Après Le Seigneur des Anneaux, Peter Jackson n’avait pas encore étanché sa soif épique de donner des blockbusters géants à ses fans et à ceux de Tolkien. Doit-on s’en plaindre ?
1 – Un voyage inattendu (6/10)
Force sera de constater que Le Hobbit ne subit pas la déliquescence qui est celle des séries. En fait, c’est le premier opus le moins bon des trois.
Le film commence bien, pourtant. Les décors se surpassent, leur qualité et leur magnificence n’ont d’égales que celles de la trilogie originale. Parce que, l’argent aidant, les premiers films n’ont pas vieilli, ce qui met les deux séries au même niveau technique. L’avantage que ce film en retire, c’est l’omniprésence calme du paysage, retranscrit dans toute son inerte ineffabilité. La terre devient une chose multidimensionnelle ; la terre porte le monde, fabrique l’horizon et abrite l’étrange. Mais malgré ces atouts, l’œuvre faillit à traduire la topographie fictive de la Terre du Milieu ; les plans de paysages sont des inserts qui n’évoquent pas grand-chose des traits fascinants sur la carte. Ce qu’elle marque reste abstrait. On s’en sort presque mieux avec les effets spéciaux miraculeusement bien intégrés aux combats.
L’histoire évoluant, on a l’impression d’être trop près des personnages, comme si les gros plans sur leurs visages, faillissant à trahir les imperfections des maquillages, avaient pour écho des gros plans sur leur personnalité, qui, eux, parviendraient à nous montrer leurs défauts, et par là même à nous ennuyer. Trop d’attention tuerait-elle l’affection ? C’est comme si Jackson voulait se dépêcher de nous présenter ses personnages pour pouvoir mettre d’autres choses dans son film, sauf que le film n’est guère rempli, justement. Il est même assez mou.
Toutes ces failles sont bien comblées par une maîtrise de certaines choses qui n’a pas fâné depuis l’épopée de Frodon ; le casting est d’une propreté éblouissante, les retrouvailles sont millimétrées. On a déjà observé que Le Seigneur des Anneaux n’a pas vieilli ; cela permet au Hobbit de récupérer certains acteurs sans faire tâche d’huile. On retrouve Cate Blanchett et Hugo Weaving, entre autres, comme si on venait tout juste de les quitter. Cela montre le respect immense porté aux personnages, sans lequel ils auraient forcément changé. On ne sera pas non plus insensible aux clins d’œils – peu discrets pour un fan – d’un Saruman toujours digne de confiance. Là encore, il y a une grande propreté dans la façon de prendre l’histoire à l’envers. Mention spéciale à Martin Freeman, qui est tout simplement parfait dans la peau de Bilbon ; bon par sa nature, mais aussi pour les élans qui l’en sortent.
Après tout ça, on se retrouve sur un score ni brillant ni neutre. Mais la partie finale du film l’enfonce dans des sables mouvants de médiocrité desquels la saga a eu beaucoup de chance de se sortir. En effet, elle sacrifie la bonne gestion de ses personnages à une originalité vulgaire. Résultat : le roi orc. Ce truc se veut l’intermède comique, l’horreur dont on s’amuse de la mocheté, mais elle nous fait surtout nous rencogner dans notre siège devant le désastre de ses répliques et les affres d’une personnalité ridicule. Heureusement qu’on le voit peu. Mais un combat s’ensuit qui n’est guère le reflet du reste de l’œuvre. Il ressemble à un enchaînement sans créativité de chutes improbables, comme si la production était impatiente de passer à la suite. Curieusement, on entend aussi un cri Wilhelm, dont ne peut qu’espérer qu’il soit une blague.
Alors qu’approche la fin, la densité des faux pas augmente, et l’on finit sur des idées qui se répètent ; citons pour l’exemple le sauvetage par les Aigles, lors duquel, par deux fois, un des membres de l’expédition est poussé dans le vide par des serres pour être rattrapé sur le dos d’un autre oiseau. Profitons d’être dans une série de griefs pour mentionner la musique originale, qui n’hérite pas de la force de celle de la première trilogie. Mais je ne vais parler en mal des films suivants.
2 – La Désolation de Smaug (7/10)
Le deuxième film de la série Le Hobbit est une charnière, par définition mais aussi par choix. Il permet la continuité des idées évoquées dans le premier film, et il y parvient même très bien puisque les personnages sont enfin attachants, et que le courage instillé progressivement en eux se révèle avec fluidité. Il installe Richard Armitage en digne successeur de Viggo Mortensen dans le rôle du second couteau, pour ne pas dire qu’il est meilleur encore.
Les combats s’équilibrent. Tout s’équilibre. À tel point et tellement bien qu’on a l’impression que tout est art dans cette série ; les prises de vue sont de la photographie, les combats sont de la danse, les dialogues de la littérature. Peu de blockbusters peuvent se targuer de mériter cette remarque.
Le deuxième opus de la saga ne permet plus seulement au paysage d’être l’acteur silencieux (quoique Stephen Hunter, dans le rôle du nain Bombur, est bien positionné aussi puisqu’il a une seule ligne pour trois films) mais aussi aux constructions humaines, en témoigne Esgaroth qui est d’une étonnante vivacité médiévale. Malheureusement, cela a pour corollaire l’absence de conviction politique dans les nations imaginées par Tolkien ; la puissance des cités et l’importance de la diplomatie sont résumées à leur design ou à leur conseiller perfide qui est loin de déborder de classe (en ça, la première trilogie est imbattable). Outre ledit conseiller perfide, la cocasserie est mieux placée dans l’aventure de Bilbon. La scène des tonneaux, en plus d’être super bien réglée, est amusante, et avec justesse.
