Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
À l’origine (Xavier Giannoli, 2009)
Le Dernier des Mohicans (Michael Mann, 1992)
Beaucoup trop pour un seul homme (Pietro Germi, 1967)
Les Yeux noirs (Nikita Mikhalkov , 1987)
Leningrad Cowboys Go America (Aki Kaurismäki, 1989)
Banzaï (Claude Zidi, 1983)
Image d’en-tête : Leningrad Cowboys go America (image retournée par mes soins) ; films 123 à 128 de 2020
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Lundi : À l’origine (Xavier Giannoli, 2009) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
L’austère réseau autoroutier français n’a pas le charme du Far West : y faire un film n’a rien de glamour. Cependant, on a une fascination pour ce pan syndicaliste & prolétaire du cinéma auquel collent si bien Cluzet dans le rôle d’un directeur des travaux & Emmanuelle Devos dans celui d’une humble maire. Ce naturalisme goudronné nous fait nous demander : woké, mais alors quoi d’autre ?
Le directeur des travaux est un escroc. Mais Giannoli ne s’arrête pas à titiller notre curiosité malsaine : ce qui l’intéresse lui, c’est tout ce qu’il y a derrière la route, dans tous les contresens du terme : des décors constants aux pré-requis très spécifiques, énormément de bureaucratie, du jargon, bref : on se croirait aux portes ouvertes chez Eiffage. L’ultra-réalisme ouvrier & hiérarchique s’impose alors comme s’il n’avait déjà plus aucun secret pour nous, & Cluzet apporte juste la froideur nécessaire pour faire fonctionner son rôle avec pas grand chose.
Car l’escroc est pris à son propre jeu : sauveur de quelques communes avec 25% de chômage, son baratin suffit à amadouer les déséspérés & la machine démarre d’elle-même. Il est en train de construire une autoroute. Pour où ? Sa richesse personnelle d’abord, puis nulle part – joli parallèle au titre.
Le brassage moral est une porte ouverte à une dramatisation que le scénario ne bâcle pas : initié par l’escroc qui découvre ce que c’est d’obtenir du pouvoir quand on est au bon endroit au bon moment (& que cela peut consister à ne rien faire, ce qui l’étonne jusqu’à ce qu’il doive se heurter aux limites de sa propre passivité), il débouche sur une histoire vraie totalement “surnaturalisée”.
Entre l’énigmatique tronçon d’autoroute, les jeux de paperasse dont on éprouve l’élasticité & la confiance d’une foule qui peut faire s’élever puis tomber un homme, À l’Origine donne vraiment envie de faire un roadtrip sur les autoroutes (françaises) & pose une question qui dépasse sa propre fiction : comment en arrive-t-on à une histoire vraie pareille ? La réponse : “pas”. Attention aux lignes épilogales qui réécrivent l’histoire & ne laissent pas grand chose de son cœur authentique. Indépendamment de sa qualité, l’œuvre est une escroc à sa manière.
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Mardi : Le Dernier des Mohicans (Michael Mann, 1992) « Thématique : Daniel Day-Lewis »* |
C’est toujours agréable quand les Américains se font conter leur pays en-dehors de l’auto-flatterie compensatoire de leur absence d’Histoire. On sent que Day-Lewis franchit le pas vers une production enfin hollywoodienne, car son dévouement est beaucoup plus transparent dans le bain homogénéisant du casting bien conforme qui sert cette vocation d’humilité avec un trop de faste, toutefois l’œuvre a d’autres atouts.
Tout juste assez adroit pour se permettre quelques longueurs bien senties, Le Dernier des Mohicans est à la limite de savoir faire tenir en place son encombrante infatuation pour l’épique, dont la musique est un bon symptôme : bonne mais pesante, elle montre que Mann a eu du mal à capter son esprit d’aventure. Les langues aussi en sont un signe : en apparence recherchées & responsables d’un excellent effet de crédibilisation, les idiomes amérindiens sont en réalité bafoués puisque chaque acteur parlait sa langue natale.
Pour compléter ce tableau d’une poudre jetée aux yeux du spectateur avec compétence, il y a les scènes d’action, qui sont loin de faire du film un exemple d’œuvre historique, mais où la profusion des cascades (qui confine à la redondance) s’oppose de manière intéressante à la précision de la reconstitution : entre beaux paysages, décors très chers & pyrotechnie, on est gâtés & on n’a pas trop de quoi se plaindre. On a simplement l’impression que le réalisateur avait devant lui une console lui permettant de changer à volonté la proportion d’ingrédients principaux dénués de mystère : une pincée de romance, quelques tranches de politique, un soupçon de linguistique, de quoi simuler la complexité d’une adaptation sans surprises.
