Saviez-vous qu’on peut faire des fautes d’orthographe… à l’oral ?
Sommaire
Les fautes d’orthographe : on ne les présente plus. Rôdant entre les exceptions, tapies dans les recoins de l’étymologie, dissimulées derrière certains cas contre-intuitifs, elles sont partout.
Même si l’on y fait attention, elles peuvent nous rattraper. Peut-être y en a-t-il même dans cet article malgré le soin que je mets à me relire, qui sait ? Heureusement, leur territoire n’est pas bien grand : elles ne peuvent pas sortir de la langue écrite. Enfin, ça, c’est ce qu’on croit.
1. Qu’est-ce qu’une faute d’orthographe ?
La nature d’une faute d’orthographe dépend des langues. Et surtout de la nature de leur orthographe.
1.1 Dans une orthographe phonétique
Une orthographe phonétique transcrit directement et seulement les sons des mots. Si l’orthographe est 100% phonétique, alors 1 lettre = 1 son, et 1 son = 1 lettre. Il n’y a pas de pièges, de cas particuliers ou d’exceptions.
Une faute d’orthographe dans une langue avec une orthographe phonétique est donc (dans la grande majorité des cas) une simple erreur d’inattention. Il « suffit » généralement de transcrire directement ce qu’on entend pour écrire juste.
Il peut y avoir des cas spéciaux comme le finnois. La langue est très peu standardisée et il n’est pas rare qu’un mot ait plusieurs orthographes qui correspondent à la variante dialectale entendue. Toutes ces orthographes seront considérées comme « justes ». Et cela, malgré que l’orthographe finnoise est 100% phonétique. C’est un peu comme si, au lieu d’écrire « pain », on écrivait « pèng » pour représenter le mot dans l’accent du Midi, et qu’on ne considérait pas ça comme une faute.
1.2 Dans une orthographe étymologique
L’orthographe du français, au contraire, est très peu phonétique. Elle est étymologique, c’est-à-dire qu’elle est le reflet d’une prononciation ancienne depuis longtemps oubliée.
En plus de cela, elle a des consonnes artificielles, comme dans « doigt » ou « poids », qui ont été ajoutées pour rappeler l’origine de certains mots. Le G de « doigt » rappelle son ancêtre latin digitus quoique ce G est devenu muet il y a plus d’un millénaire, et le D de « poids » rappelle pondus, qu’on croyait être son ancêtre à l’époque (en réalité, « poids » dérive de pensum, donc ce D n’a jamais existé ; ironiquement, c’était donc une faute d’orthographe que de l’ajouter, alors qu’aujourd’hui c’en est une de ne pas le mettre).
Cette orthographe étymologique rend la faute d’orthographe en français bien plus complexe. Et en même temps beaucoup plus facile à faire. « Faire une faute », ce n’est pas se tromper dans la transcription de ce qu’on entend, mais bien dans l’application d’une myriade de règles plus ou moins arbitraires. Dès lors, la pression que les fautes imposent aux usagers est souvent énorme : faire une faute, c’est mal.
La pression de la norme est généralement le déclencheur de plusieurs phénomènes intéressants. Ici, il y en a un qui nous intéresse tout particulièrement : l’hypercorrection.
2. L’hypercorrection
L’hypercorrection est le fait de corriger une faute imaginaire. Elle est le résultat de notre vision de l’orthographe et du besoin parfois étouffant d’écrire sans fautes, sans quoi l’on peut facilement se faire discriminer. C’est particulièrement vrai en France.
L’absolue nécessité d’écrire bien, par peur de la discrimination, rend la faute effrayante. Si effrayante qu’on veut l’éviter à tout prix, quitte à se corriger là où il n’y en a pas besoin.
C’est d’autant plus vrai chez des personnes qui sont considérées par d’autres comme « mauvaises » en orthographe, car cela va les rendre insécures rapport à leurs propres capacités. Aussi, on observe de plus nombreux cas d’hypercorrection chez les personnes qui font le plus de fautes.
→ Pour en savoir plus sur la discrimination et l’insécurité en linguistique, je vous conseille mon article « Qu’est-ce que la glottophobie ? ».
2.1 Exemples
Wikipédia note qu’on ajoute parfois des lettres étymologiques imaginaires. « Hypoténuse » et « entropie » peuvent par exemple être écrits « hypothénuse » et « enthropie » car les mots nous rappellent le grec et l’on a l’habitude que les mots savants d’origine grecque utilisent ‹th›.
