Le titre français de The Italian Job laisse supposer que l’or, porté par ses petites jambes, s’enfuit pour provoquer quelque hilarité chez le spectateur. Ce sont plutôt des grandes roues que des petites jambes, et une compétition anglo-italienne derrière la production ; nous, Français, nous tenons entre les deux, et nous ferions mieux de libérer la voie pour le bon déroulement de la pellicule.
C’est un film britannique de Peter Collinson sorti en 1969.
Devant le beau générique de début, sur fond de conduite rapide et routes alpines, on pourrait se croire devant un James Bond. C’est Michael Caine qui y tient le rôle du meneur charismatique, auquel on est présenté par un gros plan puis un zoom arrière : un sourire narquois que les Anglais appelleraient « smirk » nous donne la certitude que ses intentions, lors de sa sortie de prison, sont des plus mauvaises.
Une clarté qu’on peut dénigrer en soi pour provoquer des frissons si peu chers, mais dont on aurait bien besoin pour éclairer le personnage de Noël Coward : le rôle de cet acteur issu du XIXème siècle est celui d’un « prisonnier chef de prison » qu’on a bien du mal à rationaliser autrement que par l’excuse facile de l’ « humour anglais », ou alors l’explication suivante doit suffire : il était le beau-père du réalisateur et ce rôle, quelques quatre ans avant sa mort, scelle une histoire de famille. Quoique ce détachement logique arrive à être amusant, il déconcerte surtout.
L’arrangement entre Coward et Collinson peut amener la larme à l’œil, mais il en est un autre qui peut mettre l’alarme aux oreilles : les autorités italiennes avaient refusé de créer les grands embouteillages qui sont au cœur de l’intrigue du « Coup italien ». C’est la mafia qui s’en est chargée. Après une telle révélation, c’est rétrograder d’un rapport (de force) que d’apprendre le refus de Mini de pourvoir la production de ses engins, et l’opportunisme de Fiat qui offrit promptement de fournir autant de chair à casse que Collinson pouvait en consommer.
En bon Anglais, Collinson s’en est tenu aux Mini, dût-il payer. À croire que les complicités facétieuses qui font de l’œuvre une perle jubilatoire sont le reflet des magouilles ouvragées en pré-prod, car le réalisateur omit aussi de préciser qu’en disant vouloir utiliser de la « machinerie » dans les escaliers de Turin, il entendait en fait « voitures ». Le mot italien « macchina » n’avait qu’à pas être homonyme !
Il faut encore éclairer le contexte par la fabuleuse collaboration italo-anglaise qui permit de faire pratiquer tellement de ruelles turinoises par les véhicules peuplant l’histoire : des scènes là aussi jouissives, et qui ne deviennent pas barbantes même après une dizaine de prises en perpendiculaire des grands axes. Caine est parfait ; si l’on oublie parfois de rire quand la crapulerie devient trop épaisse, son ton à la fois pincé et mesquin s’accorde avec l’ambiance pour nous rappeler que l’on regarde une comédie. Il ne conduit pas dans la vraie vie, donc son personnage non plus, ce qui lui confère une crédibilité étrange, sans doute liée au fait que cela l’éloigne justement des aptitudes multiples d’un 007.
Il n’y a pas de quoi s’inquiéter pour le spectacle, car il est garanti par un « homme du milieu » : Rémy Julienne. Ses cascades n’étaient pas connues du grand public avant L’or se barre mais on croirait qu’une bonne partie de l’histoire a été écrite pour faire de la place à ses créations. Au point qu’elles tombent comme une voiture sur la soupe : pourquoi faire monter des voitures dans un camion en roulant, quand rien ne les empêche de s’arrêter ? Autant, les faire monter sur un toit avait le goût piquant de la parodie, mais la limite n’est pas toujours assurée entre elle et le ridicule.
Il y a deux choses qui sont arrivées à me sortir du film : l’humour qu’on ne sait jamais ranger dans la boîte de la dérision ou celle du procédé, et ces scènes nous faisant douter que les criminels ne s’offrissent pas sans aucune raison le luxe d’avoir la classe. Cela débouche d’ailleurs sur un cliffhanger très littéral, pensé pour une suite, qui est trop brutal et dommageable. Des touches d’absurdité qui contribuent, bien sûr, à classer aujourd’hui la création de Collinson comme culte, mais aussi clairement à sa bêtise.
Sans doute le film joue-t-il médiocrement de notre impatience en fourbissant sa première partie d’un humour ambigu, et l’on peut lui en vouloir pour son affection d’un spectacle plus ronflant encore que le moteur de ses trois Minis ensemble. Mais ces tares ne l’ont pas empêché de devenir célèbre, ce qui est mérité au regard du budget « casse » et du spectacle visuel offert par Turin embouteillé et Julienne électrisé. Amusant de penser que le monitorage informatique de la circulation était déjà en œuvre en Italie (mais à Milan et non à Turin, dans la réalité) et que le piratage s’imposait à des fins criminelles…