Ça y est, je reviens à sept films hebdomadaires ! Histoire d’alléger, la critique de Miss Peregrine et les enfants particuliers viendra plus tard : voici pour le moment du Rappeneau, du théâtral 🎭 ×2, de la comédie soviétique ☭ culte, du giallo 💛 (le cœur est là seulement pour la couleur, parce que je n’aime vraiment pas le genre) et une comédie française dont j’ai eu un mal relatif à comprendre le fiasco.
Sommaire
Le Hussard sur le toit (Jean-Paul Rappeneau, 1995)
Un été à Osage County (John Wells, 2013)
La Queue du Scorpion (Sergio Martino, 1971)
Kin-Dza-Dza (Georgiy Daneliya, 1986)
Festen (Thomas Vinterberg, 1998)
Signes extérieurs de richesse (Jacques Monnet, 1983)
Image d’en-tête : Kin-Dza-Dza ; films 114 à 120 de 2019
Lundi : Le Hussard sur le toit (Jean-Paul Rappeneau, 1995) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Rappeneau remet le couvert historique, branchant les chandeliers et se frottant les mains devant le réglage des foules. Fort peut-être d’avoir été approché par Keanu Reeves pour le rôle principal, il américanise ses scènes les plus actives qui revêtent bien l’aspect des épopées cape-et-d’épesques d’outre-mer.
Son héros, interprété par Olivier Martinez, est le Zorro de Jean Giono, un gentilhomme soldat dont les manières sont au prix de son ennui en société. Il casserait bien les standards de la bourgeoisie si elle n’était pas constamment moquée d’autre part et que Martinez n’était pas monté sur ressorts au point que la caméra peine à suivre ses brusques mouvements. C’est dommage car il est agile, sa langue italophone pas mal aussi, et il participe à l’énergie qui coule dans les veines du Hussard.
Le drame est parfois un peu gros, mais il vaut la peine quand il passe le goulot d’étranglement du choléra, fantôme porté dans l’histoire par ce qu’on appelait des miasmes et tuant la chair pour immuniser les esprits contre l’idée de la mort. C’est de cette petite gloire morbide que l’œuvre de Rappeneau tire la plus belle part du sentiment qu’elle génère, un poissement presque dérangeant dans ce que la maladie a de soudain et de célère et, comme le dit le personnage, d’aléatoire dans ses frappes, comme les coups de bec d’un corbeau ou les mouvements d’un chat qui sont autant d’illustrations d’un dressage animal assez époustouflant.
La vraie valeur de Martinez se révèle mal sous sa galanterie guindée. Si son personnage escorte celui de Binoche, c’est elle qui escorte l’acteur : un poids mal géré qui fait un peu trop figure d’inverse aux si jolis mouvements de foule ; c’est dans la masse que reposaient les atouts, pas dans les individus que Rappeneau élimine après des rôles symboliques : exeunt Depardieu et Cluzet, magnifiques en bouées qui méritaient d’être des phares, histoire d’illuminer un peu ce jouvenceau maniéré de Martinez.
Heureusement que Rappeneau se donne le temps de « compter Florette », piquant ses dialogues de noms insignifiants pour la géographie française contemporaine, une toponymie mise en relief par les parfums de différents paysages et climats au gré d’une cour délicate. Cela donne de l’air à la qualité de son entreprise sémiotique et lui évite de sombrer sous le poids de phrases-chocs qui font tache d’huile ; ç’a beau être une jolie phrase (ou pas ?), elle ne nous apprendra pas à « nous faire craindre du choléra comme la peste ».
Mardi : Un été à Osage County (John Wells, 2013) « Thématique : Julia Roberts »* |
Une intro pré-générique aux couleurs d’un automne maquillé en été, c’est pile ce qu’il faut pour confondre le spectateur sur l’art qu’il regarde : film, pièce, roman ? Réécrivant son œuvre théâtrale sur les notes d’Eric Clapton et Bon Iver, Tracy Letts profite des extérieurs simples mais esthétiques de John Wells pour « aérer sa pièce », une visite comme aléatoirement choisie de l’Oklahoma profond dont on aura tout lieu de s’émerveiller de l’agilité des langues à produire l’accent et les « howdy » malgré le cassage weinsteinien du casting qui importe des Britanniques ; bah, les Cumberbatch et autres McGregor ne déméritent pas.