Une faute comme « je vais vous créez un compte » s’explique aussi par l’hypercorrection. L’usager estime que, du fait que le pronom « vous » précède un verbe avec une terminaison qui se prononce « é », cette terminaison ne peut être que la conjugaison avec le pronom « vous » (donc « -ez »), qui se substitue ici fautivement à la terminaison de l’infinitif, « -er ».
L’hypercorrection n’est pas seulement orthographique. Le CNRTL cite le fait de dire « vous médites » au lieu de « vous médisez ». On croit bien faire en copiant l’exception dans « vous dites », mais « vous médites » est fautif.
2.2 Oignon 🧅
Les différences énormes qu’il y a entre le français écrit et le français parlé peuvent nous amener à calquer l’un sur l’autre par erreur. L’exemple le plus célèbre en est probablement « oignon ».
À l’origine, ce mot s’écrivait toujours « oignon » et se prononçait toujours /ɔ.ɲɔ̃/, soit « onyon ». Mais l’orthographe ancienne, avec les lettres ‹ign› pour le son « ny », s’est maintenue. On a alors gardé « oignon » contrairement à « besoigne » ou « montaigne » qui sont devenus « besogne » et « montagne » par exemple.
Une nouvelle prononciation du mot, inspirée de son orthographe, a alors vu le jour par hypercorrection : /wa.ɲɔ̃/, soit « wanyon ». Depuis 1990, on doit écrire « ognon » sans ‹i› mais les deux orthographes et les deux prononciations cohabitent. Personnellement, par exemple, j’écris et je prononce « oignon », à l’inverse de la majorité.
2.3 Quand l’hypercorrection donne une faute d’orthographe orale
Avec ce dernier exemple, on touche au fond de notre sujet. En créant la prononciation « wagnon », on a corrigé une faute imaginaire car on pensait que ‹oi› devait se prononcer /wa/ dans ce mot comme partout ailleurs, alors qu’il s’agissait d’une exception.
Mais il manque quelque chose. En effet, même si l’Académie proscrit en théorie d’écrire « oignon », ce n’est pas une vraie faute au sens linguistique du terme. Techniquement, c’est la transcription fidèle d’une prononciation attestée dans l’usage. Or l’usage, du point de vue scientifique, est l’unique vecteur de normes. Cela veut dire que, linguistiquement parlant, « oignon » et « ognon » sont tous les deux justes.
Il faut donc trouver des cas où l’hypercorrection fait apparaître une forme contraire à l’usage.
2.4 YouTube
J’ai eu l’idée d’écrire cet article en remarquant les fautes d’orthographe orales d’un vidéaste YouTube. Ne voulant pas lui nuire, je ne le citerai pas. La vocation de mon article est purement analytique, mais il serait trop facile pour certains lecteurs malavisés d’y voir une critique de sa personne et/ou de son contenu.
En vérité, si ce vidéaste fait ce genre de fautes, c’est parce que la qualité de ses vidéos lui tient très à cœur. Il reconnaît lui-même ne pas être dans son élément quand il touche au langage, ce qui signifie qu’il est insécure à ce sujet. Son hypercorrection vient des efforts qu’il doit produire pour surmonter les obstacles d’un monde de l’écriture où il n’est pas à l’aise. Cela doit être porté à son crédit au lieu de servir d’argument pour le dénoncer.
De mon point de vue, il fait plusieurs fautes d’orthographe orales qui sont particulièrement intéressantes.
« Il créé »
La plus courante, c’est sa prononciation des formes « je crée, tu crées, il crée ». Normalement, le son É dans ces mots est simple* : /kʁe/. Mais lui les prononce double : /kʁe.e/.
* Sauf dans certains dialectes du Nord de la France et de Belgique où il serait long mais pas double (la différence s’entend dans l’accentuation).
La faute est commune à l’écrit : les formes « je créé, tu créés, il créé » remplacent souvent les formes justes. Cela s’explique très probablement par la rareté des infinitifs en « -éer » (voir ci-dessous) dont les terminaisons de l’infinitif (« -éer ») et du participe passé (« -éé »), qui ont un É double, contaminent les conjugaisons.
