Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Mesrine: L’Ennemi public N°1 (Jean-François Richet, 2008)
Gandhi (Richard Attenborough, 1982)
Monty Python : Sacré Graal ! (Terry Gilliam, Terry Jones, 1975)
La grande pagaille (Luigi Comencini, 1960)
Titanium (Dmitriy Grachev, 2014)
Ensemble, c’est tout (Claude Berri, 2007)
Image d’en-tête : Titanium ; films 82 à 87 de 2020
| Lundi : Mesrine: L’Ennemi public N°1 (Jean-François Richet, 2008) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Ce film étant le complément de L’Instinct de Mort & comme j’ai choisi d’en écrire deux avis séparés, j’escomptais mettre le doigt sur la différence qui aurait trahi la maturation de l’œuvre entretemps. Celle-là, je ne l’ai pas trouvée : la dilogie Mesrine est une brique de thriller & de violence qui ne connaît pas la moindre faiblesse d’écriture. Que le style plaise ou non, c’est un plaisir à visionner car, en plus de quatre heures, la création de Richet connaît d’innombrables décors, costumes & humeurs qui sont tous en parfaite harmonie avec le reste du bloc narratif.
Je n’ai donc pas eu de nouveau cette sensation de déferlement, par contre la compacité sélective du biopic m’a encore été difficile à percer. Mais surtout, j’ai trouvé une autre différence entre les deux films que celle prévue : ce deuxième opus couvre une période courte, plus adéquate pour une narration dense & où la mise en scène (je me cite sur L’Instinct de Mort parce que j’aime bien me relire : “lourde mais discrète qui sait s’adapter, tout en restant fidèle à elle-même, aussi bien au quotidien qu’à la violence”) s’épanouit plus que jamais pour fournir une prose visuelle rivetée avec un professionnalisme intense dans ce que Paris a de plus organique. Le pays tout entier est stratifié sous forme de pyramide, avec une plèbe qui sert d’audience au criminel, ses complices au-dessus & lui au sommet ; un tri un peu barbare mais qui soumet bellement le spectateur à l’audace & à l’effronterie de Mesrine.
Tiens, l’organique, voilà un trait qui aurait également pu convenir à la violence ; un tel traitement aurait pu faire oublier l’aspect divertissement & nous concentrer sur l’humain, ce qui n’aurait pas été du luxe puisque les scènes du film montrent rarement Mesrine en train de ramasser des fleurs. Mais Richet ne se cache pas d’avoir voulu faire du grand spectacle, & ses deux biopics, une fois mis ensemble, constituent une fresque policière impeccable & une tentative louable de reconstruire une vie au grand gangster.
| Mardi : Gandhi (Richard Attenborough, 1982) « Thématique : Daniel-Day Lewis (nouveau !) »* |
Faire un biopic aussi historique que son personnage, ce peut sembler une entreprise naïve, conception partagée à l’époque par des producteurs & une audience munis d’une bonne part de scepticisme & d’inquiétude : entre Dieu vivant, diplomate de génie & parangon d’une vertu trop pure pour ne pas être endommagée ou exagérée au cinéma, Gandhi aura fait bien des choses dans la mort malgré ce qu’en disait son entourage quand il essayait de le dissuader du jeûne.
Cela aura pris 20 ans à Attenborough pour se sortir de tels micmacs, parfois financiers, qui auront autant marqué l’histoire du cinéma que le film. Fresque en extraits choisis, le film prévient d’emblée qu’il va découper l’existence du grand homme, le scénario dut-il même le faire jaillir de nulle part. C’est une perte inévitable qui est difficilement critiquable eu égard à Ben Kingsley, l’acteur de Gandhi. Originaire de la même région que le Mahatma & lui ressemblant énormément physiquement, Kingsley était un choix presque bêtement évident qui ne risquait pas d’avant-courir à sa prestation incroyable de gentleman sage & patient. Ajouté à cela que son vieillissement est traité avec une grâce sans pareille & l’on a la recette pour un Oscar du meilleur acteur.
