Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Diamant 13 (Gilles Béhat, 2009)
My Left Foot (Jim Sheridan, 1989)
Mesdames et messieurs (Pietro Germi, 1966)
Esclave de l’amour (Nikita Mikhalkov, 1976)
Compañeros (Álvaro Brechner, 2018)
Pour cent briques t’as plus rien… (Édouard Molinaro, 1982)
Image d’en-tête : Compañeros ; films 117 à 122 de 2020
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Lundi : Diamant 13 (Gilles Béhat, 2009) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
On lui fera tout faire, à Depardieu. Même de la redite en matière de films ultraviolents à super-flics qui disent de méga-gros mots. De facto remake de 36 Quai des Orfèvres (ou plutôt remake de l’acteur dans le rôle du bon gros policier français qu’aucun autre bon gros acteur ne peut tenir), le film est vraiment un signe que les foules s’ennuyaient de leur agent gangsteroïde.
Même l’argot stylisé revient avec toute la puissance de son flop quand il est proféré par des acteurs qui le récitent sans y croire. Misant sur un peu tous les pôles habituels du genre “thriller corrompu”, Béhat passe pourtant à côté de tous les endroits où son film aurait eu quelque potentiel : le “quartier”, terrain de jeu habituel du policier blasé, n’est étudié que superficiellement, & on se fiche de comprendre pourquoi tous ces gens sont tels qu’ils sont, qu’il s’agisse de cette maréchaussée diabolisée, des criminels ou des plébéiens : tous baignent dans une vie qui est réduite à un bruit de fond pour que rien ne compte d’autre que cette ambiance vaguement noire cultivée à l’extrême. On pourrait parler de désenchentement… si quoi que ce soit nous enchantait au départ.
Quant aux émotions, tout le monde se retient en général d’en exprimer. En effet, les sentiments sont des créatures dangereuses quand on tient à ce que tout se passe mal. J’hésite à saluer les personnages féminins à qui l’on donne pour tâche d’humaniser cette foire à la testostérone, car on ne leur donne finalement pas grand chose d’autre à faire. Intéressant pour sa manière de détourner le non-décor (comprendre qu’il y a eu du travail pour rendre cinématographique le look bêtement banal d’un coin de rue ou d’un arrêt de bus crado), Diamant 13 a grand tort de se croire à la hauteur pour transcender le dicton : “la violence ne résout rien”.
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Mardi : My Left Foot (Jim Sheridan, 1989) « Thématique : Daniel Day-Lewis »* |
My Left Foot, énième mais finale révélation de Daniel Day-Lewis : le rôle d’handicapé vient souvent compléter la liste des plus grandes performances, mais c’est sans moins de raison que son Christy Brown, peintre du pied & écrivain, ouvre la voie au Forrest Gump de Tom Hanks, au Rainman de Dustin Hoffman & au Leonard Lowe de Robert DeNiro.
Il a certes été le tremplin d’une ère du biopic dramatique & super immersif lié au handicap, mais il ne faudrait pas que la prestation incroyable de l’artiste, glaçant dans sa conviction, occulte la direction d’acteurs propre au film, qui est capable aussi de faire tourner un enfant non moins glaçant (Hugh O’Conor) dans le rôle de Christy Brown jeune, ou n’importe lequel des interprètes participant à faire de My Left Foot un film ouvert, pas centré sur son personnage principal.
Les gros plans variés montrent qu’on croyait bel & bien en autre chose qu’en la simple adaptation d’une autobiographie : en la patte graphique d’une famille dublinoise, par exemple. C’est effectivement photogénique, surtout quand on a le budget de faire une reconstruction décente, mais ça reste un accomplissement dans une époque où le biopic aimait encore à considérer la famille comme un organisme & non comme un ensemble.
Il faudrait attendre le Gilbert Grape de DiCaprio (allez hop, histoire de compléter l’énumération) pour retrouver la force de tels attachements qui évoluent autour du handicap, dans un milieu prolétaire dont on ne voit que l’ignorance (“25%, c’est déjà un quart, tu ne peux pas calculer le quart d’un quart !”) & où le cinéma a pour but de nous montrer qu’il n’est pas forcément dénué de compassion.
Sheridan ne s’arrête pas là : loin de tenir pour acquise sa capacité à faire rentrer un peu d’Irlande dans sa caméra sans trop passer par des extraits choisis (la compassion chez lui est bourrative), il nous apprend à dompter le malaise de ces interprétations trop précises & naturalistes. On devient les complices des parents & de la fratrie de Christy Brown, on partage le fardeau compassionnel de leur vie jusqu’à pouvoir prendre de haut soi-même les personnes qui ne le comprennent pas.
