Dans les cinébdos, je compile mes critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Seven Sisters (Tommy Wirkola, 2017)
Una ragazza piuttosto complicata (Damiano Damiani, 1969)
Moi et Kaminski (Wolfgang Becker, 2015)
Les Chevaux de Dieu (Nabil Ayouch, 2012)
37°2 le matin (Jean-Jacques Beineix, 1986)
Image d’en-tête : Seven Sisters ; films 238 à 242 de 2019
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Mardi : Seven Sisters (Tommy Wirkola, 2017) « Hors-thématique »* |
What happened to Monday?, voilà la question que je me pose en regardant Seven Sisters un mardi. Pas de franche nouveauté car le film se place en juste milieu entre Minority Report & Les fils de l’Homme, régénérant presque le genre de la dystopie portée par une méchante dirigeante prétendument humaniste (coucou Divergente et Le Labyrinthe) avant que la police vienne tumultuer partout.
On parle plutôt ici des filles de l’homme, Willem Dafoe, figure paternaliste idéale dominant l’enfance des sept sœurs jumelles (incarnées par Clara Read enfants) qui aurait valu un plus long détour, car elle aurait contextualisé les émotions & maquillé la grande mollesse du scénario quant à gérer des états de choc presque absents des déchirures familiales & une émotion dont la rareté n’est pas excusée par l’action permanente.
Le casting de Noomi Rapace dans les sept rôles adultes est parfait. Il est dépassé de parler de prouesse technique, par contre l’immersion de la fratrie dans un monde régi par la politique de l’enfant unique vaut le coup d’être notée, & le casting était d’autant plus important que Rapace ne joue pas sept personnages… mais sept actrices. C’est vraiment tout ce qui compte à la racine de Seven Sisters : les sœurs elles-mêmes, la façon dont elles apparaissent sans rendre l’impression de vide qui a dû hanter le tournage. Sept personnes à partir d’une seule ? Ça aurait dû laisser des traces, pourtant on n’en voit rien. Trop d’efforts ont été fait dans ce sens, d’ailleurs, car les personnalités sont exacerbées, surplus de clarté offert avec nonchalance au spectateur qui serait perdu – croit-on – si les jumelles se ressemblaient trop.
J’ai attendu que passe un jour pour arrêter mon avis, car l’œuvre de Wirkola est à la limite entre une belle innovation & une redite qui gâche sa créativité dans des scènes policières lui faisant perdre à la fois son intimisme & sa portée sociétale. Le film est de ces spécimens de divertissement qui tentent d’ébranler notre société réelle avec de la fiction : il est une vraie critique de la surpopulation & ne se contente pas de balancer des effets spéciaux (français, d’ailleurs) pour nous distraire avec un futurisme à moitié hérité d’une volonté de renouveller notre vision de l’avenir informatique (pas mal, ces hologrammes dans la paume). Mais c’est une vocation totalement éventée.
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Jeudi : Una ragazza piuttosto complicata (Damiano Damiani, 1969) « Thématique : langue italienne »* |
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Le titre, ”une fille plutôt compliquée”, sera la seule connexion établie par Damiani avec son audience, un aveu que le cinéma psychologique italien est plus que jamais détaché de tout malgré l’apparente recherche de l’hédonisme.
Licencieux seulement dans les mots – qui sont souvent à demi –, & cherchant la moitié du temps à être plus palpable & plus sain que les jeux cruels dont s’amusent les personnages, le réalisateur peint son film directement sur l’objectif de la caméra – pour ceux qui n’auraient pas saisi la machiavélique exploration des sens qu’il constitue, c’est une scène qui n’est pas que métaphorique.
Il y a quelque chose de grisant à voir les protagonistes découvrir les raisons singulières aux choses, quand leur raison au singulier semble avoir disparu. Toujours dans la suggestion de la suggestion, ajoutant une couche d’ ”artistique” au nu artistique, Damiani semble faire du semi-giallo touchant à une psychose à la fois dérangeante & accessible, un décalage qui donne la réplique au doublage affreux se superposant au jeu d’acteurs un peu figé mais énigmatique & parfois libéré.
