Rationnaliser les choses, c’est toujours une bonne idée. Mais certaines incompréhensions de soi-même ont la vie dure. Mes passions sont dans ce cas. Après avoir mis en mots mon agnosticisme, voici un nouvel article qui parle vraiment de moi. J’y donne ce qui me semble actuellement la bonne réponse à la question ”pourquoi j’écris ?”. Le futur me dira si cette vision est à réviser.
Bannière par Elda. ♥
J’ai toujours été un créateur, même si je ne le remarque que rétrospectivement. Étant incapable de dessiner – une faculté utile à une imagination d’enfant – , je m’étais inventé un talent dans la création du futile et m’étais autoproclamé – sans le savoir bien sûr – ambassadeur de la ‘pataphysique infantile. Aussi voyais-je des drapeaux dans des plaids et baragouinais-je un ersatz d’anglais – que j’étais encore bien en mal de parler – en prétendant que c’était une langue que j’inventais. Mais j’y croyais, bien sûr, comme un enfant croit exprès, avec une conviction jalousable, en tout ce qu’il s’invente, et jusqu’à ses émotions.
En temps voulu, je réalisai que je me m’amusais pas à créer, mais à vivre dans ce qui n’existait pas, ne pouvait même exister. La création était un moyen, pas une finalité. Ainsi m’arriva la question existentielle qui est la rengaine de l’humanité : quel est le sens de la vie ? Une question aussi puérile qu’elle est obnubilante, car il semble que l’exorciser soit toujours un Saint-Graal de l’accomplissement personnel.
J’avais 17 ans quand j’ai commencé d’écrire sérieusement, pour autant que j’ai légitimité à m’appliquer cet adverbe. Peu de temps a passé, finalement, mais je reste bien placé pour parler de ces trois ans (pas si loin de quatre) qui ont vu évoluer l’invention de mes histoires. Un déclencheur de mon évolution est arrivé de manière inattendue (mais quand attend-on les déclics au juste ?) sous la forme d’un film de Luc Besson : Lucy, que j’ai vu pour la première fois en avril 2017.
C’est un film pour lequel j’éprouve une certaine affection, et il a le mérite de poser la question du sens de la vie d’une façon assez brute. Du sens de notre propre vie. Bien sûr, il m’était déjà arrivé de réduire le champ de cette question à l’individu, mais pas d’en tirer une conclusion. À peine avais-je assimilé l’existence de cette nouvelle serrure que se présentait à moi sa clé : le sens de notre propre vie est de transmettre le savoir. C’est en tout cas le propos du film.
Bien sûr, nous entrons là dans le domaine du personnel, mais il s’est trouvé que j’ai tout de suite été d’accord avec cette philosophie (et je crois qu’elle joue beaucoup dans mon appréciation du film).
Transmettre le savoir, super, mais… Est-ce que ça marche si je suis juste un geek ? J’en doute. Les gens qui transmettent vraiment le savoir sont les instituteurs et les scientifiques… Pas étonnant que ces professions soient si prisées ! Mais comment puis-je concilier cette ligne de conduite avec le fait d’être un artiste ? Et puis j’ai trouvé.
En tant qu’artiste, sans doute ne transmets-je pas de savoir à proprement parler, mais je transmets des manières de le transmettre, et de nouveaux angles de vue sous lesquels l’aborder.
En tout cas, c’est un objectif qui me sied bien et que j’aimerais poursuivre.
Mais cela soulève une nouvelle question : quelle est ma position là-dedans ? Qu’est-ce que j’ai personnellement à voir avec ma philosophie ? Quel lien entretiens-je avec ma vocation ? À mon avis, la réponse réside dans un verre à moitié plein… ou vide. Il m’a fallut du temps pour déterminer si j’étais un optimiste ou un pessimiste, mais j’y suis parvenu… je crois.
Je suis réalistement pessimiste et utopiquement optimiste.
C’est-à-dire que je n’ai que peu foi en l’humanité : je ne crois pas que nous apprendrons un jour de nos erreurs. Le consumérisme et l’intolérance ne sont que deux exemples des traits sociaux me caractérisant et que je méprise pourtant comme constituante de mon espèce. Je pense que je ne me déferai jamais de mes paradoxes. Je suis convaincu qu’un désastre global approche et qu’il est trop tard pour freiner. Je crois que les rêves de l’humain sont destinés à ne rester que des rêves, comme celui que l’on devienne une race interstellaire, immortelle pour autant que l’Univers le soit.
C’est ce que je crois, et c’est pessimiste. Ou défaitiste.
Mais ce que j’espère est différent. J’espère que, si un tel désastre doit arriver, nous y survivrons, et qu’il nous enseignera une leçon définitive. J’espère qu’une vraie égalité peut être atteinte, que l’intolérance peut être éradiquée, et que cela puisse se faire sans eugénisme, ni autoritarisme ni opportunisme ni aucune grande faille dans laquelle nous ne soyons déjà tombés en tant qu’ensemble de civilisations. J’espère que notre espèce – entre autres ?! – sera pour toujours parmi les étoiles, et que la dimension du ”toujours” qui nous est familière peut être franchie.
C’est ce que j’espère, et c’est optimiste. Ou niais.
Entre défaitisme et niaiserie, je crois que la notion d’équilibre, qui apparaissait régulièrement dans mes nouvelles sans que je susse expliquer pourquoi, est un concept des plus simples qui servira toujours de fondement à ma pensée.
Quoi de plus utopique, quoi de plus inatteignable qu’un équilibre ? Pourtant, il est scientifiquement possible. J’y place mon art, et c’est parfait. Un équilibre doit être rompu pour être motivé, alors laissez-moi détruire ce que je chéris, comme Stephen King détruit « ses chéries », comme il les appelle (ou le traducteur en tout cas), ces passages très réussis d’un ouvrage qu’il faut se résoudre à jeter parce qu’ils n’apportent objectivement rien.
Alors je veux quoi ?
Je voudrais que mon art puise ses ressources dans le terreau d’une vision réaliste d’un monde courant à sa perte, mais qui n’offre pas qu’une représentation dénaturée et cynique d’une apocalypse inévitable. En raffinant ce qui fait peur, je veux faire une place à l’espoir, un espoir que mes lecteurs, s’ils ont la bonté de l’être, n’auraient pas à produire en eux-mêmes dans la douleur. Un espoir consommable, qui, dans un monde idéal, les guiderait sur la voie du pragmatisme et les éloignerait du confort de l’autodestruction humaine.
Je voudrais donner mon art en tant qu’outil à l’humanité pour essayer de la rendre tout ce qu’elle a toujours rêvé d’être. C’est pour cela que je cultive un style naïf, car si la candeur n’est pas voulue, elle a bien sa place dans une volonté de donner de la consistance à ses propres rêves.
Et si cela doit faire de moi derechef un niais, ce sera parfait. Rompons l’équilibre pour qu’il soit motivé.