La deuxième moitié du film flirte avec les erreurs du premier, mais pas dans les mêmes largeurs. Le scénario pâtit légèrement d’une surutilisation du concept d’ « aide de dernière minute » mais forme d’autre part un antagoniste intéressant entre Thorin et Bard ; intéressant parce qu’il ne fait pas partie d’une logique de « camps » – aucun d’eux n’est « mauvais » – et place le spectateur dans un embarras rafraîchissant. Les gouvernements sont assez mal mis en images, mais cela n’empêche pas l’œuvre de prendre sa véritable identité cinématographique et de s’insérer définitivement dans la lignée de la première série.
On finit sur la nostalgie de ces jours où l’anneau n’était pas dangereux, et un Smaug qui est à la hauteur des espoirs les plus fous du fan le plus imaginatif. Par contre, fallait-il vraiment que les héros jouent à chat avec lui pendant une demi-heure (temps réel) pour s’en sortir à la fin ? On va mettre ça sur le compte de l’audace générale de la fin, brutale, que vient améliorer l’interprétation par Ed Sheeran de la chanson thématique.
3 – La Bataille des cinq armées (7/10)
Le début du troisième film s’ajuste à la fin du second. Mais pas pour le meilleur. Il souffle pour ainsi dire la flamme de Smaug et l’intérêt du combat avec. Les ténèbres prometteuses des dernières images de sa Désolation ne sont que des cendres, et pas celles d’un phénix.
Cet opus final est à la fois le catalyseur et le cristalliseur des éléments fondamentaux de la saga. C’est le processus qu’il effectue avec sa monotonie (les soldats méchants médiocres qui se font engueuler par leur supérieur deviennent lassants) mais aussi pour toutes les raisons qui font d’elles la digne successeresse du Seigneur des Anneaux, ces raisons qui ont empêché cette dernière de vieillir et ont permis au Hobbit d’être unique et cohérent.
Le point fort de ce troisième film est surtout l’intelligence dans la traduction de la folie de Thorin, sa belliquosité sans queue ni tête… dont la guérison n’est guère justifiée, mais qui confirme au moins que les dialogues n’ont pas seul avantage de leurs atours ; ce ne sont jamais des paroles lancées en l’air.
Il confirme aussi que l’ensemble de l’aventure est excellement découpé. La Bataille des cinq armées, c’est un combat final logique alliant qualité et quantité, fascinant dans l’action et déchirant dans les pertes. Mais moins que dans Le Seigneur des Anneaux. En réalité, cette seconde série paraît moins pleine de tout. Elle explore plus longtemps moins d’aspects, ce qui est bien joué car cela évite à Jackson de se faire des enemis dans le public. Mais ça peut décevoir un peu. Ce sont surtout les escarmouches qui déçoivent car elles prennent beaucoup de temps pour élaborer des canons du suspense et ne contribuent en rien à rendre la série moins vide. Quoique c’est agréable de voir le carquois de Legolas vide pour une fois.
Attention, ce n’est pas pour autant une coquille vide. Le Hobbit est digne de ce qu’on peut en attendre et se place étonnamment bien dans la lignée de la série qui le précède. Ce qui surprend, c’est surtout à quel point les films qui la composent ont un sujet fermé, que les va-et-vient de Gandalf n’égaient pas. Il manque une dimension à cette saga pour rivaliser de grandeur avec l’autre : la dimension géopolitique si génialement éclairée par le Seigneur des Anneaux. S’il n’était pas nécessaire de l’avoir vu pour aborder Le Hobbit, ce dernier flirterait avec la mention « très bien ».
Le Hobbit a ses forces, et elles ne sont pas négligeables. Si une nouvelle trilogie devait voir le jour, je lui réserverais un meilleur accueil qu’à Star Wars.
True courage is about knowing not when to take a life, but when to spare one.
Le vrai courage, ce n’est pas savoir quand prendre une vie, mais quand l’épargner.
Pour beaucoup de ce que tu dis, je trouve cela juste et je suis assez d’accord 🙂 Cependant, la plupart de mes amis trouvent que le premier Hobbit fut le meilleur, mais je ne saurais dire pourquoi… Aurais-tu une hypothèse sur ce que les autres pensent, en général ?
Aussi, as-tu visionné les versions longues ? Ou version cinéma ?
Hélas, j’ai vu les versions cinéma. Je n’ai pas pensé à vérifier à temps.
Les cinéphiles de SensCritique notent respectivement ces films 6,6/6,5/5,9 sur 10. J’avoue ne pas avoir d’idée pourquoi ; j’ai moi-même posé dans cet article l’entiéreté de mes pensées et il n’en ressort pas cette tendance.
Merci pour la réponse 🙂
Je me posais la question, car tu dis, au début :
« Mais un combat s’ensuit qui n’est guère le reflet du reste de l’œuvre. Il ressemble à un enchaînement sans créativité de chutes improbables, comme si la production était impatiente de passer à la suite »
C’est à ce moment précis que j’ai légèrement sourcillé, car dans mes souvenirs (qui sont lointains je l’avoue) la scène n’était pas aussi rapide que tu sembles le décrire – mais je parle bien de la version longue.
C’est peut-être pourquoi je ne pensais pas la même chose à ce sujet.
J’ai rien à redire ^^ Merci encore et toujours d’écrire.
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