Pour une raison obscure, le titre brésilien du film est ”Momentos Eróticos” : un premier degré presque faux & très réducteur pour un film qui surnage dans le cinéma, entre deux genres saumâtres mais pas assommants.
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Vendredi : Moi et Kaminski (Wolfgang Becker, 2015) « Thématique : langue allemande »* |
Il n’est plus l’heure pour Becker de songer au passé : Goodbye Lenin est bien loin. Il laisse le soin des temps jadis à Jesper Christensen, un habitué de Bond très vieilli qui sortira de son grand sac des souvenirs autrement plus pops que 007.
Kaminski n’est pas réel mais il pourrait : contemporain de Warhol doté du caractère de ces personnes devenues personnages dans la vraie vie avant d’être intégrées dans un film, le vieux peintre est montré par Becker en toute connaissance des tenants & aboutissants picturesques. Un fond de toile pour base, puis on laisse l’imagination se défouler. Entre deux conseils de sage, Kaminski délivre sa science à un Daniel qui Brühl les étapes, commettant un enlèvement avec aussi peu d’entrain mais autant d’effronterie que Brad embarquait Dustin.
Les deux protagonistes commencent leur chemin dans les montagnes suisses, mais le peintre aveugle grisonnant des Grisons aura de quoi pratiquer son bilinguisme : il rend visite à Geraldine Chaplin qui regarde le Miljoenenspel en Belgique, avant quoi il voit du pays – enfin, façon de parler. Entretemps, le spectateur rencontre des personnages tous plus complets les uns que les autres, bercés par un rythme doucement fou & une patte artistique saisissante qui griffe l’image de tous les talents possibles.
Becker n’avait pas besoin de la référence à Bob Ross pour glisser dans le scénario des happy little accidents ! Il se passe en tout cas toujours quelque chose, jusqu’à ce que le visionnage devienne une anesthésie contre lui-même, une somnolence pas du tout littérale & sans un instant d’ennui dont on s’éveille à chaque nouveau tableau avec l’impression de se faire avoir, de sorte qu’un auto-clin d’œil (le costume de poussin déjà croisé dans La vie est un chantier) a sa place toute trouvée, nonchalante & onirique, pièce manquante d’une composition sans contraintes.
Dans ce flou artistique concret & mouvant, les personnages cessent soudain de n’être que des coups de pinceaux, & on se met à les percevoir, juste à temps, dans toute leur complexité. Je suis sensible à l’empathie en art, & Becker, dont j’avais surtout admiré jusque là le talent de reconstruction & la qualité de son relationnel, m’étonne à la glisser indirectement, par la négation d’une brusquerie initiale qui surprend sans choquer, fait rire sans moquerie & attendrit sans gnangnan.
Goodbye Lenin était peut-être meilleur, mais il était ancré dans son contexte : Moi et Kaminski est ancré de partout (pas même sorti en salles en France) mais il est libre en même temps, & de cette légèreté où le vieil âge est protégé sans faste par le respect poétique d’une jeunesse insouciante, l’œuvre donne racine à des nuages. Si Becker doit réaliser au compte-gouttes pour être si génial, qu’il nous fasse attendre encore dix ans !
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Samedi : Les Chevaux de Dieu (Nabil Ayouch, 2012) « Thématique : langues du monde »* |
Douze ans après Ali Zaoua, Ayouch reprend la direction de jeunes acteurs. Il est toujours question de bidonville et de tours jumelles, même si elles sont tombées entretemps et qu’il en esquisse la chute ici, mais il y a ”presque” une bonne raison à ça : si Ali Zaoua se faisait le présage d’une violence future (ce qui n’a pas raté avec deux des trois jeunes acteurs devenus délinquants), Les Chevaux de Dieu sont une rétrospective, la proposition d’un passé fictif pour quelques terroristes s’étant faits sauter à Casablanca en 2003.
