(Les cinébdos sont des compilations de mes critiques sur les films vus dans la semaine.)
Sommaire
Les Acteurs (Bertrand Blier, 2000)
Money Monster (Jodie Foster, 2016)
Saturno Contro (Ferzan Özpetek, 2007)
In The Fade (Fatih Akın, 2017)
Kyss Mig : une histoire suédoise (Alexandra-Therese Keining, 2011)
Image d’en-tête : In The Fade ; films 164 à 169 de 2019
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Lundi : Les Acteurs (Bertrand Blier, 2000) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Dans la lignée de Merci la vie (1991) où il figurait déjà la lassitude brute et directe vis-à-vis du conventionnel, Blier retente le raisonnement par l’absurde. Le tournant de 2000, c’était l’enterrement de tout un siècle d’art, et le moment pour les vétérans de se retourner sur le passé. Son père a commencé au cinéma en 1937 et il était mieux placé que bien d’autres pour planifier cette rétrospective.
Les Acteurs, c’est un patatoïde. Je le disais déjà de Merci la vie, mais celui-là glissait du grotesque au coup de gueule en cadence. Ici, Blier ne semble pas savoir où aller. Pourtant, je retrouve énormément de ma propre manière d’écrire dans cette expérience en écriture automatique qui fait surnager Marielle, Dussolier et Villeret sur des phrases à la lisière entre le discours poétique et le n’importe quoi. Et pour cette expérimentation, le réalisateur a doublement mon respect.
Mais bizarrement, je me retrouve aussi dans ce qui fait rater la suite. Il a comme hésité ; il a foncé sur vingt minutes, produisant une comédie décalée délicieuse qui prend tout à contresens, puis a voulu se renouveller sans trahir son inspiration initiale. Il a tenu à conserver le pot d’eau chaude de Marielle, formant une ligne scénaristique et une punchline mémorables. Mais ce pot d’eau chaude est devenu le phare de tout ce qui n’arrive pas à suivre sur le même ton.
Aussi admirable l’intégration du cinéma dans le complot soit-elle (entre les claps dont les personnages s’étonnent, les acteurs qui se révoltent, Dussolier qui n’a pas de texte, Galabru silencieux qu’on assassine ou Depardieu dont on se moque abondamment qu’il se viande, bourré, à moto), on perd la ligne de partage des eaux. À peine a-t-on le temps de s’introduire dans une scène que la coupure intervient, la bien trop cinématographique coupure.
Ce qui partait pour être un Je hais les acteurs (Krawczik, 1986) jusqu’au-boutiste se trouve être un deuil. Un deuil charmant, au demeurant ; Claude Brasseur et Blier qui téléphonent un adieu à leurs pères, c’est beau en plus d’être cinématographique et totalement raccord avec le principe avoué de l’œuvre. C’est juste le glissement fondamental de l’expérimental au nostalgique qui ne se fait pas, et reste bien longtemps ambigu. Tu sais, Villeret, peut-être aurait-on mieux tenu une heure et demi avec un pot d’eau chaude.
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Mardi : Money Monster (Jodie Foster, 2016) « Thématique : Julia Roberts »* |
Jodie Foster n’est pas une actrice que j’ai beaucoup croisée, encore moins une réalisatrice. Il n’y aura donc pas de référence brillante aux antécédents de ma part, juste une appréciation absolue de son adresse en matière de mouvements de caméra. Parce qu’il y en avait quand même pas mal : il faut bien quand on filme une émission télévisée.
Celle-ci est bien active, peut-être un peu trop concentrée autour de la régie et d’un caméraman, comme si l’équipe d’un tournage pouvait être fragmentée et qu’on pouvait redisposer ses éléments ailleurs. Il n’y a pas de lien très fort entre la personnalité des acteurs et le tout qu’ils sont censés former. Par contre, les écrans les cimentent parfaitement ensemble : Foster a bien compris comment matérialiser les liens formés par l’image, quoiqu’elle aurait pu se permettre de pousser l’illustration plus loin. Un moniteur en appelle un autre, et en une seconde, on a franchi des distances politiques incommensurables. Voilà qui est parfait pour donner l’avant-goût de l’Internet sans soûler avec.
Celui qui aime ce genre de liens ne restera pas sur sa faim, car ils continueront de relier le plateau de télé à ses tenants pour embellir l’émulsion du show. Clooney se retrouve comme Hoffman dans Mad City (Costa-Gavras, 1997), star otagée par un fou dont la lumière s’allume par intermittence au dernier étage – ce qui le rend attachant.
Clooney est analyste boursier et se fait agresser en direct par un petit gars lésé. Dans ce chaos où l’erreur naît de ce que des gens ultra-compétents ont trop confiance en eux, il y a une belle ambiance de divertissement lourd, épais et doré qui sourdre des câbles, comme un lingot d’or fondu qui en dégoulinerait. C’est malheureusement un apex qui n’est pas maintenu.
