Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Je préfère qu’on reste amis (Olivier Nakache, Éric Toledano, 2005)
Panic Room (David Fincher, 2002)
Psych-out (Richard Rush, 1968)
Amarcord (Federico Fellini, 1973)
Les Désarrois de l’élève Törless (Volker Schlöndorff, 1966)
Une histoire d’amour suédoise (Roy Andersson, 1970)
Image d’en-tête : Une histoire d’amour suédoise ; films 29 à 34 de 2020
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Lundi : Je préfère qu’on reste amis (Olivier Nakache, Éric Toledano, 2005) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Nakaledano sont passés au long-métrage sur ce film dont la sortie est passée un peu inaperçue, pourtant elle n’est pas juste un bon départ pour leur carrière : c’est un vrai ajout aux fibres déjà multiples de la comédie populaire.
Revisitant une méthode qui avait déjà fait ses preuves en France (enfermer les personnages dans leur propre personnalité), ils donnent à Rouve & Depardieu l’occasion d’offrir un spectacle pas particulièrement recherché mais qui vient du cœur, chacun se battant pour sa vie, essayant de suivre un chemin qui ne leur obéit pas – c’est même un euphémisme dans le das de Rouve qui, à chaque fois qu’il dit ”non”, est catapulté par le montage dans la situation qu’il tenait justement à éviter. Parfois à cause de son compère lui-même. Les réalisateurs étant compères eux-mêmes, ils n’ont pas besoin de retomber dans le genre Veber & donnent même un joli coup de fouet à l’expérience de frères ennemis.
Résultat : la relation des deux acteurs est une amitié unique, au contour américanisé (les disputes & rabibochages à la queue leu-leu tiennent la vedette), mais vivante. D’ailleurs les hauts & bas ne se limitent pas qu’au relationnel : en même temps qu’il cherche à faire rire, le film réfléchit à une manière de proposer des émotions concrètes, même pas forcément compatibles à l’humeur générale. Quand Rouve n’y tient plus, qu’il se lâche, s’excuse & réclame en pleurant : ”foutez-moi la paix”, c’est quasiment une interpellation, comme si le personnage s’adressait à nous, nous accusant de rire de ses faiblesses. Un double-fond magnifique qui concilie effectivement comédie & sentiments purs dans des ascenseurs émotionnels modestes mais charmants.
Le scénario s’engageait pourtant sur la voie du malaise : le casting est presque trop excellent & l’on met du temps à se débarrasser du sentiment que les scènes sont écrites d’après les personnages, voire les acteurs : Girardot en maman attachiante qu’attaque Alzheimer en est un bon exemple. On se sent parfois moins de légitimité à rire dans cet environnement grumeleux, pas tout à fait assumé. Heureusement, cela change par la force d’un certain inattendu : faire jouer le candide à Depardieu, c’était osé, surtout dans l’idée qu’un Rouve timoré arrive à la longue à lui marcher sur les pieds. Et ça marche, du moins si l’on est prêt à supporter une monothématique qui frise l’obsession psychorigide.
Les comédies françaises de 2005 à 2010 ont couci-couça formé un peu de mon cinéma d’enfance & j’étais bien incapable de définir ce qui les rendait addictives. D’ailleurs, j’en étais venu à croire que c’était une idée reçue, un mythe né de l’imaginaire inexpérimenté d’un jeune cinéphile. Là, chez Nakaledano, dans ce premier long-métrage qui tente des trucs (parfois potaches) & ne se contente pas d’être assez marrant, dans cette comédie où les héros déteignent l’un sur l’autre plutôt que de miser sur leurs dissemblances, dans ce film qui parfois omet de maquiller des transitions faciles mais jamais sans une bonne dose de bonne-vivance & de très bonne musique, je découvre que finalement, j’avais peut-être raison.
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Mardi : Panic Room (David Fincher, 2002) « Thématique : Jodie Foster »* |
Il n’y a pas que le titre qui fait frôler le genre de l’horreur à Panic Room. Larges trottoirs, problèmes de famille & enfant à problèmes, grande maison sombre (très sombre), Fincher pourrait être en train de nous refaire Sixième Sens si tout cela n’était pas qu’un masque.
La mise en bouche est dans le même goût, consistant à faire le tour de la propriété fraîchement acquise comme dans un film de fantômes : personnages & spectateurs découvrent ainsi simultanément ce qu’on peut craindre dans cette maison sombre (très sombre). Le réalisateur tient à ce que tout se passe là, dans ce décor à six millions de dollars où les planchers sont en bois mais ne grincent jamais. La formalité immobilière remplie, la caméra pourra, sans confuser, allègrement traverser tous les murs (et… voir à travers le sol ? dakor) histoire de nous rappeler par ses mouvements de fantôme (wink wink) que c’est un petit peu un film d’horreur, hein, vous oubliez pas.
