Déceptions chez Depardieu et Roberts ; heureusement, la jeunesse politique italienne de l’après-guerre tient toujours ses promesses, tout comme Fatih Akın ou le remake de L’Or se barre.
Sommaire
Le Colonel Chabert (Yves Angelo, 1994)
Valentine’s Day (Garry Marshall, 2010)
Prima della Rivoluzione (Bernardo Bertolucci, 1964)
Tilaï (Idrissa Ouedraogo, 1990)
Solino (Fatih Akın, 2002)
Braquage à l’italienne (F. Gary Gray, 2003)
Image d’en-tête : Braquage à l’italienne ; films 92 à 97 de 2019
Lundi : Le Colonel Chabert (Yves Angelo, 1994) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Sûrement mécontent de son rôle supercherique avec Le Retour de Martin Guerre, Depardieu réitère le genre, passant de Zola à Balzac en termes d’adaptation. Sa continuation dans le domaine littéraire est très digne, son image un peu moins : on sent qu’Angelo prend ses racines dans la photographie car il ne sait que zoomer.
Les dialogues toussotent, sauf chez Luchini qui est brillant dans son rôle d’avocat dont l’intelligence se transforme en une magnifique duplicité. Ça compense Ardant qui essouffle ses phrases et hoquète ses pauses. Elle rentre bien dans son milieu, toutefois, une bourgeoisie qui rencontre la paperasse législative en provoquant des bourrasques de francs soudain comparables à celles d’une époque plus contemporaine.
Si la mise en scène est juste assez épaisse pour créer le confort d’y voir déambuler des costumes, elle est faible d’un ressenti ; trop juridique, le jargon n’a sa place que chez Luchini ; trop intriquées, les intrigues ont la sottise de jeux dans les jardins d’un palais ; trop militaire, la cité est fade. Si Chabert était vraiment la conversion de Guerre en version urbaine, il lui manquerait les étages de la bureaucracie, et ceux de l’âme humaine.
Mardi : Valentine’s Day (Garry Marshall, 2010) « Thématique : Julia Roberts »* |
Donner le tout pour le tout, c’est rarement la bonne option. Non contents de centrer leur histoire sur la Saint-Valentin avec le plus d’acteurs possibles et si possible les caméoesques Queen Latifah et Julia Roberts, tout est à la gloire du petit rôle et de l’idée que toute la guimauve étalée tombera d’elle-même si elle déborde. C’est en partie ce qui se produit ; s’il faut passer la plus grande partie du film englué dans la confusion scénaristique entre la magie romantique et de crémeuses amourettes, et malgré la superficialité monstrueuse de certains sentiments (surtout quand ils passent par Taylor Swift, dont je ne continuerai à apprécier que la voix), il y a des variations plus positives, comme des bulles créatives qui s’échappent du bouillon rose et sucré de l’ensemble.
C’est dans un troisième traitement, le décalé, qu’on appréciera les pérégrinations éminemment sentimentales, le bout de parodie qui marche quand bien même bien mieux, dans le rôle de la soupape, que les fausses phrases profondes, la culture de l’awkward ou ze personnage qui hait la Saint-Valentin pour faire bonne mesure.
La guimauve déborde effectivement, comblant de sa colle les interstices entre un montage en pierres sèches, un entassement de balivernes qui vont des mots doux à la cardiologie pour exsuder toutes les métaphores des grands sentiments. Dans cet exercice coroformé et dégoulinant, on peut tout juste compter sur les conclusions pour vraiment donner au thème toute la poésie qu’il mérite.
Jeudi : Prima della Rivoluzione (Bernardo Bertolucci, 1964) « Thématique : langue italienne »* |
Avant la Révolution : on y est toujours. C’est ce que ressentait Bertolucci, 22 ans, quand il a réalisé son film dans le creux de la (nouvelle) vague. Une œuvre aux tons de Le Dernier Combat de Besson, un second film là aussi, mais dont on sentait moins l’inexpérience que chez Bertolucci : sa caméra à tête chercheuse, œil voyeur sur lequel on se fiche que les passants tournent la tête, ne cherche pas à contenir quoi que ce soit.
C’est un peu la même chose pour une musique qui, quand elle ne transforme pas l’ambiance en vynile animé – ce qui arrive heureusement souvent –, est bourrée sans raison à côté de la pellicule. Puisqu’il fait un film de jeunesse politisée, Bertolucci fait en sorte d’être au plus proche de son thème et c’est bien là toute sa réussite : il se dit avant la révolution, communiquant un trouble brut et véritable. Lui qui se disait humblement inspiré par ses pairs, le voilà qui semble poser les bases pour l’également incestueux Merci ma tante (de Samperi, 1968) qui, dans cette idée, broierait les commentaires éclairés et les quelques magnifiques lignes de Bertolucci.