Le mouvement émotionnel était fort quand on sortait de la crise de panique de Clooney pour entrer cahin-caha dans l’instabilité trépidante des négociations ; là, les liens aidaient encore, consolidant l’effet machinerie. Mais la première bourde a consisté à faire de Clooney le dindon de la farce télévisuelle. Cela aurait marché dans des circonstances un peu différentes, et ce n’est même pas irréaliste, mais ça ne colle pas avec son assurance vite retrouvée en face de la gâchette d’un fou et sa persistance à n’en faire qu’à sa tête.
C’est une dérive qui s’amorce quand les caméras sortent du bâtiment pour une marche lente vers la revendication légale. On s’attend à déboucher sur une explosion para-judiciaire à la Braqueurs amateurs (Dean Parisot, 2005) qui confondrait le méchant détourneur comme l’a été Alec Baldwin.
La conclusion du film n’est pas amoindrie seulement parce qu’elle est différente ; elle fonctionne d’ailleurs bien. Mais on était en droit de produire des expectatives à partir du fond classieux et clinquant, et aucune ne rencontre vraiment ces attentes.
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Jeudi : Saturno Contro (Ferzan Özpetek, 2007) « Thématique : langue italienne »* |
Il y a des manières de s’imposer. Par exemple, cette critique s’impose mal : elle démarre fort et de mauvaise humeur. C’est un peu la même chose dans Saturno Contro où Özpetek balance des interactions sans contexte qui vont amener les personnages à vite se rentrer les uns dans les autres. S’il visait l’agitation thermique avec ces collisions, il jette plutôt un froid, car on a vite soupé des intrigues sentimentales, des cachotteries et des mesquineries.
Il est des liens entre les personnages qui donnent l’impression de devoir être évidents pour tout le monde, mais beaucoup sont en fait très peu clairs. Ils sont entretenus avec un soin collant et un œil télévisuel de la même manière qui servira au prochain non-dit, au mensonge suivant.
[Spoilers] Tout cela, c’est le décor qui donne matière à un décès, mais il n’y a pas de force dans les personnages, sauf quand ils sont entretenus par Pierfrancesco Favino et Serra Yılmaz. Même Milena Vukotic ne se trouve pas dans son infusion médicale cynique d’une bienveillance qui a ses limites. Tout se décoince avec Luigi Diberti, père endeuillé qui débarque dans la vie de feu son fils, même si on ne prend pas plus la peine d’expliquer sa raison d’être. Il essaye de comprendre, et cette extraspection discrète exsude une ambiance un peu grise mais déjà bien plus charmante.
Le cercle des amis, qui se constituait par exemple d’une droguée instable et d’un mari accomodant, se développe sur le tard et révèle de vraies sensibilités – les exemples deviennent miraculeusement une jeunesse qui se cherche et un âge mur qui ne se trouve plus.
[Spoilers] Je trouve qu’Özpetek manie mal ce qu’il choisit de cacher. La mort est précédée d’une agonie d’où le mourant lui-même est absent, comme si on n’avait pas confiance en le spectateur pour comprendre ses propres émotions. Ou alors il aurait dû en cacher plus, puisque la partie austère et hospitalière n’est finalement qu’un long contexte pour une reprise en main émotionnelle purgée de ses scènes de ménage. Les avoir enlevées ne crée même pas de vide particulier. Pas de sentiment de vide, en tout cas, car elles laissent bien leur place pour une poésie de l’amitié dont on se demande pourquoi elle n’a pas toujours été là.
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Vendredi : In The Fade (Fatih Akın, 2017) « Thématique : langue allemande »* |
[Spoilers] Coïncidemment, j’ai vu Saturno Contro (Ferzan Özpetek, 2007) la veille de voir In The Fade. Les deux furent réalisés par un réalisateur turc à l’étranger. Les deux ont le deuil pour thème central, mais le premier le fait mal, l’autre bien.
Akın est direct. Cela le protège du commentaire que je formule souvent à l’égard de films dénonciateurs, comme quoi ils oublient souvent leur moelle au profit de l’immaculé extérieur. Akın est 100% moelle. Il continue dans son habitude de garder au moins un acteur de sa collaboration précédente en la personne d’Adam Bousdoukos, qui a joué dans Soul Kitchen (2009) et son traitement sombre pour un thème clair ; In The Fade, c’est l’inverse : un thème atroce mais un traitement qui appuie à fond sur le sentiment et peu sur la mécanique scriptique. Il y a du Gone Girl quoique c’est, ici, les autres qui partent.
Diane Kruger y trouve son second rôle germanophone et une Palme cent fois méritée pour la douleur qu’elle porte seule. C’est elle qui vit le deuil de son mari et de son fils après une attaque terroriste. Elle est statique comme un pilier alors même que la photographie malmène l’image au gré des chapitres. Les mouvements sont partout.
