Euro… Voilà un mot qui, entre tous, a de la valeur. Saviez-vous qu’on l’a d’abord appelé « écu » ? C’était une idée lancée par Giscard d’Estaing pour rappeler l’historique français de l’écu, et les anglophones y avaient trouvé leur compte en y attribuant le sens de ”European Currency Unit”, mais elle a été abandonnée le 14 décembre 1996 parce que les autres langues européennes ne pouvaient pas attacher de sens historique au mot ¹.
Ce jour-là, on a décidé de l’appeler « euro », justement pour que toutes les langues européennes y trouvent « leurs comptes », évitant du même coup des possibilités pléthoriques aux embarras diplomatiques variés (le « franc » avait été envisagé mais les Espagnols n’avaient guère envie d’une unité monétaire appelée « franco » ¹, pas plus que les Allemands d’un écu qui se traduirait ”ein Ecu”, soit presque un homophone de ”eine Kuh”, « une vache » !).
Mais est-on vraiment arrivé à une solution homogène ?
L’orthographe
On pourrait croire que l’orthographe « euro » est assez simple pour être partagée par toutes les langues utilisant le même alphabet. Mais non !
On remarque :
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euro ou des variantes proches* pour 31 cas sur 76 (41%), sur 52 utilisant l’alphabet latin (60%) ;
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евро (evro) dans 7 cas sur 76 (9%), sur 12 utilisant l’alphabet cyrillique (58%) ;
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environ 25 orthographes uniques (33%) (comme l’asturien euru, le letton eiro ou les langues qui utilisent un autre système d’écriture comme le grec ευρώ).
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ewro dans 3 cas sur 76 (4%) ;
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evra dans 2 cas sur 76 (2,5%) ;
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avro dans 2 cas sur 76 (2,5%).
* En comptant Euro en allemand, euró en hongrois et eŭro en espéranto.
Cela couvre 92% des orthographes recensées.
Pluriel ou pas pluriel ?
Un « euro » ne prend pas de majuscule car ce n’est pas un nom propre (la langue anglaise proscrit également « Euro » ; l’orthographe avec une majuscule n’est standard qu’en allemand, langue qui capitalise tous les noms communs). Cela devrait ouvrir la possibilité de la pluralisation.
Mais le statut du mot demeure ambigu : c’est un symbole, presque un sigle. Et ça évoque l’Europe. D’ailleurs, les billets ne marquent pas « euros » pour éviter de prendre en compte des pluriels trop sporadiques. Une ambiguïté que chaque langue a traitée à sa manière.
L’Académie rappelle que le Journal Officiel du 2 décembre 1997 prescrivait l’utilisation du pluriel, ce qui rend le pluriel « euros » standard en français ².
La tendance est au marquage du pluriel.
Pluriels marqués
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Généralement dans les langues slaves avec -a (macédonien ”евра”, tchèque ”eura”) sauf le bulgare qui tolère un pluriel ”euro” et le bosnien-croate-monténégrin-serbe qui le marque ”euri” ;
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les langues turques comme l’azéri et le turc pluralisent ”avro” en ”avrolar”, mais (suivant le modèle turc) ne pluralisent pas avec une quantité définie (« deux euros » → iki avro, et non
iki avrolar) ; -
finnois et estonien : ”euro” → respectivement ”eurot” et ”eurod” ;
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arménien : ”եվրո” (evro) → ”եվրոներ” (evroner) ;
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islandais : ”evra” → ”evrur” ;
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lituanien : ”euras” → ”eurai” ;
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”euros” est le pluriel en anglais, catalan, français, galicien, portugais et espagnol.
Pluriels invariables
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Letton ;
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suédois ;
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grec ;
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polonais ;
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russe.
Ces trois dernières langues (grec, polonais et russe) poussent l’invariabilité jusqu’à rendre le mot indéclinable, si bien qu’il n’a toujours qu’une seule forme.
Le cas particulier des langues scandinaves
Les trois langues scandinaves principales (le suédois, le norvégien et le danois), qui sont extrêmement proches les unes des autres, sont trois cas particuliers différents. Ces langues utilisent un clitique pour exprimer l’article défini « le », et on va voir qu’il joue un rôle dans ces distinctions.
Le suédois ne marque pas le pluriel à la forme indéfinie mais il est visible à la forme définie.
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Le norvégien marque un pluriel indéfini ”euroer” et un pluriel défini ”euroene”, mais ”euro” est invariable avec un numéral.
Le danois accepte un pluriel régulier ”euroer” qui propose une forme distincte pour toutes les combinaisons de nombre, de déclinaison et de définitude, mais possède un autre pluriel, invariable, en ”euro” dont seules les formes définies sont distinctes en nombre (ce qui revient au cas du suédois).
Cas étonnants
Il est intéressant de remarquer que le lituanien et le letton, assez proches l’un de l’autre d’ordinaire, se comportent différemment (cf. les listes vues précédemment).