Le scénario aurait pu appuyer davantage sur la géographie (la vie de Gandhi en Afrique du Sud, par exemple, qui devrait sembler beaucoup plus épatante au spectateur occidental) et les fondements de la société indienne (les castes, par exemple aussi), bref : aurait pu contenir l’exotisme naturellement présent dans les faits, sans partir en vrille créative. Le choix d’un déroulé plus docile n’est pas tendre avec la frise chronologique politique qui avance, malgré les 3h10 du métrage, avec grande densité. Mais il est adéquat pour l’émergence de l’homme qu’on avait tant craint de méreprésenter : sa patience & son abnégation éclosent doucement jusqu’à nous faire éprouver sa fatigue & rendre sa mort insupportable. Gandhi a revécu.
La longue genèse du film aurait mérité d’être plus longue si cela n’avait pas fait craindre (à raison) pour son intégrité : ainsi mûrie, elle se tient au bord des années 1980, à un moment où le cinéma est devenu plus fertile à des biopics (presque) sérieux & durables. Ne bénéficiant pas entièrement de cette réforme, encore légèrement retenue par la tendance des années 70 à faire de l’affabulation discrète pour la gloire de la technique, l’œuvre nous offre tout de même un record du monde du nombre de figurants sur un plateau : 300 000, un nombre que les foules créées informatiquement rendent aujourd’hui indépassable.
Voilà de piètres ordres d’idée de la gestion pharaonique du tournage. La vérité d’une non-violence qui marche & d’une religion qui déborde délicatement sur une intrigue sans l’inonder, c’est un sentiment qu’on ne connaît qu’en revivant la vie de Gandhi comme on peut – & l’on peut voir ce film. Plusieurs fois. Tout comme l’histoire repose sur Gandhi, le film repose sur Kingsley, & tout énorme le film soit-il, le souvenir de son visionnage mûrira à l’idée du magnifique acteur jusqu’à effacer toutes ses faiblesses.
| Mercredi : Monty Python : Sacré Graal ! (Terry Gilliam, Terry Jones, 1975) « Thématique : Monty Python »* |
Le Saint-Graal des Monty Python : un film qu’on connaît sans l’avoir vu, car l’œuvre aux 527 blagues est aussi facilement citable que sortable de son contexte – quel contexte, d’ailleurs ? Cette comédie connaît en effet un succès ultradurable qu’elle doit à un retour AVANT les sources, car on ne parle pas seulement d’humour absurde mais d’humour du flagrant, de l’évidence.
Contrepieds constants au discours du quotidien, les gags vont au plus simple, & le spectateur découvre avec étonnement que personne d’autre que les Monty Python n’a cherché à faire rire avec un tel concept. C’est d’autant plus ironique que la troupe a souvent fait des choix évidents parce que c’étaient aussi des solutions de facilité : si tout le casting fait semblant de monter à cheval, par exemple, c’est parce que de vrais chevaux étaient trop coûteux.
C’est donc par totale sérendipité que cette apparente flamme créatrice dans la flemme créative a donné naissance à des normes comiques, & c’est là-dessus que les artistes ont appuyé : cet humour de l’évidence & de la répétition, le pince-sans-rire autodestructeur & les scènes trop longues, cette recherche du cocasse dans le plus que spontané, ce sont autant de valeurs qu’on retrouve chez des humoristes modernes sur la même plateforme qui compile extraits & parodies du Sacré Graal : YouTube.
Ce n’est pas un pire anachronisme que de mettre une voiture au Moyen Âge, & il y a en fait de nombreux signes que le film & le monstre moderne de la vidéo ont joué un rôle similaire en valorisant ceux qui n’ont pas forcément le plus de choses à dire (l’hésitation visible entre la narration continue & les sketchs, aux transitions incertaines, en est peut-être un signe). L’autodérision britannique appliquée au film fait de lui son propre ennemi, dans la même jubilation autodestructrice dont on est aujourd’hui friand car elle nous légitime à rire sainement du malsain ou du bête – & c’est toujours agréable de varier les sources de plaisir.
