Ça y est, j’aurai vu tous les films de cinéma de Werner Herzog. Je redécouvre Lars Von Trier et totalise le visionnage de sept films cette semaine ; pas de très bonnes expériences à part un Charlie Wilson joué par Tom Hanks (comment ne pas aimer un film où il est ?).
Sommaire
Tous les matins du monde (Alain Corneau, 1991)
La Guerre selon Charlie Wilson (Mike Nichols, 2007)
Jamais plus jamais (Irvin Kershner, 1983)
Le Père de Giovanna (Pupi Avati, 2008)
Salt and Fire (Werner Herzog, 2016)
Le Direktør (Lars von Trier, 2006)
Pirates des Caraïbes: Jusqu’au bout du monde (Gore Verbinski, 2007)
Image d’en-tête : Salt and Fire ; films 60 à 66 de 2019
Lundi : Tous les matins du monde (Alain Corneau, 1991) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
C’est avec Tous les matins du monde que Depardieu père et fils se retrouvent pour la seconde fois, après Pas si méchant que ça en 1975 ; c’est le début de la carrière du fils.
On est ici en 1991, sept ans après Fort Saganne où Corneau avait mis en scène le père dans des tons aussi jaunes. Le réalisateur était plus glorieux sur les grands chevaux militaires que sur les chevalets artistiques. Ses plans ne manquent pas de poésie, au bénéfice du gros plan magistral, ou de grâce avec ses éclairages aux couleurs de vieux papier à musique (peut-être sa réinterprétation cinématographique des noires et des blanches), mais il semble qu’il ait un peu forcé la teneur en « arts » de son œuvre.
Son image est une nature morte constante, qui finit par se résumer à la lumière qui la révèle à force que la musique entêtante des violes ne cesse de ne pas s’arrêter. Fier d’avoir eu l’œil quant à la figuration de Guillaume Depardieu dans la jeune version du rôle de son père, Corneau a aussi édité la prouesse chez Anne Brochet et Carole Richert, formant une cohésion discrète chez un casting minimaliste, houletté par Marielle et sa force tranquille traduite en amertume. Mais le prétexte de la musique comme langage « inhumain », convoyant ce que les mots ne peuvent convoyer, est molle face aux dialogues qui manquent d’imparfait du subjonctif et de liaisons pour nous rappeler correctement au XVIIème siècle.
Si l’absorption dans la musique est réelle et qu’on arrive à se ficher que les acteurs n’en jouent pas vraiment, l’exhibition de perruques comme symbole de noblesse faisait promettre une grandeur qui n’y est pas, même dans la douceur.
Mardi : La Guerre selon Charlie Wilson (Mike Nichols, 2007) « Thématique : Julia Roberts »* |
Dernier film de Mike Nichols, Charlie Wilson’s War est un salut au drapeau les doigts croisés, une réussite tenant d’une fierté évidente d’être cinéaste et américain mais pas sans sa touche de défiance. Parle-t-on de quatrième mur au Pentagone ? Peu lui importe, Nichols plane comme un toit d’immeuble au-dessus des nuages imprésivisibles de la satisfaction spectatoriale.
Hanks est dans la peau du député Charlie Wilson, qui fut impliqué dans le rôle des États-Unis dans la guerre d’Afghanistan. Relativement peu engagé au premier abord, le film nous enfonce dans les couloirs du vrai gouvernement ; celui qui s’affaire, pas celui qui parle. Reagan est un Big Brother invisible et muet derrière le Congrès, petites mains qui s’activent et délèguent à d’autres comme Amy Adams, décidément épatante en tout, et ce dans les rafales d’un contexte titanesque. Car c’est le contexte qui forme le reproche le plus facile à faire à ce genre d’Hommes du président. Chez ceux de Wilson, il est délivré en continu au spectateur, comme les dépêches dont l’homme se nourrit ; des centaines et des centaines de lignes qui alimentent sans interruption une action qui serait autrement incompréhensible.