C’est une ligne de crête astucieuse qui est tenue entre la cohésion familiale et les tourments tout autant familiaux qui agitent le grand cercle. Une serre d’humanité où toutes les valeurs sont bonnes à prendre, n’en déplaise à l’autrice qui tapisse l’histoire entière d’un drame épais et dispensable. Il manque du contexte à ces humains qui se dressent comme des jack-in-the-box depuis leur boîte de 2×2 (deux jours et deux nuits) et deviennent d’un coup livides, honnêtes, gentils, méchants ; tous n’ont pas l’excuse facile d’un cancer réservé à Meryl Streep, plus fantastique à elle seule que le reste du casting réuni (elle éveille même Roberts).
Les pièces modestement filmées qui compriment esthétisme et horreur familiale en gradation jusqu’à une catharsis modératrice, cela s’est déjà fait. Osage County se découpe aussi bien dans les Plaines que les mots de Letts dans des scènes énormes, gonflées de centaines de lignes et qui sont à vous faire demander comment on a pu ne pas filmer le film en une prise, comme au théâtre. L’entreprise manque clairement de fraîcheur, mais on ne peut pas bouder son plaisir à l’écoute ni au regard.
Mercredi : Miss Peregrine et les enfants particuliers (Tim Burton, 2016) « Hors-thématique »* |
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Critique détaillée à venir !
Jeudi : La Queue du Scorpion (Sergio Martino, 1971) « Thématique : langue italienne »* |
Ô âge sombre du giallo auquel Sergio Martino ne sait pas donner la patine d’Après la chute de New York : entre les plans peu cinématographiques qui cherchent à produire le frisson documentaire et la multiplication désordonnée des angles de vue, c’est un sentiment de fourbi qui émerge, même avec la considération que les peurs d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui.
Les passages entre les meurtres sont dépeints avec une impatience visible où l’on se fiche que l’ombre de la caméra soit visible, mais on en profite pour faire bien voir le Jim Beam. De longs liens lassants entre deux boucheries, des liens d’où toute souffrance semble exclue, comme si elle devait être réservée aux climax.
Les embrouilles sont des geysers peu soigneux, pressés de nous arroser de sang et de traquenards, une attente ennuyeuse vers un dénouement qu’on avait déjà commencé à recycler depuis longtemps à l’époque.
Vendredi : Kin-Dza-Dza (Georgiy Daneliya, 1986) « Thématique : langue russe »* |
En matière d’art, c’était un terrain facile pour que les Soviétiques ripostent… froidement. Avec Kin-Dza-Dza, ils s’attaquent à la science-fiction absurde, une exploration des grands terrains vagues de la Russie au goût d’inattendu, et pour cause : c’est Solaris Unchained, une débâcle joyeuse de voyages spatiaux grinçants et percussifs où l’on voyage de point en point comme on relierait les étoiles d’une constellation, avec aussi peu de carburant scénaristique que possible : il ne faudra pas chercher la raison au-delà de ce qui nous motive à visionner jusqu’à la séquence suivante.
Mais couci comme ça, comme les vaisseaux tout à fait anti-aérodynamiques élevant leur grâce de boîte de conserve dans des atmosphères extraterrestres, on finit par tout voir et se dire que c’est excellent, malgré la perte de vitesse dans les sous-sols rappelant Brazil et quelque cité-puits jodorowskyesque, et malgré l’apathie émotionnelle slave si difficile à percer.
Il est bon de voir un personnage russe rendu carrément obtus par sa fermeture d’esprit, un manque de pragmatisme tel qu’on se demande s’il ne s’agit pas d’une critique sociétale à proprement dit. Confronté au ridicule de coutumes rendues drôles pour le spectateur, le personnage de Stanislav Lyubshin ne sait faire montre de rien que d’intolérance, ce qui le rend ridicule, lui. Cela participe au loufoque ambiant qui lève initialement notre sourcil et nos doutes, et qu’on perd dans la seconde partie.