Sacré Graal est un jeu de “rira bien qui rira le dernier” grandeur nature : on sait qu’il nous fera rire, mais on ne sait pas quand (ce peut être soudain) ni de quelle façon – rire jaune, pouffement désapprobateur, soufflement de nez retenu, éclat honnête avouant qu’on s’est fait prendre… on croirait que le film est conçu comme une étude des types de rire, auquel le spectateur participe sans y avoir consenti, au point qu’il rit parfois de lui-même comme si on venait de lui perfuser l’autodérision à travers l’écran. Brr.
Alors on met l’œuvre au défi. Un combat commence entre elle & son spectateur où tous les coups seront permis : le spectateur aura le droit de se moquer & le film de balancer des vaches par-dessus les remparts. Yep. Sacré Graal est un bac à sable jouissif qui devrait être un modèle pour les générations d’humoristes à venir : on peut toujours revenir plus loin en arrière, & la manipulation du spectateur ne connaît pas de limites.
| Jeudi : La grande pagaille (Luigi Comencini, 1960) « Thématique : langue italienne »* |
La grande pagaille, ce sont les conséquences de l’armistice de Cassibile, en 1943. Un épisode étrange (si l’on peut ainsi épithéter une guerre), honte
ux en Italie & méconnu en-dehors, durant lequel le pays a quitté les Forces de l’Axe & connu deux occupants : les États-Unis & l’Allemagne. Déchiré politiquement, la patrie n’a plus connu de guerre que des combats volontaires confinant à la guerre civile, & que le réalisateur ramène à l’invividu : les fascistes étaient-ils bornés ou persévérants ? Les autres étaient-ils lâches ou raisonnables ?
Comencini s’intéresse à ce qui fait des humains de tous ces soldats en proie au dilemme, dépeignant des militaires désemparés qui traversent leur propre pays sans plus avoir l’impression d’être à leur place nulle part, ni d’avoir encore le moindre ami. Belle pagaille en effet, mais belle vadrouille aussi. Le tournage en constant mouvement étire le temps pour y étaler le drame d’une guerre qui a perdu la tête, traitée sans la dérision de notre grande vadrouille : l’humour doit y être rare, presque arrogant (Sordi a évincé tout autre comique du casting) & imposer la légèreté avec force, car rire en temps de guerre ne doit pas être autre chose qu’un répit.
Alors oui, l’humain émerge : un humain dur derrière des dialogues bavards & l’extravagance à l’italienne, presque contraint à une nature empathique où les frontières fondent d’elles-mêmes sans que la politique n’y soit pour rien : le bilinguisme devient roi, aussi bien avec les quelques mots de charabia anglo-italien qui unissent deux soldats découvrant que, dans la pagaille, ils ne sont pas ennemis, qu’avec le latin du prêtre disant la messe pendant qu’il cache ses compatriotes – lui, il voit l’humain tout court, & pas de camps.
À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles : le monologue avec le regard braqué sur la caméra est même autorisé comme si l’œuvre invitait par la transgression de l’art celle qui permet l’indulgence dans les temps difficiles. Pour le spectateur qui n’avait rien demandé & spectatait juste avec respect & curiosité, c’est un vrai frisson. Beaucoup plus mémorable sous son titre français, Tutti a casa est la plus belle pagaille qu’on pouvait imaginer au cinéma, & à juste titre considéré comme une des plus grandes réussites de Comencini – en même temps qu’un immense film de guerre historique.
| Vendredi : Titanium (Dmitriy Grachev, 2014) « Thématique : langue russe »* |
C’est rigolo quand les Russes prennent les blockbusters américains au pied de la lettre cyrillique : ça permet des chroniques faciles avec toute liberté de démonter le fiasco artistique. Car rarement Mosfilm aura autant dénudé la moelle de la grosse SF : canons laser, mystérieuses zones magnétiques, dystopie politique, planète perdue, créatures qui font splortch, le compte est bon. On entre dans le film avec quelques détails futuristiques, balancé dans l’intrigue comme un sac de pirojkis, & on en ressort avec une fin bâclée & ridicule qui évente même un semblant de fibre dramatico-romantique.