S’il en est trop fait visuellement, on peut difficilement cracher sur la topographie d’une maison (sombre, très sombre) qui est exploitée à fond. La menace suinte de partout avant que le réalisme n’impose sa lourde chappe : ce n’était pas une menace, simplement le manque de familiarité avec le lieu. Car voilà un trio bien peu fantômatique de scélérats qui effracte en catimini pour dérober le butin que Foster & sa fille Stewart ignorent détenir chez elles.
Ce sont les trois criminels qui, par leurs répliques, apportent le côté thriller que Fincher cultive, avec trois différentes façons de faire : Whitaker la clémence, Leto l’irritabilité et Yoakam la psychose. Une guerre va s’installer entre hommes & femmes, lesquelles s’enferment dans la ”panic room”, la pièce sécurisée garantie ”les-méchants-ne-vous-attraperont-pas”. Sauf qu’ils vont essayer.
Les acteurs donnent une saveur de tension très appréciable qui est longtemps raccord avec la saturation de tactiques & de contre-attaques chauffant cette guerre au rouge, la laissant toutefois un peu cramée, avec la sensation que Fincher a trop titillé la fibre de l’espoir (un ingrédient hautement inflammable). Pendant qu’on est dans le film, la magie opère cependant, car on a du plaisir à voir des acteurs intelligents (Whitaker & Foster en premiers) faire des trucs intelligents les uns contre les autres.
C’est là, malgré que les acteurs fleurent bon l’intégration mûrie par un scénariste à la hauteur de Fincher, qu’on devine un casting pas forcément bien trouvé. Peut-être avait-on trop habitué Foster aux grands espaces pour lui donner un rôle claustrophobe, ou bien Nicole Kidman avait-elle laissé une humeur réprobatrice sur le plateau en lui cédant sa place, mais en tout cas, ça ne va pas : Whitaker est trop charismatique pour jouer le gentleman cambrioleur, Leto trop sérieux pour laisser l’empreinte de son instabilité, & Foster trop monovisage pour faire croire à l’adrénaline. Yoakam marche bien mais il est en porte-à-faux sur différentes versions anachroniques du personnage psychopathe.
Panic Room est un thriller magnifique, presque parfait en fait, mais convaincu de pouvoir s’autogérer. Il marche tout seul, ce qui veut dire ici qu’il est SEUL à marcher, en complet décalage avec ses composants (visuel, acteurs, morale) dont il se fait des ennemis. Résultat : pour que le film ait une scène d’empathie à peine passable où Whitaker est supposément confronté à son gentil fond, il lui faut des échafaudages tour-eiffelesques de situations abracadabrantes & de réflexes extravagants.
On navigue facilement en lui parce qu’il donne très envie de manger du popcorn en oubliant de réfléchir, mais c’est la réémergence d’un Fincher honnête qui nous retient : en guise de conclusion, Foster a guéri sa claustrophobie, elle réclame de l’espace & un travelling contrarié agrandit Central Park pour elle sur un fondu au noir. Damn, David, tu pouvais pas faire ça le reste du temps plutôt que d’épater la galerie avec tes VFX ?
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Mercredi : Psych-out (Richard Rush, 1968) « Thématique : Richard Rush »* |
Richard Rush, plus que bien des réalisateurs, était ancré dans son époque, & il semble que c’est sa médiocrité de metteur en scène qui lui donnait l’aptitude à capter ce que d’autres se sentaient obligés d’enterrer dans la fiction. Après les Hells Angels (Le Retour des anges de l’enfer) & avant les étudiants (Campus ou C.Q.F.D.), c’est l’âge hippie sur lequel il se précipite pour créer Psych-out, film qui devient documentaire malgré lui à travers toutes les brèches que les ratés artistiques ouvrent sur son terreau réel.
Montage audio affreux, inserts inutiles, situations ridicules, cadrages sans façon, Psych-out a tout de la gamelle, jusqu’à l’acting désastreux (même concernant Nicholson qui, juste avant sa révélation au grand public, est la preuve vivante que la direction d’acteurs fait beaucoup). Les métaphores de Rush sont toujours aussi peu discrètes (il apprendra à les rendre implicites dans Campus, mais ça ne change rien à ce que je viens de dire, alors lis mieux Richard stp) & accèdent à la mignonitude par à-coups (mettre en parallèle les hippies mal fagotés avec un vitrail représentant Jésus en haillons, ça serait cool si tout n’était pas sensiblement pensé pour qu’on comprenne & que les figurants n’avaient pas l’air de se demander ce qu’ils mangeraient le soir). Le pire est dans les bagarres, où absolument rien ne va, & je ne parle pas de l’éclairage fantaisiste.