Au tribunal, la multiplication des angles de vue est si folle qu’elle passe pour m’as-tu-vu, mais les travellings ne vont pas d’un personnage à un autre : ils vont d’une âme à une autre. C’est la mouvance de l’esprit tandis que la mise au point est celle de l’objet. Je m’invente peut-être l’analyse, mais il est curieux que le moment le plus fort du film, la désillusion, emploie un travelling contrarié qui combine justement les deux comme pour mieux figurer l’écroulement.
Et puis il y a les notes qui se marquent sur les calepins et les plaidoiries qui s’égrènent. Des cascades d’éloquence formidables plantées droit comme le I sans point d’Akın dans les rôles d’avocat par Denis Moschitto et Johannes Krisch (c’est le nouveau Kinski, ce gars !). Dommage, la justice n’est pas développée et l’on reste un peu coincé entre des promesses commerciales de résultats fabuleux et la suprématie froide d’un juge qu’on ne verra que de loin. Peut-être le réalisateur était-il trop occupé à soigner des inserts attentionnés au service de la clarté générale, ces plans en 2D qui, de temps à autre, montrent et déshumanisent à la fois les coupables.
Quand l’utilité des moyens mis en œuvre met le doute, on peut toujours se reposer sur la garantie qu’Akın est un cinématographe hors-pair. Je repense à cette longue scène, en Grèce, ou Kruger achète un objet bénin (si bénin que je le tais, moins par pudeur que par crainte de tout casser) et que le caméraman la suit tout le temps de son entrée dans le magasin et de son échange silencieux avec le vendeur – parce qu’elle téléphone et ne parle pas grec de toute manière. Ce long plan filé contient toute l’humanité dont Akın est capable et résume à lui seul qu’il mérite son Golden Globe.
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Samedi : Kyss Mig : une histoire suédoise (Alexandra-Therese Keining, 2011) « Thématique : langues du monde »* |
Quoique dans l’air du temps, Kyss Mig commence comme Festen (Thomas Vinterberg, 1998) : une fête de famille d’où sourdrent toutes sortes d’embrouilles en puissance et où la caméra amateur tient une grande place, troisième œil voyeur qui récupère les mauvaises humeurs dégoulinantes. C’est l’ouverture d’une première partie austère, toute en sentiments contrariés.
Le film est sur le lesbianisme. Si je ne le cache pas, c’est que le film non plus. Mais comme beaucoup d’œuvres qui prêchent le vrai dans le but avoué de le faire accepter, Kyss Mig donne l’impression de se faire l’avocat du diable, comme s’il s’excusait d’aborder le sujet. Il faudra d’abord traverser des scènes de sexe dépassant le cadre illustratif, extrêmement pudiques mais aux points de vue pourtant multiples. C’est récurrent et long : bref, je ne sais pas si la réalisatrice voulait provoquer, malaiser ou insister, mais la valorisation est un outrage. Il suffit pour s’en rendre compte de compter les scènes qui ne contiennent ni plus ni moins qu’un lit.
Il y a une grande bulle d’amour qui grossit dans cette première partie et l’on va découvrir qu’elle l’altère. On n’a toutefois pas une vue extraordinaire dessus : des protagonistes moins soignés que d’autres sont soudain dedans sans avoir demandé leur reste, et les branchages les plus éloignés de l’arbre amoureux restent un peu trop dans l’ombre. Le passage sur « l’île » est comme une tentative de clin d’œil au Fårö de Bergman sans subtilité aucune.
Une bulle, normalement, est une sphère, mais Keining la prive de sa troisième dimension en créant la plus parfaite platitude avec les notions de coming out, et des parents qui apprennent à accepter leurs enfants à coup de « quelque chose ne va pas ? » vraiment fatigants. C’est quasiment de la vulgarisation, à ce stade, pas de l’art. Mais la bulle grandit. Si l’histoire finit à Barcelone, on a l’impression de voir pousser plus tôt que cela un beau soleil méditerranéen dans l’ambiance qui se transforme.
Les circonstances empirent mais les sentiments se libèrent en une belle et lente explosion d’acceptation de soi et de ses émotions. Ruth Vega Fernandez et Liv Mjönes sont adorables dans leurs rôles et pas trop mal supportées par le reste du casting. Si l’étiquette de « film lesbien » est malheureusement trop vite apposée sur Kyss Mig, que c’est une romance où la timidité tient lieu de motivation créatrice et que l’art n’est pas présent dans des alternances de champ / contrechamp peu photographiques, il a au moins la délicatesse de nous laisser éprouver des choses par nous-mêmes. Certains n’auront pas la patience de le découvrir, et c’est compréhensible, car c’est un peu tout ce qu’il y a à voir.
Dimanche : Willow (Ron Howard, 1988) |
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* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.