Véritable vitrine d’effets spéciaux, le film Titanium ne trouve même pas sur sa Terre natale ce qui le rend le plus intéressant, c’est-à-dire les paysages & la musique islandaise. Mais ce n’est pas une bande son de Sigur Rós qui me séduira aussi facilement. Bon, OK, si, par contre ça ne rendra pas les fausses pistes moins flagrantes ni n’étoffera les quelques interactions minables auxquelles sont limités les dix personnages. Incapable de mettre le moindre lien géographique entre les scènes, Grachev ne sait même pas mêler studio & décors extérieurs ensemble – preuve d’une rare incompétence –, laissant l’un & l’autre flotter inélégamment l’un à côté de l’autre.
On aurait pu compter sur un peu de lore du côté des créatures, un côté plus onirique que de simplement leur donner de jolies épithètes. C’était trop demander. Alors au moins de la violence ! Non, toujours pas ? Euh, un doublage moins ridicule pour Vinnie Jones ? Ah, vous préférez mettre 15 000 slow motions qui ne servent à rien ? D’accord, ça fait un moment que j’ai rage quit de toute façon.
| Dimanche : Ensemble, c’est tout (Claude Berri, 2007) « Hors-thématique »* |
C’est tout : rien d’autre que l’envie d’être ensemble, par amitié & plus si affinités, & vivre en conséquence. Pour un de ses derniers films, Berri s’excusait presque de ne pas essayer d’être à la hauteur de ses gloires passées, & d’aucuns lui reprocheront par ailleurs de ne pas s’éterniser dans les sentiments forts. Mais on peut prendre le problème à l’envers & l’admirer pour la facilité avec laquelle il fait vivre des gens sans la dichotomie du bonheur alors qu’ils sont littéralement écrasés par le quotidien & subsistent avec des émotions abordées presque craintivement. L’essence de la vie communautaire est happée par son filet à grosses mailles dans un inattendu sans sophistication.
En cinq décennies, Berri nous aura délivré son amour du cinéma sous toutes ses formes, & c’est d’une grâce sans pareille que de finir avec un film qu’on peut aisément considérer petit. Facile serait plus juste, car le réalisateur nous a peu habitué au cinéma de quartier, étant plus familier du spatial que du situationnel & n’ayant jamais réussi à convaincre tout le monde avec sa période parisienne – alors non, il ne se mouille pas et il en paye le prix avec le personnage de Laurent Stocker, Philibert Marquet de la Tubelière, noble sorti de nulle part dont c’est tout juste si les anachronismes et la vocation semi-avouée d’intermède comique constant ne le font pas tomber en panne.
Mais grâce & nostalgie se retrouveront dans le personnage parfait de Françoise Bertin, qui concentre tout le contraste d’avec Guillaume Canet, chez qui l’on recultive un peu du côté jeune star dans une personnalité décidément très très plastique mais tout de même calculée.
Et puis, c’est tout. 1h37 de sérénité de vivre (faute de joie ou de détresse) qui dote les écarts & les problèmes d’un discret halo d’empathie où l’on retrouve le tout-Berri. Un visionnage rassérénant & rassurant.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Ah, la non-violence de Gandhi (dans la sphère publique comme privée) est justement un des plus gros mythes entourant le personnage, du coup si c’est ça qui se dégage du biopic… Je vais éviter^^
«Sacré Graal» y’a un bail que je l’ai pas revu, honnêtement, je ne sais pas si ça me ferait toujours rire. L’humour Monthy Python, ça me fait un peu comme les références qu’on peut avoir au collège et au lycée et qu’on ressort entre amis: c’est culte, tout le monde connaît, ça a formé la base de notre jeune humour, mais bon depuis on a évolué, les délires de l’époque, malgré leur douce senteur de naphtaline (de Blanco, plutôt), ont quelque chose de vu et revu.
Je parle de « vérité de la non-violence » mais je devrais plutôt parler de « persuasion », c’est vrai.
Les Monty, ça restera un pilier de l’humour et je pense qu’on peut toujours les voir comme tels. ^^
[…] disais du film Gandhi, premier rôle officiel au grand écran de Daniel Day-Lewis, que le film bénéficiait du début de […]