En néerlandais, la monnaie prend un pluriel ”euro’s”, mais la pièce est invariable. En revanche, ”eurie” est utilisé populairement à la fois pour le singulier de la monnaie et le pluriel de la pièce.
En allemand (”Euro, Euros”), les quantités indéfinies (valeur, coût) sont invariables au pluriel, mais le pluriel est marqué avec une quantité définie de pièces (comme pence / pennies en anglais). Toutefois, la forme invariable allemande peut être utilisée dans les deux cas.
L’italien, comme on sait, a -i comme pluriel régulier pour la terminaison -o. Le mot ”euro” n’y a pas échappé, puisqu’il s’est immédiatement partagé entre un pluriel invariable et un pluriel en ”euri”. Par contre, ce dernier est aussi très vite devenu familier et perçu comme fautif, surtout du fait que le pluriel invariable est officiel depuis 2001 en Italie ³. Wikipédia en italien rapporte que du 25 septembre au 24 novembre 2001, un texte de loi a employé le pluriel ”euri” ⁴. Aujourd’hui, cette forme est très rare.
En grec, le mot pour l’euro est ”ευρώ” (evró) et s’orthographie avec un oméga (ω). Il y a une faute répandue qui consiste à l’écrire avec un omicron (”ευρό”) car les deux sont homophones en grec moderne. On pourrait se demander pourquoi cela a de l’importance puisque le mot « euro » est un néologisme, mais il faut se rappeler qu’il est justement abrégé du mot grec désignant l’Europe et qu’il s’orthographie avec un oméga : Ευρώπη /eˈvro.pi/ (ou Εὐρώπη /eu̯.rɔ̌ː.pɛː/ en grec ancien).
Sources
Les traductions sont celles qui sont données par le Wiktionary anglophone à l’entrée ”euro” ; les statistiques sont strictement déduites de ce corpus de 76 traductions, et les informations que je laisse apparemment non sourcées viennent de là ou des entrées spécifiques à chaque langue pour le même mot.
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A Concise History of European Monetary Integration: From EPU to EMU, Horst Ungerer, 1997
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Questions de langue : euro, cent, Dictionnaire de l’Académie française
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Per favore desidererei conoscere il plurale esatto della parola « euro », Irene Scalici, 19 mai 2014
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Questioni linguistiche relative all’euro, Wikipédia en italien
© Ywan Cwper
Je me souviens aussi qu’il y avait eu une polémique par rapport au mot «cent», désignant les centimes… Ben oui car «deux cents» à l’oral, c’était 200 ou deux centimes ?
On a heureusement gardé le mot «centime», pour éviter toute confusion…
Comme quoi, même linguistiquement, l’Europe et l’euro ça fait parler ! x)
J’ai vu qu’il y avait aussi plusieurs manières de gérer ça, mais ça mériterait un article à part entière !
Cette histoire de Kuh, ça m’a toujours paru suspect. Parce qu’à ce compte-là, « le rot » en français ça ne sonne pas terrible non plus.
Quel rot ?
Ben, l’euro quoi, le rot. Alors les Allemands qui refusent l’écu à cause de « eine Kuh » sous prétexte que ça veut dire vache…
Ah, suis-je bête ! Je n’avais jamais remarqué ! Mais évidemment, je suis obligé de te contredire en ce que « le rot » et « l’euro » ne sont pas exactement homophones mais parophones. 😉 (Je suis chiant, hein ?)
Tout comme eine Kuh et ein Ecu, non ?
C’est vrai que dans « eine », c’est un schwa, alors que dans « Ecu », ça devait probablement être un /e:/
Mais bon, on dit beaucoup plus souvent « un euro » que « l’euro/le rot »
Enfin, peut-être que les Allemands sont plus sensibles que nous sur ces questions^^
What Sidd said.
Ce qui est remarquable en lituanien, c’est sa propension à systématiquement adapter à sa morphologie tous les noms empruntés, y compris les noms propres, de façon à ce que ces derniers soient déclinables. De fait, on les retrouve souvent « affublés » d’une désinence de nominatif caractéristique du lituanien, en général -as (parfois -us) pour le masculin et -a ou -ė pour le féminin. Voltas Disnėjus n’est peut-être pas aisé à reconnaître au premier abord ! Il semble toutefois que le letton n’ait pas grand-chose à envier au lituanien en cette matière avec Volts Disnejs ou Šarlis de Golis, sans compter d’innombrables autres exemples du même genre.
C’est fascinant. 😀 Voltas Disnėjus, woah. Je dois voir des films lituaniens maintenant.
[…] compris dans toutes les langues. Car la marque du pluriel n’est pas forcément la même dans les autres pays européens. Comme le rappelle Projet Voltaire, le service en ligne de formation à l’orthographe : […]