On doit sûrement cet effet au montage drastique qui a rétrogradé le film de “longue odyssée” à “modeste épopée hachurée qui oublie de proscrire une fin à la Disney”. Une mêlée militaire particulièrement tendue & géographiquement étendue remportera la mise en cours de route, légitimisant la création de Mann en qualité de “reconstitution fictionnalisée” (à défaut d’autre chose), pas très experte mais sans digressions.
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Jeudi : Beaucoup trop pour un seul homme (Pietro Germi, 1967) « Thématique : langue italienne »* |
Après avoir fait plusieurs fois la démonstration par le vice de ce qui pousse l’homme à la luxure, & pressentant peut-être la perte de vitesse dans le registre de la comédie grinçante, Germi a tenté d’en faire cette fois la démonstration par la vertu. C’est-à-dire que, supplantant Tognazzi à Mastroianni, il change de traitement mais pas de sujet : ce “beaucoup trop”, très vieille école, désigne toujours les femmes, car entre la sienne & deux maîtresses, le pauvre homme se mord les ongles & se fait ronger d’ulcères. Bref : ne pas confondre homme seul et seul homme.
C’est donc un homme anxieux & pathétique qui avoue ses torts & sa faiblesse à un homme d’église, lequel on se dispense pour une fois de tourner en ridicule ; pour le cinéma italien, c’est tout ou rien, & l’on mettra ici en scène un religieux à l’écoute, strict mais ouvert, soucieux de soulager quoiqu’également d’enseigner la vertu. Sous sa coupe, Tognazzi devient … mignon.
Mis sous pression par son rythme de vie partagé entre deux familles & demi, c’est un père plié en quatre & un mari qui ne fait pas les choses à moitié, pourtant le ton est toujours comique : ses 27 appels quotidiens, ses erreurs dans les anniversaires, tout ce qui le dépasse témoigne du soin apporté par le réalisateur à nous simplement distraire, toutefois comme d’habitude son discours est moral, & bien malin qui saura s’amuser du film sans s’attacher inconditionnellement au personnage infidèle & menteur de Tognazzi, ni prendre le drame de la vie de cette homme à la rigolade.
Car le bougre fait tout de même tout ce qu’il dit : rien de faux ne sort jamais de sa bouche, & c’est l’omission qui finit par lui devenir insupportable – lui qui rêvait de réunir ses familles, imaginant naïvement qu’aimer vraiment toutes ces personnes pourrait suffire à les faire marcher main dans la main. Définissant le polyamour sans le faire exprès, Germi retire en fait toute faute morale & religieuse pour les remplacer par une moralité purement émotionnelle qui lui sert à nous frapper avec la fin : peut-on reprocher autre chose au personnage que de devoir manquer à tellement de gens lors de sa disparition ?
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Vendredi : Les Yeux noirs (Nikita Mikhalkov , 1987) « Thématique : langue russe »* |
Parfois on ne sait plus si l’on doit étudier l’Histoire ou le cinéma. Comment considérer l’un sans l’autre quand Mikhalkov rencontre Mastroianni & que les deux se retrouvent à réaliser le film, non parce qu’ils ont chacun pris le tournage en main mais parce qu’ils ont échangé les valeurs de leur pays & de leur cinéma en égaux ?
Difficile en effet de ne pas les imaginer complices derrière cette œuvre aux inspirations aussi diverses que ses adaptateurs – une coproduction au sens le plus pur & large du terme. Le film & le scénario ont en commun de commencer leur existence par la rencontre d’un Italien & d’un Russe, & encore, le film va à son tour devenir récit dans le récit à mesure que le personnage raconte sa vie à l’autre & que chacun dissout les premières impressions qu’il donne, de par sa nationalité, dans la curiosité de l’autre.
On en arrive à manquer le coche quand la rencontre la plus importante se produit, celle qui finalement est responsable à la fois de l’histoire & du film qui la contient : l’intrigue sentimentale. Sous couvert de russifier l’Italie & de faire à nouveau de Mastroianni cet éternel étranger au charisme incurable, Mikhalkov arrive une dernière fois à se moquer de son pays (car 1987, c’est trois ans avant sa mort – du pays, je veux dire) en exportant l’humeur italienne en Russie : c’est quelque chose de voir un pays comme la Russie se moquer de lui-même avec la force de l’autodérision italienne quand il s’agit d’une nation conservatiste où le progrès, surtout en milieu rural, arrive au compte-gouttes.
Calme mais riche, Les Yeux noirs est une quintessence précieuse & impossible à falsifier ; l’authentique fusion de deux grandes nations de cinéma qui se donnent ce qu’elles ont de mieux dans un film qui n’oublie pas de raconter une histoire, & même de donner à ses interprètes des rôles qui les dépassent légèrement comme ils deviennent le compromis inattendu entre deux nations, deux cultures, deux cinémas, bref : on ne peut pas rêver meilleur pont italo-russe que celui trouvé par Mikhalkov entre art pathétique & exubérance.