C’est d’ailleurs bien là le but du film : déclencher l’empathie surprise avec un homme apparemment inaccessible. My Left Foot y arrive pour une des premières fois dans l’histoire du cinéma d’une manière qui frôle le chef-d’œuvre, & il y serait sans doute arrivé s’il n’avait pas eu peur de trop se disperser : le décor a été posé pour aller sensiblement dans la direction de cette empathie. Sa réussite était comme courue d’avance, brillamment prévue mais pas tout à fait à sa propre dimension. Un impair mineur quand on peut se faire porter par un acteur total dans un rôle total.
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Jeudi : Mesdames et messieurs (Pietro Germi, 1966) « Thématique : langue italienne »* |
…Bonsoir. La fin du titre (à ne pas confondre avec Mesdames et messieurs, bonsoir de Comencini) n’arrivera qu’à la toute fin, comme s’il nous le fallait mériter, ce qui n’est pas incobérent vu à quel point le film est bavard en mots & en actions. Revenu de deux films en Sicile, Germi fait de Trévise le nouveau bouc émissaire de sa haine contre l’hypocrisie – trait commun à de nombreux cinéastes italiens mais que Germi a toujours traité à sa manière. Sauf ici où l’on pourrait dire aujourd’hui qu’il s’est fait un kif.
Le film se donne pour credo de doter tous ses personnages de cornes : une stratégie triviale mais efficace quand il s’agit de s’attaquer aux… démons de la nation. Étude (endiablée donc) de la frivolité du groupe, l’œuvre n’a pour limite que la taille de la foule dont elle est en mesure d’explorer les vices. À cette fin, le casting était déjà large, mais le réalisateur s’est permis de constituer trois sketchs histoire de varier les points de vue – une technique qui se voulait révélatrice des intrications du cercle d’amis mais qui révèle finalement surtout que l’histoire est en circuit fermé.
Conséquemment, si Mesdames et messieurs est un amusement doux-amer constant, il est aussi très long. Germi a perdu de vue dans la dérision & l’autodérision que sa création n’était pas immunisée à être imbue d’elle-même : trop pris par son idée & ravi par la possibilité de laisser ses acteurs en roue libre, il me semble avoir été aveuglé par la fluidité de son tournage : flux tendu de moqueries où, il faut bien l’avouer, sont saisies les institutions avec une facilité grisante (je n’ai jamais vu une police aussi réactive), le film assomme même si l’on connaît la propension italienne à mettre – beaucoup – de mots sur tout.
On sera rassuré par le fait que Germi n’était pas insensible à l’effet que pouvait produire son opus : très vulgaire comme s’il se faisait l’exutoire de lui-même, il met en scène un “emm***eur” (confer les sous-titres) dont le seul défaut est… qu’il parle trop, justement, & le personnage le plus attachant survit à sa propre histoire grâce aux boules Quies. La franchise germienne n’est donc pas totalement absente.
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Vendredi : Esclave de l’amour (Nikita Mikhalkov, 1976) « Thématique : langue russe »* |
À peine arrivé aux manettes du cinéma soviétique, Mikhalkov concevait cette rétrospective du cinéma tsariste (oui oui, ç’a existé), du temps où le muet exprimait strictement – à l’en croire – la vacuité de la société élitiste, incapable de se rendre compte que l’audience qui faisait fonctionner ses films était constituée des mêmes foules qu’ils méprisaient.
C’est rigolo, comme traitement, car si le sujet l’enferme un peu & ne permet pas au réalisateur de déployer ses habituels poèmes graphiques, on imagine fort bien que son film était réalisé par le même genre de bras-cassés sans inspiration peuplant son histoire. Si je ne me trompe pas, il faisait donc une critique du système soviétique en faisant semblant de s’attaquer à la russie pré-révolutionnaire, & ses producteurs ne s’en sont pas aperçu. Ô mystère du système de l’URSS où des artistes comme lui peuvent prendre la parole pour la dérober à ceux-là même dont ils la tiennent…
Mikhalkov ne s’arrête pas là, sauf en ce qui concerne les acteurs, ceux du film dans le film : il les érige en pinâcle de l’inanité, des vedettes sans âme qui ont, forcément, l’impression qu’ils ne “sont” pas, moyennant quoi leur interprétation (par les acteurs du film qui contient le film, vous me suivez ?) ne peut pas voler aussi haut que les figures intellectuelles qu’on trouve dans le bestiaire du réalisateur – excepté pour Elena Solovey qui est hypnotique.
