Dans les cinébdos, je compile mes critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Gold (Thomas Arslan, 2013)
Ali Zaoua, prince de la rue (Nabil Ayouch, 2001)
Philadelphia (Jonathan Demme, 1993)
Image d’en-tête : Gold ; films 212 à 217 de 2019
Pour mardi, mercredi & jeudi, voyez mes critiques détaillées sur la série Le Labyrinthe.
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Vendredi : Gold (Thomas Arslan, 2013) « Thématique : langue allemande »* |
Pas facile à trouver sous un titre aussi simple ! Pourtant, Gold suit la trace de marginaux, des Allemands expatriés, désabusés de la vie américaine de la fin du XIXème siècle & qui se regroupent pour participer germanophonement à leur propre petite épopée klondikienne.
On se rendra compte à force qu’Arslan, à une lettre de s’appeler lion en turc, aime laisser rugir la nature de ses films & ne pas donner beaucoup à dire aux humains. Cela laisse une grande place à la prestation & donne un poids appréciable au silence. Par contre, c’est aussi un zoom sur une histoire sans hauts ni bas qui nous rend par trop conscient que les trappeurs germaniques improvisés ne font que S’ARRÊTER. Et puis remonter à cheval. Et s’arrêter.
Il est tout à fait possible de rendre cela supportable, & si je ne suis pas détenteur du secret pour ce faire, je peux toutefois garantir qu’il ne consiste pas à concentrer la caméra sur les acteurs ni à tapisser le film d’une musique ultra-répétitive & hyper-récurrente qui met la grosse tête la cinquième fois qu’elle démarre.
L’œuvre aurait pu être naturaliste si on avait le sentiment que les gens se noyaient vraiment dans la vastitude canadienne, plutôt que de péter leur câble presque calmement & de disparaître les uns après les autres. L’histoire se passe sur des centaines de kilomètres mais on a le sentiment que le tournage s’est concentré sur un minimum de surface.
Trop de fondus au noir sont l’aveu que le film n’est pas juste doux & reposant, mais bel & bien ennuyeux : ennuyé de lui-même, ennuyé par ses figurants robotiques & son scénario déterministe. Variation tentée sans grande ambition sur l’époque de la ruée vers l’or, Gold finit par être ce qu’il mérite : une belle tentative & une belle platitude.
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Samedi : Ali Zaoua, prince de la rue (Nabil Ayouch, 2001) « Thématique : langues du monde »* |
Les princes de la rue, ces jeunes arabes dont l’imaginaire prend beaucoup de place jusqu’à ce que, grands, ils perdent leurs rêves et ne sachent plus en tirer que les démons. Oui mais quoi d’autre ?
Les seuls ”grands” de la rue, ou plutôt du port, c’est un vieux marin et un jeune chef de bande, méchants ni l’un ni l’autre, restés enfants en ce qu’ils réagissent aux choses à la hauteur de l’instant. Que ce soit une insulte, une attention ou même un meurtre, tout est passé dans le prisme de l’enfance, ce qui n’est pas facile dans des mains adultes voulant rendre quelque justice.
Tout se vit au jour le jour, voire à la minute la minute, et l’on entre dans les rues de Casablanca en même temps que dans un univers empli de jeunesse et de poésie. Chefs de file et maestri de ce petit orchestre, trois enfants bien sûr, d’illustres inconnus du septième art, piochés dans la même rue où ils crèchent et qui marquent tout une œuvre de leur grandeur d’âme, absorbant la caméra comme si elle faisait déjà partie de leur imagination.
Dominés par des tours jumelles moins hautes et symétriques que celles qui tomberont entre les sorties australienne et suédoise du film, ce sont des parias du monde adulte auquel ils sont seulement reliés par la colle qui leur vaut leur réputation de drogués. Mais ils s’en fichent, et rien là-dedans n’est dénonciateur, noir ni cynique. Une mauvaise langue y verrait un encouragement à la misère, mais ces gamins fondent leur propre bonheur et ça fait le nôtre de les voir s’amuser.
Les impondérables du monde se dissolvent dans l’histoire d’Ali Zaoua, avec pour seule nostalgie la publicité récurrente et francophone qui fait songer à un autre monde, mais pas celui des grands : celui des autres. Ce qui leur importe, c’est leurs idées, et ils auront beau se moquer de celles des autres – dépeignant une mésentente qui sonne plus raccord à nos oreilles occidentales –, ils se respecteront ailleurs.
L’émerveillement est à la fois la source et l’océan du film, dans lequels se cache une île aux deux soleils, havre évanescent pour les jeunes esprits bousculés par une réalité aux traits naïfs, presque négationnistes, mais empaquetée dans un envol de la simple beauté qui colmate toutes les brèches menaçant qu’on dût écoper la moindre déception.