Mélange de J. Edgar (Clint Eastwood, 2011) et d’Independence Day (Roland Emmerich, 1996) (si l’on remplace les aliens par des Russes et Bill Pullman par Tom Hanks), c’est une perle de film politique, abondant en documentation (même si elle vient du livre, il s’agissait d’une décision cinématographique que de l’implanter sans s’engager du côté légèrement plus actuel du terrorisme) et parfait pour transformer un grand nom d’acteur en grand nom du monde réel pendant deux petites heures. Le scénario n’est juste pas très assuré dans ses va-et-vients entre l’histoire et sa dérision : le staff féminin de Wilson doit vraiment beaucoup à Amy Adams pour ne pas faire rire, et les lignes pince-sans-rire de Seymour Hoffman nous font souvent oublier la raison d’être du protagoniste.
La fin est un peu molle ; sans doute voulait-on souligner que la fin de la Guerre d’Afghanistan était molle aussi, « hommage » sans doute à l’histoire vraie voulant que le Géant étasunien marche sur ses ennemis sans relever ses alliés. Comme le disait Charlie Wilson lui-même: « These things happened. They were glorious and they changed the world… and then we fucked up the end game« . C’est en partie à Tom Hanks (acteur et producteur) qu’on doit une fin certes modeste, mais qui évite d’être fuckupée.
Mercredi : Jamais plus jamais (Irvin Kershner, 1983) « Thématique : Max Von Sydow »* |
Jamais plus jamais, c’est ce qu’avait dit Sean Connery quant au rôle de James Bond. Comme il a changé d’avis, il le reconnaît, jovial, d’un clin d’œil qui ouvre le générique de fin. S’il est plaisant de le retrouver, il aurait peut-être mieux fait de tenir sa promesse.
Le film ne figure pas dans la liste officielle des films de James Bond. La raison : il a été fait fait sur la base d’un procès qui a arraché les droits d’adaptation à Ian Fleming. Le résultat est que Sean Connery et Roger Moore se sont concurrencés à quatre mois d’écart dans deux films de 007 (Jamais plus jamais et Octopussy), et qu’une guéguerre cinématographique s’est jouée entre les deux. Outre la mélancolie et l’ablation de toute la machinerie de Brocoli à la production (toutes deux un peu subjectives), il faut savoir juger le film pour ce qu’il est, quoique l’opportunisme qui l’a vu naître est discutable en soi.
Mais voilà qui règle le problème : non content d’être officiellement un remake et d’être séparé des conventions de la série, Jamais plus jamais est une copie du style bondien, non juste une adaptation. Le remplacement des acteurs (dirigé officieusement par Connery) ne se cherche même pas. Les figures de M et de Q sont splendidement ratées. Les combats sont bien chorégraphiés mais des pauses inexplicables cassent tout le rythme. Souvent, l’image passe pour l’accessoire malmené d’une action qui doit prévaloir, et qui doit se contenter d’afficher un objet central pour toute raison d’être ; pas le temps de faire dans la dentelle.
Heureusement, il y a du bon par endroit, comme la scène des missiles qui est étonnamment – osé-je dire incroyablement ? – bien faite pour l’époque. Le premier rôle de Rowan Atkinson, bien écrit, le rend déjà reconnaissable. Max Von Sydow confirme son talent indéboulonnable de second rôle. Les élites féminines sont pensées autrement qu’avec l’approbation cynique faite par la franchise officielle de leur objetification. Mais le ridicule menace, au-delà du jeu vidéo auquel on doit le bénéfice rétrospectif du progrès. Les ellipses de la caméra sont parfois médiocres.
On finit par se rendre compte que James Bond est une usine et que ça fait partie de sa qualité, pas de son spectacle.
Jeudi : Le Père de Giovanna (Pupi Avati, 2008) « Thématique : langue italienne »* |
Drame aux tons ocres, ce film d’un réalisateur né en 1938 est l’un des rares qui se passent dans la Seconde Guerre mondiale sans en faire leur sujet du tout. Le mariage des personnages de Silvio Orlando et Francesca Neri est loin (il date de 19 ans) mais on a l’impression d’entendre résonner encore le « pour le meilleur et pour le pire ». Leur fille (Alba Rohrwacher) est les deux à la fois : le père se donne corps et âme pour elle tandis que la mère, au contraire, s’éloigne.