Et puis soudain ces starlettes & cinéastes de fiction, désenchantés, sont jetés dans la gueule de la Révolution russe. La caméra, technique encore assez nouvelle à l’époque dépeinte, n’est plus utilisée seulement pour le divertissement mais aussi, pour la première fois, afin d’exposer les exactions du pays au regard du monde. Les artistes perdent pied : eux qui commençaient à peine à se sentir illégitimes, contemplant avec nostalgie leur passé de cinéma (un passé bien jeune mais qui contenait déjà un Guerre et Paix), voilà qu’ils sont précipités dans un monde qu’il faudra déjà construire avant d’envisager d’en faire des films à son tour. Chez Mikhalkov, on aura décidément toujours des niveaux multiples.
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Samedi : Compañeros (Álvaro Brechner, 2018) « Thématique : langue espagnole »* |
Rien ne sera jamais fatalité devant les grands artistes. Le sujet de Brechner, ce sont ici les otages politiques durant la dictature urugayenne, des martyres qui n’ont jamais été vaincus parce qu’ils n’ont pas baissé les bras – du moins, c’est le filon hyperdramatique que l’œuvre exploite, mais son réalisateur non plus n’a pas renoncé devant l’aspect biopic, convaincu qu’il pouvait y immiscer sa griffe en se dégageant de toutes les influences qui font pression sur l’histoire vraie sociopolitique – en tout cas en apparences, mais qu’est-ce qu’un film sinon cela ? Il a assumé de ne cinématographier que le superficiel, & le reste a suivi.
C’est en prenant ainsi son art à bras le corps que Brechner arrive à la pureté, n’essayant pas de maquiller le fait que son scénario condense douze ans en deux heures ; au contraire, cela lui permet de proposer au spectateur un concentré dramatique tout à fait à propos, où les douleurs physiques & mentales confondues deviennent les yeux par lesquels on voit se dérouler non pas la monotonie, mais la répétition du monde carcéral.
Le thème du cercle, évoqué par le plan d’introduction & les boucles psychotiques qui hantent les prisonniers, est une pirouette élégante qui sert d’évitement à la redite pure & simple. Son décor planté, Brechner peut se permettre de laisser s’exprimer un enthousiasme qui semble l’avoir suivi tout au long du processus créatif & qui l’a conduit à faire s’imbriquer les scènes les unes derrière les autres de la plus belle manière qui soit, presque comme s’il avait visualisé tout son film dès la première seconde & que tout le monde s’était soumis à ses idées.
Un rendu fluide, un sound design épatant qui alterne acouphènes & tendresse feutrée, tout y est pour mener le spectateur à une porte de sortie simple, mais que justement, on n’a pas cherché à sophistiquer.
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Dimanche : Pour cent briques t’as plus rien… (Édouard Molinaro, 1982) « Hors-thématique »* |
Des premiers plans qui mélangent tout, un casting attendu, une banque & une “apparition” de Darry Cowl : le genre de melting pot qui fait dire que la France est diversifiée alors qu’elle aime surtout pousser l’autodérision suffisamment loin pour qu’il semble superflu de le faire bien.
Le film tient la route dans son premier tiers car il sait exploiter la synergie Auteuil-Jugnot, quoique pas particulièrement étincelante & bien qu’elle soit meublée par une certaine obsession pour la nudité gratuite (si c’était censé être drôle ou provocateur, j’ai raté). Puis le basculement vers le genre policier s’opère & Molinaro parvient à faire miroiter les promesses de la parodie : le commissaire inapte & les otages qui deviennent complices, c’est un ultra-contrepied marrant pour ceux que Jugnot n’irrite pas (& dont je ne fais pas partie).
Mais cette rupture masque (pas longtemps) la volonté du réalisateur de nous plonger dans un huis clos prolongé reproduisant 100% des codes théâtraux & qui semble avoir été conçu spécialement pour Anémone & lui permettre de porter seule les dialogues. Au final, le temps passe vite parce qu’on est dans l’âge d’or de l’insouciance française au cinéma & que l’opus est le parangon de la prise au sérieux minimum : c’est une petite œuvre qui se donne le droit d’avoir un déroulé & une conclusion ronflants justement parce qu’elle est petite. Une propriété qui ne vieillit pas, au moins.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.