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Dimanche : Philadelphia (Jonathan Demme, 1993) « Hors-thématique »* |
Hop, un trou de moins dans ma connaissance de la filmographie de Tom Hanks, un pas de plus dans mon admiration pour lui. Lui et son ami Bruce Springsteen gagneront chacun un Oscar pour ce film, ce dernier pour la chanson Streets of Philadelphia qui a publicisé le film et contribué à abaisser les préjugés sur le SIDA à une époque de peur où l’amalgame entre homosexualité et maladie était si vite fait – d’ailleurs, il a fallu batailler pour que Ron Vawter soit casté : il était refoulé pour sa séropositivité, ce qui est ironique pour un film qui traite justement de la discrimination contre les personnes atteintes du SIDA.
Cela fait du bien de voir, par le biais de l’altruisme filmique, qu’il y a toujours eu des gens éclairés, mais cela rend l’œuvre très compliquée à aborder. Avec le recul, il y a un énorme handicap positif à lui accorder pour la délicatesse avec laquelle elle apporte son impact, et j’ai l’impression de n’être personne pour m’interposer entre elle et le spectateur.
Heureusement, à part une scène de tribunal montée bizarrement après le climax, effet peut-être du tournage en séquence, je n’ai rien à reprocher au film. Il se situe dans l’immense continuum des films juridiques américains, bénéficiant même d’une vraie cour de justice, et on aura tôt fait d’être happé par les plaidoiries découpées au cœur de dialogues brillants et les interprétations incroyables de ces personnages devant jongler entre leurs sentiments, la loi et le contexte.
C’était un sujet d’actualité où Denzel Washington est particulièrement marquant pour son rôle d’avocat faux-jeton. Pourtant, il est le gentil, me direz-vous : le défenseur de la bonne cause, et celui qui tire le pompon de la justice rendue. Oui, mais il ne faut pas oublier que c’est aussi lui qui dit, en toutes lettres, que les gays le dégoûtent, au point d’en devenir agressif. C’est dit comme pour être oublié, mais le vertueux cinéma transatlantique en prend un coup en admettant de cette façon qu’un de ses spécimens si qualitatif est taché de l’encre de l’hypocrisie avocate. De quoi donner une profondeur rare à l’histoire qui n’en manquait déjà pas.
”On se reverra en appel”, glisse Mary Steenburgen. Ben tiens. À cause d’un appel, le cas réel dont l’histoire est tirée n’a même pas abouti en dommages et intérêts. Il est admirable, en un sens, d’avoir su créer un divertissement si pur avec de réelles pensées anti-clichés derrière, sans endommager la forme. Philadelphia, ce n’est pas juste un épatant nom de ville que viennent sous-titrer de grands artistes pour l’assurance d’une réussite septième-artistique. Ce n’est pas la foule qui salue la caméra comme un prologue de comédie musicale à l’arrière-plan duquel le batteur de Springsteen s’inflige la torture de drummer la chanson-thème (je l’adore, mais alors quelle barbe, la batterie). C’est un échange ressourçant de champs-contrechamps qui parlent, sans donner leur impression habituelle d’interrompre. Et c’est une œuvre d’art qui mérite une aussi grande place dans sa décennie que Philadelphie dans son pays.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
Gold est une pépite. Philadelphia m’en rappelle plus. Et le troisième jamais entendu parler.
Je pense qu’il fallait avoir un sacré courage à l’époque pour que Hanks et Washington accepte de jouer dans un tel film. Il y a des précurseurs comme ça qui vont jusqu’à influer sur la société 😉
Bof, «précurseurs»… Dans les années 70 déjà y avait «Un Dimanche comme les autres» (triangle amoureux incluant deux mecs), «A Very Natural Thing» ou encore «La Mort à Venise», très bonne adaptation de la célèbre nouvelle de Thomas Mann décrivant l’amour interdit (et léthal) entre un artiste grisonnant et un jeune adolescent. Le genre d’adaptation qui passerait même moins maintenant qu’à l’époque, vu que la libération sexuelle des années 69-70, surtout chez les artistes, n’avait pas encore le tabou de la sexualité des mineurs, qui était assimilée à de l’homosexualité/hétérosexualité classique. Depuis, fort heureusement, on a mis quelques limites
C’est vrai qu’à écouter les médias, on a l’impression qu’on a inventé l’eau chaude depuis une dizaine/vingtaine d’années, et qu’avant on vivait dans une société sclérosée où on ne parlait de rien (mais de quoi parlait le ciéma alors ?), bref on a l’impression qu’on était limite en Arabie Saoudite, seulement, une petite rétrospective historique suffit à voir qu’on a parlé très tôt de sujets bien tabous, et pas forcément sur un ton accusateur ou méprisant. 😉
Le propos c’est surtout l’impact qu’a eu Philadelphia. Ce n’est pas le premier, mais c’est le premier qui a débloqué tellement de choses. Et yep, ça participe malheureusement à l’idée selon laquelle on a tout inventé récemment dans notre société. Foutus tabous.
C’est clair ! Banderas & Hanks sont super mignons ensemble en plus.