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Samedi : Leningrad Cowboys Go America (Aki Kaurismäki, 1989) « Thématique : langues du monde »* |
Le seul moyen d’imaginer une comédie de la part d’un gars qui a fait une trilogie toute tristoune sur le prolétariat finlandais, c’était qu’il renoue avec l’absurde de Calamari Union, où figuraient d’ailleurs déjà les proto-Leningrad Cowboys. Kaurismäki est responsable de l’existence aussi bien du film que du groupe, ayant eu la chance que son sens de la plaisanterie soit pris au sérieux dans les deux arts & lui permettant de produire cette œuvre parfaitement complémentaire méritant plus que nulle autre l’épithète de comédie musicale.
Création qui ne fait pas exprès d’être internationale, elle est de ces ovnis brillants nés d’une blague prise suffisamment au sérieux pour séduire exactement l’audience qu’il faut pour la rendre mystérieuse & exubérante sans qu’elle se décompose sur place, telle une étude à la fois solide & sans substance dans le registre lynchéen mais cocasse, cohérente en elle-même comme si elle contenait l’entièreté de son propre sous-genre ; comment en serait-on arrivé sinon à faire patauger un idiot du village finlandais dans le bayou de Louisiane à la recherche d’un groupe de polka-jazz-rock nourri d’oignons qui traverse les États-Unis avec des coupes pompadour ?
C’est aussi une œuvre du voyage, qui a le courage d’aborder le genre apparemment infini du road trip afin d’emporter son monde de la taille d’une voiture à des endroits où il pourra exprimer tout le bien-être d’un cinéma libéré, de bric & de broc mais très humain – de quoi retomber sur l’obsession de Kaurismäki pour le monde des travailleurs, mais sous un regard insouciant qui semble vraiment lui & qui commençait à lui faire défaut. C’est non seulement un monument accompli de l’absurde mais une biographie fictive des Leningrad Cowboys qui est… loin d’être fausse.
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Dimanche : Banzaï (Claude Zidi, 1983) « Hors-thématique »* |
Il y a un reste de colonialisme dans ce film. Arrivé au moment de la mort de la politique impérialiste & au début de l’entente françafricaine, Zidi semble s’emparer de cette période transitionnelle pour créer l’une des dernières “comédies racistes”, à cheval entre l’outrance à la Coluche qui passe encore à peu près bien (à croire que le terme “nègre” a attendu sa mort pour devenir inacceptable) & un brin d’autodérision salvatrice.
Car le film a bien besoin d’être sauvé : ses bouts sont collés plutôt que montés ensemble, précipitant des comiques de situation trop complexes pour être honnêtes & qui finissent, à force de remplacer les clichés sociaux par des parodies d’exotisme, par rendre le film véritablement raciste & même pas intégré dans les lieux qu’il visite.
L’utopie aviophile & téléphonomane ne vieillit pas car elle est si typique des années 80 qu’elle fera toujours sourire (l’aller-retour de Paris à l’Afrique centrale en un jour, voilà un fantasme que le cinéma est loin d’avoir eu le temps d’épuiser avanf qu’il ne se banalise), mais ce n’était pas la peine de volontairement diluer une coproduction internationale dans l’illusion d’une comédie globalisée. Tournant en petits cercles concentriques autour de quelques coups de génie humoristiques, Banzaï se résume finalement assez bien au kitsch-même du mot qui l’intitule.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
«Le Dernier des Mohicans» faudrait que je me le mate sérieusement un jour.
«C’est toujours agréable quand les Américains se font conter leur pays en-dehors de l’auto-flatterie compensatoire de leur absence d’Histoire»
Ah, une tape gratuite sur les Américains, ça remplit mon petit cœur de joie <3
L'auto-flatterie dans le Western, c'était surtout aux tout débuts: la Destinée manifeste, l'Amérique WASP qui exporte la civilisation chez les sauvages…
Depuis les années 2010, ça se tasse le patriotisme ricain exacerbé à la «Rambo», pour des raisons assez compréhensibles: l'Amérique qui police le monde au nom du Beau et du Bien, ça ne le fait plus.
Tiens, je suis récemment tombé sur un film de 2010 sur la guerre en Iraq, «Green Zone», sans doute un des plus honnêtes sur le sujet. J'ai dépassé le «meh» qui me saisit automatiquement quand je vois Matt Damon à l'écran, car le propos de fond est très bon. Si tu cherches un film qui corresponde à ta phrase en haut de mon com, je te le conseille.