Si Psych-out est supérieur à son précédent film, c’est parce que Rush commence de s’intéresser à l’usage des dialogues, un peu plus recherchés & parvenant à s’intégrer dans l’humeur générale, & qu’il se découvre un talent relatif dans de brèves pointes d’horreur – alors que c’est le genre le plus sensible au nanarisme depuis Dario Argento. Son thème est également clément avec lui : lourdement accessoirisé pour créer un sentiment de désordre immense, Psych-out envoie un gros ”Peace & Love” visuel avec lequel on n’a pas envie d’être méchant. Par contre, envers le reste, si.
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Jeudi : Amarcord (Federico Fellini, 1973) « Thématique : Federico Fellini »* |
Amarcord ou ”a m’arcord” : ”je me souviens” dans le dialecte de Rimini avec lequel Fellini a grandi, lancé tel un eurêka romain par un réalisateur qui a mis le doigt sur l’épicentre de sa passion pour la Rome entre deux âges. Il faut dire qu’il était assez inavouable : c’est avec le salut fasciste, qui était aussi celui de la Rome antique, qu’il montre la direction de son histoire. Regret & jubilation, il se l’avoue & en fait… un truc. Un truc bien à lui.
Il a longtemps usé de l’allusion pour nous faire hésiter quant à sa propre opinion & nous aider à suivre ses digressions. Amarcord est beaucoup plus franc & mature, délicieusement pince-sans-rire, & aborde l’impudeur sans en faire preuve lui-même, ce en partie grâce à un montage sévère coupant souvent la parole. Il est aussi rempli à ras bord d’allusions & de bons mots qui me font voir d’un œil ironique l’avis ”éclairé” des grands critiques : mes propres petites connaissances d’italien me montrent tout ce que je ne comprends pas & que je suis condamné à cautionner souvent sans savoir pourquoi.
La bêtise humaine, thème exploré dans d’autres de ses classiques tels 8 ½ sous leur apparat décadent, a ici des airs de fatalité sans sophistication nous ramenant au naturalisme de ses premières œuvres. De multiples univers bourgeonnent autour d’une année à laquelle ne manque que Vivaldi pour transformer les saisons en véritables chapitres, chacun avec son humeur & son apparent dédain pour un tout cohérent qui, au final, est rendu parfaitement dispensable par un Fellini si éloigné de ses créations les plus spectaculaires que le slogan doit proclamer sans conviction : ”le monde fantastique de Fellini !”.
Entre voies romaines & Mille Miglia modernes, Amarcord est la rétrospective bienvenue qui concilie en apparence tout ce que Fellini nous a déjà transmis, une convergence dense de familles pittoresques (vous auriez raison de reconnaître ici le mot italien pour ”peintre” !), d’humour noir & de parodie. Un achèvement, certes, mais n’enterrons pas l’homme trop vite !
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Vendredi : Les Désarrois de l’élève Törless (Volker Schlöndorff, 1966) « Thématique : langue allemande »* |
Musil était un auteur-philosophe dont la vision atypique a mis du temps à faire valoir sa place dans le nouveau siècle. Premier roman de l’auteur devenu premier film de Schlöndorff, c’est une œuvre qui dans les deux cas respire une ignorance avouée (dans la façon à la fois que dans le thème) remplaçant l’expertise sans faille qui semblait obligatoire pour devenir ou écrivain avant 1906, ou cinéaste avant 1966. Törless est un double coup de fouet artistique.
Celui de Schlöndorff est immédiatement devenu une création d’avant-garde & il fait toujours turbiner les méninges à ce jour : exhibant l’éducation austro-hongroise qui sert de germe à l’Allemagne que l’on sait, il fait de la sévérité & de la monotonie du système les inspirations à des projets à moitié insensés qui ne peuvent être que malsains. On parle ici de torture physique & mentale ainsi que d’homosexualité (trois choses égales en horreur à l’époque de Musil) qui s’extériorisent à demi-mot & en cachette en guise de punition contre un voleur.
