmak. Comme quoi la lumière qui est faite sur l’affaire Bruno Lüdke, non contente de ne jamais laisser transparaître qu’elle est inspirée du vrai criminel éponyme, ne surfait (du verbe “surfer”, pas “surfaire”) sur aucune vague stylistique malgré les apparences.
L’intégration du film criminel dans l’Allemagne propagandiste & ultra-administrative est brillante, elle dévie la manipulation des faits jusqu’à ce que l’État se manipule lui-même, & finalement… c’est le film qui est manipulateur. Voilà le signe d’une réussite mais aussi que Siodmak, l’air de rien, a créé une véritable “poudrière des balcons” !
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Dimanche : Highlander (Russell Mulcahy, 1986) « Hors-thématique »* |
Highlander, comme Waterworld, avait été pour moi frustrant & marquant à la fois. Si ce dernier a fini par monter dans mon estime, Highlander se prend une sacrée gamelle : je découvre que c’était quasiment un navet. Je n’ai pas su trouver l’âme du film culte des années 1980, ingenrable & semi-précurseur d’effets spéciaux osés.
La seule chose qui me reste du premier visionnage qui se soit vérifiée, c’est le jeu de cache-cache que le scénario fait avec les époques. Le Highlander peut vivre plusieurs siècles & on n’a aucun mal à l’accepter grâce au contraste récurrent qui est fait entre les reconstitutions historiques & le New York des thrillers – un aspect qui a malheureusement mal vieilli.
Les temps anciens d’où émergent les surhommes mystérieux nous semblent particulièrement accessibles, & c’est bien. Ce qui n’est pas bien, ce sont les bruitages, des swoushs & des klangs parfaitement ridicules & auxquels je refuse l’excuse du kitsch, qui tapisse d’ailleurs déjà suffisamment un Moyen Âge basé surtout sur un tournage au naturel en Écosse, ce qui ne l’empêche pas d’être anachronique & aussi peu convaincant que l’univers d’une autre casserole de Lambert, Vercingétorix.
À tout prendre, l’ambiance est mieux rendue par les mouvements complexes & presque sournois de la caméra – hélas sous-exploités, peut-être par peur d’innover trop.
Le lore de Highlander aurait mérité qu’on s’y attarde pendant une heure supplémentaire, même sans une mise en scène géniale ; c’eut été mieux, en tout cas, que ce remplissage d’infos diverses & éparses sur l’historique des personnages, qui aboutit par sa précipitation à tout simplement priver le film d’ambiance & d’énergie, sans compter la frustration qu’il y a à en savoir si peu.
Même à tête reposée, je ne sais dire ce que l’œuvre m’a évoqué, & je me coince entre les quelques tableaux bien brossés (l’humeur démoniaque du Kurgan a pu inspirer La Fin des Temps avec Schwarzenegger, mais il rit beaucoup trop) & l’atmosphère qu’on tasse & qu’on bourre à coups de Queen super mal intégré dans la BO. Et dire que je n’ai toujours pas vu les suites…
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Moi je préfère les SS frappent la Môme.
Mon Dieu.
Étant un inconditionnel du kitsch, j’aurai toujours un faible pour «Highlander»: l’ambiance 80’s, les effets spéciaux, la musique de Queen, la vision quasi-romantique de l’Écosse (qui n’est pas médiévale, pour le coup, Connor McLeod est né au XVIème^^), et le Kurgan, bordel, le Kurgan quoi. Ça fait partie des œuvres qui, par réunion d’éléments aussi bizarres qu’originaux, réussissent à propulser un film dans une autre dimension où il acquiert une saveur toute particulière.
Après c’est sûr, les goûts et les couleurs… Et en termes de saveur, «Highlander», c’est un peu comme un œuf centenaire au gingembre, on adore ou on déteste !
Par contre, «Waterworld», j’ai jamais accroché du tout…
Ah oui, j’ai un peu trop enduit l’adjectif « médiéval » de licence inculturelle.
Perso, j’aurai aimé Highlander, puis je l’aurai peu aimé. Mais je ne crois pas qu’il y aura une pente montante pour lui.