La prose familiale étant posée, le drame peut survenir avec l’inquiétant stoïcisme de l’irréparable sous la forme du meurtre. Le reste en découle, sur fond de bombardements puis de ruines qui servent à marquer le temps, monotone, qui passe. Tant de placidité pourrait se traduire en douceur si le film n’était pas si feutré en tout : feutré dans les dialogues qui font rater la venue de la conclusion ; feutré dans le procès que le verdict (l’aliénation au profit de l’incarcération) minimise sans compensensation ; feutré dans le personnage de Rohrwacher qui est loin de combler le vide laissé par le contexte de son enfance.
C’est, finalement, un film assez familial, mais du fait des risques minimes qu’il prend, et pas pour le genre qu’il se choisit. Rempli de cette fille qu’on exile pour aliénée (comme si elle était victime de folie plutôt que d’en avoir commis une ?), il fonde des dimensions trop humbles, tellement délicates qu’elles ne s’enracinent pas. Tellement délicates aussi qu’elles ne font pas vraiment d’erreur, mais valait-ce le coup ? Pas sûr.
Vendredi : Salt and Fire (Werner Herzog, 2016) « Thématique : Werner Herzog »* |
Herzog cacherait-il l’autoplagiat derrière des affiches de plus en plus en plus séduisantes ? On ne peut pas le taxer de mégalomanie, lui qui garde ses acteurs fétiches très longtemps et ses producteurs le temps d’un film, mais entre Michael Shannon et la musique, c’est un total remake de Dans l’œil d’un tueur (2009). Pour le minimalisme mystique et le déni du commercial, on retrouve The Wild Blue Yonder (2005) (qui devient The Wild White Yonder).
Nier le commercial, c’est bien : ça entretient le paradoxe de sa marginalité célèbre. Mais dans la culture de ce mépris, Herzog l’outsider pourrait être en train de devenir Herzog l’ignoré : j’ai parlé d’affiches, mais ce n’est pas qu’en post-prod qu’il exhibe ses promesses. Cherchant la facette ultra-réaliste de l’exceptionnel, il arrive effectivement à déconstruire le culte de l’inatteignable au cinéma, usant avec bon sens de la trame palpitante comme chemin livresque. Mais, diantre, où est le frisson ?
Il nous condamne dans sa contemplation, qui a heureusement conservé ses plans incroyablement poétiques et son côté globe-trotter capturant l’essence de paysages grandioses, mais ses lubies ont perdu jusqu’à leur utilité. Veut-il faire durer le suspense en s’attardant dans le kidnapping formant toute la première moitié du film ? Veut-il dénoncer quelqu’un, quelque chose, en nous faisant croire qu’un homme abandonne ses enfants dans le désert pendant une semaine par pur désintéressement écologique ?
La morale, dans tous les sens du terme, est aux abonnés absents. Salt and Fire n’est pas un choc des éléments spectaculaire. Il est poétique et ambiancé, pas de doute, mais le regard qu’il pose pouvait se passer d’acteurs et de scénario. C’est un documentaire de science-fiction qui s’ignore.
Samedi : Le Direktør (Lars von Trier, 2006) « Thématique : langues du monde »* |
Mon premier Von Trier, en tout cas dans la version 4.35.21 de mon œil critique. Je ne peux pas jouer la comparaison avec d’autres de ses œuvres, mais j’ai vraiment l’impression de reconnaître les gènes scandinaves. Par contre, il serait peut-être temps que je donne l’impression que je connais mon sujet, au moins un peu.