Trésor de la science-fiction simple où les effets très spéciaux valent largement Star Wars, Kin-Dza-Dza coûte la tolérance de sa sottise et de son manque de finition (ne serait-ce que des plans sur une planète supposée sans air où l’on distingue bien le vent dans les cheveux) pour se faire apprécier comme la digne preuve que les Russes ont gagné la course à l’espace avec Tarkovski, puis avec Georgiy Daneliya, mort ce 4 avril.
Samedi : Festen (Thomas Vinterberg, 1998) « Thématique : langues du monde »* |
J’ai vu Festen en toute ignorance qu’il constituait le début pratique du mouvement Dogme95 lancé par Vinterberg et Von Trier pour revenir à un cinéma nu et vrai. C’est un angle presque cruel qui s’explique bien par leur manifeste mais auquel on n’est pas forcément préparé.
C’est plein d’une énergie étrange pour un drame plus que prosaïque, d’une brutalité sociale presque dérangeante dont émane pourtant une tendance à la simultanéité des actions qui nous fait planer au-dessus d’elle : effectivement, il y a un résultat dans le dénuement. Les souvenirs se dessinent allégrement depuis le septième principe de Dogme95 : le film se déroule ici et maintenant.
Je comprends pourquoi j’y ai perçu la même aura que dans le Full Frontal de Soderbergh : lui était retourné aux sources et aux contraintes, substituant un contrat au manifeste pour prêcher le vrai, la caméra à la main et la main à la pâte. Il est assez plaisant de voir des facettes du malsain bouillies et touillées, suivant une direction qui n’est opaque que sous le verre de l’expérimentation. Mais il est aussi très fatigant de devoir habituer nos yeux à suivre une image capturée parfois par les acteurs eux-mêmes, surtout quand c’est celle d’une gire sociale oppressante et angoissante à tout instant – phobiques sociaux s’abstenir.
Il faut s’accrocher pour qu’enfin l’hypocrisie se craquèle sous les assauts de la violence verbale. Un mot allemand me vient pour qualifier mon sentiment : unheimlich : étrange et sinistre à la fois.
Dimanche : Signes extérieurs de richesse (Jacques Monnet, 1983) « Hors-thématique »* |
On me rappelle que le film est sorti durant le mandat de Mitterand, à une époque où la richesse a été diabolisée ; c’est peut-être la raison pour laquelle le réalisateur (dont le nom ne s’invente pas) a décidé de dépeindre les inverses dans ses personnages : Claude Brasseur interprète « un riche », ce qu’on serait bien en mal de dire sans l’appartement luxueux et les « sí, Zean-Zacques » obséquieux de son factotum ibérique.
Car les manières de riche se sont perdues : il n’en reste plus que les apparences d’un côté, et le fait de l’autre. Une façon de détacher le personnage de son monde « du dessus » pour le ramener dans la populace à qui s’adresse, après tout, une comédie de texte : nous avons bien le droit d’être casaniers ! Ah, tiens, je pourrai citer Marielle à ma défense, à l’avenir. Mais s’il fait toujours un glorieux mariole et que Brasseur brasse bien les codes, Balasko est quant à elle poussée à bout par une bipolarité socio-professionnelle inexpliquable.
D’ailleurs, ce sont tous les codes qui se perdent, sauf bancaires : les protagonistes sont retroussés (pas détroussés) jusqu’au bord de l’illisibilité, Brasseur traitant Balasko de boudin sans préavis (ses personnages ont l’habitude) et les mœurs se froissant ou se déridant sans stimuli.
Il est particulièrement difficile d’évoluer dans le montage sec et strict qui saccade des transitions linéaires faisant fi d’annoncer des changements d’humeur ou de présenter une quelconque grâce. Oui, heureusement que Monnet est avant tout scénariste et qu’il modèle des répliques méritoires autour de personnages à la fois littéraires et théâtraux transmettant si bien les valeurs de leur temps – quand elles ne sont pas tout simplement obsolètes et ne réclament du critique un tant soit peu de recul sur un domaine politique qu’il connaît bien mal et qui, pourtant, justifie jusqu’à l’existence de cette pellicule.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.