Ce voleur, c’est Basini, & c’est le personnage principal, car Törless (tels les philosophes en lesquels s’érigent les à la fois Musil & Schlöndorff) est le simple observateur. Il remet en cause à lui seul le tort prétendu de celui qui contemple sans agir, pourtant sa curiosité morbide vaut bien les exactions sadiques de ses comparses quand il s’agit de torturer Basini à titre d’expérience. Cette expérience, Törless y donne bon fond par sa lucidité qui n’a de tort que son insensibilité (laquelle se confronte à l’inverse à une sensibilité presque anachronique du personnel éducateur) tandis que les tortionnaires exsudent par la violence brute une autre volonté d’aller au fond des choses.
Le plus pathétique de tous est toutefois Basini, pour qui l’expérience consiste à tout subir. Ce naturel provoque l’irritation de ceux qui croient philosopher mais dont le crescendo de cruauté se révèle inapte à appuyer leurs convictions préconçues ; une spirale qui les oblige à le pousser plus loin encore – de plus en plus par simple orgueil, jusqu’à la rupture. Chaque comportement, tout abominable soit-il, est une ouverture philosophique en soi.
On peut facilement détester tous les personnages & supplier pour un peu d’air frais en-dehors de cet internat vicié par des pensées adolescentes trop promptement tournées en axiomes, mais aucune conclusion n’est évidente & il faut vraiment donner du sien pour justifier qu’on n’aime pas le film.
Il semble que Schlöndorff nous livre, en plus de scènes franches – parfois glaçantes – qui donnent toute leur substance au secret & au non-dit, tout le nécessaire philosophique dont il faut user pour bien le comprendre, ce qui, on s’en rendra compte, ne se résume pas à dire que le film ouvre une nouvelle ère.
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Samedi : Une histoire d’amour suédoise (Roy Andersson, 1970) « Thématique : langues du monde »* |
Les films ”Une histoire…” pourraient être liés à travers les âges & les nations : derrière l’idée de faire quelque chose de simple, ils ont parfois (souvent ?) pour vocation de transporter quelque chose de plus. C’est en se prenant peu la tête qu’Andersson traduit d’abord une vie de famille irritante pour tous les sens, ennuyeuse à souhait & dont le spectateur rêve vite de s’évader, car cette introduction organique d’une monotonie presque morbide fait craindre deux horribles heures.
Cela tombe bien car les jeunes aussi veulent s’évader : Ann-Sofie Kylin & Rolf Sohlman vont vivre leur histoire à part, prenant l’audience dans leur camp à son grand soulagement. Pour toute la génération de leurs parents, ils représentent l’avenir : eux s’ennuient &, oppressés, ont besoin de s’excuser de leurs sentiments l’un pour l’autre, comme si leur attachement était le signe alarmant qu’ils allaient devenir comme les vieux.
Entre deux bouffées d’une quantité gainsbouresque de cigarettes, un peu d’épate à mobylette et un chewing-gum, les deux jeunes sont juste empotés comme il faut, mi-mimant une inexpérience attachante qui témoigne paradoxalement d’une vraie vocation d’acteurs.
Andersson, bien longtemps plus tard, explorerait avec les Chansons du deuxième étage ce que cela représente de devenir ces vieux qui ennuient les jeunes. Pour l’instant, il a 27 ans lui-même & jette un regard déjà nostalgique mais toujours insouciant vers une époque qui refuse de prendre le drame à pleines mains : le malheur passe, les parents laissent faire, la larme du grand-père coule & l’histoire ose à peine se finir. Elle sait en tout cas faire la différence entre prendre son temps & être ennuyeuse : sans heurter personne, elle traverse des humeurs sombres avec une légèreté cinégénique qui passe vraiment bien.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
J’avoue que j’ai toujours regardé «Panic Room» au cœur, non à sa périphérie, c’est peut-être pour ça que j’ai un peu manqué les défauts que tu relèves, et qui sont selon moi très justes, à y repenser.
Le film m’avait pris, j’avais ressenti de la tension, la manœuvre était bien exécutée, donc je me suis dit: «cahier des charges rempli pour la Pièce de la Panique» (je me québéquise, ouais).
Pour les désarrois de l’élève Törless, je te conseille le roman, qui est excellent !
Comme tu peux le voir sur la note que j’ai donnée, j’ai aussi apprécié le film, et je pense qu’il est parfaitement regardable en mode popcorn.
Yep, j’ai cru sentir un solide bouquin, mais je vais finir mes Tolkien d’abord. :þ
[…] jeunesse, depuis Les Désarrois de l’Élève Törless, n’a pas cessé d’être un thème de Schlöndorff. La guerre en est un autre […]