On ne s’étonnera pas de piocher dans le cynisme lucide d’Oscar Wilde, et l’on appréciera d’autant plus les rallonges à certaines scènes, des dépassements visuels à ce qui semblerait suffire. Inexpérience ou non, il y a certes des imperfections mais aussi un propos clair et exprimé dans un pur air parmesan.
Vendredi : Tilaï (Idrissa Ouedraogo, 1990) « Thématique : langues du monde »* |
Dans la foulée de Yaaba, Ouedraogo continue de profiter des subsides franco-suisses pour participer à l’élévation du cinéma burkinabé. C’est malheureusement aussi la confirmation qu’il donnait dans le prosélytisme pro-européen : les dialogues carburent au vocatif et n’ont plus la qualité qui excuserait l’outrancière mise en avant des coutumes, celles qui obligent à s’aimer ou à se tuer et que Ouedraogo ébauche hors contexte.
Ses acteurs n’ont plus la spontanéité curieuse qui les motivait dans Yaaba, ils prennent simplement la pose en attendant d’avoir fait durer le silence dramatique. On peut se réfugier dans la beauté hélas peu profonde d’une romance contrariée, quand la coutume se retire à son juste rang d’influenceur et non de protagoniste, mais c’est encore sans compter que la musique (qui aurait pu influencer David Holmes pour les Ocean’s avec ses six notes de basse et ses percussions légères) est envahissante et ne correspond plus du tout à l’idée de cacher les financements sous l’autarcie du scénario. Non, vraiment : dommage.
Samedi : Solino (Fatih Akın, 2002) « Thématique : langue allemande »* |
On savait Fatih Akın turco-allemand et assez à l’aise pour réaliser des films bilingues et biculturels. Mais il était loin d’être gagné à l’avance qu’il sût faire un film italien en Italie. Une entreprise d’une pureté formidable que la production allemande n’a pas compris, insistant pour qu’il y eût une version entièrement doublée en allemand. Gné ?
Pourtant, c’est bien l’italien qui est est à son avantage, éclaboussant de couleurs chaudes une image généreuse. La première partie est incroyable, fondue dans la masse d’une vie italienne qu’Akın n’avait aucune raison de connaître (pour autant que je sache) et qu’il restitue pourtant on ne peut mieux. Comme je viens de le dire, le commerce cinématographique est souvent frileux quant au franchissement de la barrière des langues, pourtant c’est la sève du déracinement de cette famille quittant son paese pour un meilleur Land.
Et Akın ne s’arrête pas là : grapillant ses méthodes par ci par là, ni vu ni connu, voilà qu’il fait passer son intrigue dans le nuage rose du Flower Power, juste le temps de l’humecter de ses goutelettes magiques avant de pénétrer dans l’âge adulte des eighties. Les transitions sont chaotiques, pourtant : nous aussi, on est déracinés quand les années passent 10 par 10, et il manque le liant pour adoucir les à-coups. Dans les épisodes successifs des vies que l’on suit, il n’y a pas forcément la recréation de toute leur symbolique ; les joies et les peines d’une époque sont vite reléguées…
Quoi qu’il en soit, Akın reste fort louable pour les détails qui mettent du baume au cœur, ces « points chauds » qui font de ses créations des merveilles de psychologie divertissante. Ce n’est pas Solino qui le démentira, et l’artiste reste à suivre.
Dimanche : Braquage à l’italienne (F. Gary Gray, 2003) « Hors-thématique »* |
Remake de L’Or se barre de Peter Collinson (1969), The Italian Job reprend le même titre original avec la peur que le projet tombe à l’eau, une bonne raison pour jeter l’ancre à Venise dans une scène d’introduction justifiant tout juste la partie « Italian ». Comme quoi, il faut se mouiller pour connaître le succès.
On aurait aimé des plans plus aérés des scènes motorisés, qui auraient donné plus d’espace à la jubilation graphique, d’autant que F. Gary Gray (au secours, quelle partie est le prénom ?) n’a pas à avoir honte des cascades réalisées par les acteurs eux-mêmes, bel hommage à Remy Julienne, bien qu’il doive se jouer sous les notes de Money au nom de Roger Waters plutôt que de Pink Flood. Pardon, Floyd. C’est l’intro vénitienne dont je ne reviens encore pas de la mesquinerie.
Profitant de la vague de braquages cinématographique menée par Ocean’s, F. Gary arrive à bien placer son affection pour l’automobile, atout dans un jeu de cartes joué avec parcimonie et recul (!). Il ne faudra pas chercher le goût du premier Italian Job, ni espérer rire d’autre chose que le clin d’œil direct que lui fait Gary Gray.
L’histoire fait bien un peu teu-teu sous les grands airs de Mark Wahlberg et Edward Norton empêtrés dans leurs copies de Matt Damon et John Cusack, mais de même que F. aime à faire traverser diverses matières à sa caméra dans des transitions bien lisses, c’est un film qui pénètre juste ce qu’il faut de notre intérêt. Il souffre avant tout, finalement, de l’effet de mode de son genre et de son côté remake un peu fade.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.