« Georgie »
La Géorgie est un pays d’Europe dont le nom français vient du grec ancien Γεωργία (Geōrgíā) signifiant « agriculture ». Le mot est apparenté au prénom Georges, qui est quant à lui dérivé de Γεώργιος (Geṓrgios) qui veut dire « fermier ».
Au vu de cette ressemblance, on a très envie, comme le vidéaste, de retirer l’accent de la Géorgie, histoire d’aligner sa prononciation sur celle du prénom. Au lieu de dire /ʒe.ɔʁ.ʒi/, « jéorji », on dit alors /ʒɔʁ.ʒi/, « jorji », et l’on fait une faute d’orthographe orale.
3. Conclusion
Les fautes d’orthographe ne sont malheureusement pas confinées à l’écrit. Elles exercent une pression si forte sur les usagers qu’elles partent parfois à la conquête de nouveaux horizons, tel que l’oral.
Pour aller plus loin, je vous recommande cette vidéo que je n’aurai de cesse de partager car elle pousse très loin, et avec humour, les questions que j’effleure ici.
Les fautes d’orthographe orales sont rares. Pour qu’elles se produisent, il faut trouver un locuteur d’une langue avec une orthographe étymologique, que cette personne soit soucieuse de bien parler et mal à l’aise à l’écrit.
YouTube en facilite la propagation, mais pas autant qu’on pourrait penser. En effet, les vidéastes, plus amateurs en diction que les animateurs télé par exemple, participent davantage à la diffusion et à la banalisation* de fautes « normales » et attendues à l’oral, telles que les liaisons fantômes. Pour produire une faute d’orthographe orale, il faut que le locuteur ait la volonté de ne pas faire de « fautes normales ».
* Je rappelle que, linguistiquement, la « banalisation d’une faute » signifie simplement qu’elle devient une forme juste à mesure qu’elle pénètre l’usage. Comme « oignon » est devenu juste.
Ce sujet n’a jamais été couvert à ma connaissance (et à celle de Google), donc j’espère l’avoir fait proprement. Et vous, vous connaissez une autre faute d’orthographe orale ? Si oui, je l’ajouterai à l’article avec plaisir et reconnaissance !
Me rappelle un séminaire sur les systèmes d’écriture, même en finnois, c’est pas du 100% exact dans les faits^^ bon je t’accorde qu’on doit tourner autour de 99%.
Je me rappelle aussi quand j’ajoutais volontairement des «h» à «hypoténuse» dans mes copies car je trouvais simplement que ça faisait plus joli 😀
Mais la plupart des fautes d’orthographe orales, je trouve que ce sont surtout des liaisons. El famoso «cent zeuros»… C’est assez insupportable >< et comme par hasard, les pires dans ce domaine sont les journalistes et les politiques !
P.S: Il y a vraiment des gens qui disent /wa.ɲɔ̃/? O.o Ay bâbâ, comme on dit dans la langue de Ferdowsi !
Eh là, attention de ne pas virer glottophobe. ^^ Oui monsieur, je dis wagnon !
T’as un exemple d’orthographe non phonétique en finnois ?
Ne t’inquiète pas, ça va *donne l’ordre de ranger les bûchettes et de remballer le pilori*
Pour le finnois:
„There is, by and large, a one-to-one correspondence between phonemes and graphemes such that a given phoneme is represented by a given grapheme. There is only one fully systematic exception in the native vocabulary that pertains to all varieties of spoken Finnish that have /N/ as a phoneme: Because the Latin alphabet has no letter corresponding to the phoneme /N/, and because no new letter has been adopted for this purpose, /N/ is represented by (before (as in kenkä ‘shoe’), before (as in Englanti in which no /g/ is pronounced), after (as in kognitio inwhich the sequence /Nn/ is pronounced), and /NN/ is represented by (as inkengän ‘of shoe’ and in tango).“
Source: SUOMI Kari, TOIVANEN Juhani, YLITALO Riikka (2008), Finnish Sound Structure: Phonetics, Phonology, Phonotactics and Prosody, Oulu: Oulu University, p.141
Donc c’est tellement infime que ça ne dément guère ton propos
Je crois en avoir vu un autre en cours, également, mais la flemme de rechercher dans les cartons^^
Pinailleur. :þ
AH NON !!!
On ne DOIT pas écrire « ognon » !
On PEUT le faire sans que ce soit considéré comme une faute d’orthographe par certains.