Pour donner du contexte, Ayouch a donc évidemment dû trouver des enfants et n’a pas eu le choix que de consacrer un chapitre au 11 septembre, pour une fois que la matriarche de la maisonnée regardait autre chose que des feuilletons à la télévision dotée de sa parabole toute neuve. Mais le symbolisme déborde : Ayouch a beau nous montrer de forts beaux parallèles entre l’enfance et l’âge adulte et illustrer les cercles vicieux par des plans dronés faciles mais bien vus, ses gamins sont grotesques. Pas caricaturaux, car ils sont trop vrais au contraire, mais on ne les voit que fumer, boire et jurer, sans la tendresse que cachaient par exemple les décombres d’Ali Zaoua.
La jeunesse n’a donc pas la part belle, ni la plus grande, dans ce Des Hommes et des Dieux qui ne sait pas cerner la radicalisation autrement que par la rupture, comme si on n’avait pas su comprendre comment l’Homme pouvait se laisser manipuler. L’ambiance est profonde, heureusement, et garantit qu’on ne s’ennuie pas : le monde qu’Ayouch a élu pour domicile est on ne peut mieux traduit par des interprétations quasiment familiales, mais le propos est mal garanti.
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Dimanche : 37°2 le matin (Jean-Jacques Beineix, 1986) « Hors-thématique »* |
Un grand film, ce n’est pas forcément un film long ni étonnant. Quoique la longueur joue un rôle dans l’étendue du Betty Blue, ce n’est pas ce qui le rend grand, pas plus que son tournage sudiste ne le rend spontanément chaleureux.
On entre très vite dans l’intimité du couple formé par Jean-Hugues Anglade et Béatrice Dalle (et c’est un euphémisme), comme s’ils n’étaient pas importants. On les connaît mieux qu’ils ne se connaissent initialement, et l’on part de rien pour aller apparemment nulle part, dans un style qui rappelle fortement Blier. Mais la désinvolture s’effrite vite quand on s’aperçoit que la plage où ils avaient élus un domicile presque paradisiaque a pris une telle place dans notre esprit qu’on s’attendait à y passer tout le film. Alors que pas du tout.
Leur histoire signifiera bien plus que la molle satisfaction de les voir repeindre des bungalows au rouleau ou les rires provoqués par l’espèce de Maesmaker en DS qui leur sert de propriétaire. Les personnages peuvent passer pour trop campés dans leur style, toutefois on leur fait jouer une vie entière, et c’est un hasard si on n’en voit que des bouts. On découvrira leur relation par les caprices du montage, bien sûr, pourtant le fait de considérer qu’ils se découvrent devant nous démontre notre familiarité déjà enclenchée – non pour le décor, comme on peut d’abord le croire, mais bien pour eux.
Le scénario est un peu trop basé sur le conflit – ils vont bien ensemble, pourtant ce sont des piques qui font invariablement bouger l’histoire, de sorte qu’on se demandera s’ils ne sont pas accordés sur le diapason un peu simple cinématographiquement de la complémentarité, surtout quand ils font le plein d’énergie par l’injection de compassion & de poésie forcée par la voix off.
Entre une progression idéalisée d’une vie à deux quand même soumise à ses drames et les décors qui passent d’un extrême à un autre sans jamais monopoliser la scène, Betty Blue crée une Nikita romantique qui n’a sûrement de valeur que dans le director’s cut de 178 minutes. Elle et lui ne cesseront de surprendre sans jamais appuyer sur les leviers de la narration. Narration ? C’est presque déplacé : une vie ne se narre pas, elle se vit ou elle se perd. Et Beineix ne nous en laisse rien perdre.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Jamais trouvé ce Beneix à bonne température. Mais je note la louangeuse et délicieuse critique. 😉
Beineix*. Wesh.
Oui, ou Bay next si tu veux.