Vie de bureau, humour absurde : je suis une nouvelle fois ramené au souvenir de Wrong (Quentin Dupieux). Un Islandais joué par un acteur au nom fort beau (Friðrik Þór Friðriksson) dégoise peu mais bien, avec plein de verve et de gros mots que l’interpréte reproduit consciencieusement en danois : les Danois sont des sentimentaux et des bavards. Lui est une sorte de Monsieur de Mesmaeker, la cerise (gelée) sur les gâteux ramenant la voix fluette de la normalité placide. La personnalité des personnages émerge de ce doux décalage qui est l’apanage unifiant la Scandinavie – au moins cinématographiquement.
La voix off, c’est von Trier lui-même qui nous fait l’honneur de s’interrompre en nous informant que c’est une comédie. Avec ce regard, on peut la juger particulièrement réussie dans l’élongation de scènes phares, presque des actes théâtraux, sauf que les plans sont sélectionnés aléatoirement par informatique. Cette démultiplication des plans a quelque chose de magique, mais ce n’est pas forcément une bonne chose : si l’histoire et le montage se font sans la force imaginative humaine, à quoi cela rime-t-il ?
Dimanche : Pirates des Caraïbes: Jusqu’au bout du monde (Gore Verbinski, 2007) « Hors-thématique »* |
At World’s End était censé être dans la lignée directe de Dead Man’s Chest, une partie 2 presque, pourtant les deux films me semblent assez différents. Et ce troisième opus me paraît presque un rebond (relatif) du « coup de barre » opéré avec le second.
Quittant les Bahamas comme on quitterait un Poudlard occupé, Verbinski se tourne de l’autre côté du monde, à Singapour. Il y puise un univers visuel passionnant, comme s’il écrivait son histoire à l’encre des ombres. Et cela pour ensuite ouvrir un monde tout de blancheur, rappelant très fortement une scène de Rango (2011) où il transforme un désert de sel en une sorte de Valhalla pour home cinema. Ce côté expérimental, c’est la nouvelle ressource des Pirates des Caraïbes, mais cela renforce l’impression que le régisseur s’ennuie.
Le pire, je crois, c’est à quel point les décalages s’accentuent, et particulièrement la fracture entre le drame et l’humour ainsi que celle qui sépare le rationnel et le fantastique. Le deuxième élément de ces deux couplets était jusqu’ici gérés comme des tabous, des plaisirs qui permettaient au spectateur de s’encanailler auprès de ses pirates préférés. Avec At World’s End, cette pratique est totalement méprisée, ce qui endommeage beaucoup l’esprit de la saga. Les conflits, qui étaient encore tenus au bout des doigts dans le 2, sont hors de contrôle, et sont beaucoup trop résolus à coups de trahison.
Si j’ai raison de croire que Verbinski a expérimenté par ennui, c’est tout à son honneur. Cela ne lui permet pas seulement de donner un magnifique petit rôle à Keith Richards, mais lui évite aussi de marcher dans le plat, et l’ambiance au goût d’Au-delà de nos rêves (Vincent Ward, 1998) arrive à renouveler l’âme, faute d’innover. Car le film cherche encore ses propres équilibres et il est un peu tard pour ça. Enfin si, il y en a un qui est atteint : le procédé de la remise en cause est très loin du binaire qu’on peut en attendre ; il faut chercher loin pour trouver les vrais tenants et aboutissants des intérêts de chacun, et c’est assez palpitant (comme le cœur encoffré du grand méchant poulpe, d’ailleurs).
Donc oui, At World’s End perpétue les défauts de son prédécesseur, mais il n’y a pas de grosses gaffes (vous n’aurez pas à ramer non plus, rassurez-vous !) et la créativité prend un peu le pas ; juste ce qu’il faut pour lui faire garder le cap.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Le souvenir de la séance du Direktør de Lars Von Trier éveille en moi un moment de souffrance cinématographique qui a eu pour effet de m’éloigner durablement de son œuvre.
Je te comprends !
Tout ces films sont des chef d’oeuvre. Je découvre un nouveau monde grâce à vous ; merci pour vos analyses.
Je suis heureux d’être utile ! Merci énormément. <3