Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Hello Goodbye (Graham Guit, 2008)
Chambre avec vue (James Ivory, 1985)
Meurtre à l’italienne (Pietro Germi, 1959)
100 Dinge (Florian David Fitz, 2018)
Ombres au paradis (Aki Kaurismäki, 1986)
La dame d’onze heures (Jean Devaivre, 1948)
Image d’en-tête : 100 Dinge ; films 100 à 105 de 2020
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Lundi : Hello Goodbye (Graham Guit, 2008) « Thématique : Gérard Depardieu »* |
Le visionnage d’un film Depardieu-Ardant s’accompagne toujours d’une dose d’acceptation du franchouillardisme. Parce que bah, ils vont être Depardieu & Ardant : comme avec Deneuve, il va jouer le couple & non le personnage, & elle va se faire le prisme des émotions de son compagnon.
La variation, appréciable ici, est de les avoir rendus fusionnels : ça sort de la rengaine machiste du gros bourru & ça fait un peu mieux passer la pilule des tourments conjugaux inévitables. Ça ne m’a pas rendu Ardant moins insupportable, par contre, mais ça, c’est moi.
Le film ne tarde pas à tourner autour de clichés familiaux & religieux qui servent de remplissage – oui, vu que Depardieu joue non seulement un mari mais un Juif, alors autant passer du gag sur le vin kascher à la psychologie parentale : comme ça, c’est réglé. On retiendrait les meilleurs moments si tout n’était pas un tourbillon mixant, en vrac : l’idylle touristique mièvre en Israël, les galères proportionnelles du couple qui s’y installe, le choc des cultures, un rabbin qu’on essaye vainement d’instaurer en protagoniste anti-clichés faiblard & les quiproquos / mensonges habituels d’un Depardieu-Ardant.
Le but du film ne repose finalement dans aucune de ses pistes scénaristiques : il ne s’agissait pas de filmer avec l’œil du touriste, ni du juif, ni du Juif, ni du Français en Israël, ni de l’Israëlien. Il fallait juste qu’on aille faire cocorico dans un pays chaud, histoire de marquer le territoire cinématographique de notre beau pays qu’on aime quitter pour faire rêver. Exactement comme Les Temps qui changent, avec… Deneuve, oui. Mais Alger, c’est pas pareil, & Gégé n’a plus de lunettes moches dans Hello Goodbye. Ranavwar.
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Mardi : Chambre avec vue (James Ivory, 1985) « Thématique : Daniel Day-Lewis »* |
Rien à voir avec la fenêtre sur cour d’Hitchcock : le suspense de Chambre avec vue ne monte pas plus haut que l’angoisse de commettre un impair en bonne société. Interprétation littérale du roman qui l’a inspiré, le film apporte les promesses du cinéma, essentiellement visuelles, & ne commet pas le moindre faux pas en matière de décors & de costumes.
Il a costumé les dialogues aussi, néanmoins : les lignes ne vont jamais ensemble, décollée les unes des autres dans une négligence d’autrui qui redonde avec les intonations compassées de personnages qui surjouent – oui, les personnages ; leurs acteurs ont avant tout la responsabilité d’en faire les diapasons constants d’une bourgeoisie que rien ne perce, pas même les forts sentiments ni les libres penseurs. On est, au sens le plus strict du terme, dans la “bonne” société. Rien d’autre ne doit exister. Donc elle est “bonne”.
On a beau croire au démarrage lent, c’est tout le film qui s’étire dans cette bonté molle d’une foule de gentilhommes & femmes qui ne se supportent pas – & que le cinéaste faillit à faire tenir au-dessus de leur propre superficialité.
Pour éviter de voir des tares partout où l’œuvre ne voulait que relater les corollaires de son sujet, on essaye de reconstruire le propos, qui doit être là, quelque part sous les monceaux de jolis mots, l’exploitation de protagonistes forts (des bourgeois érudits, ça fonctionne toujours en théorie), l’hypocrisie, les non-dits : les mensonges de la jeune Bonham-Carter, qui font l’objet d’intertitres récurrents essayant bizarrement de reconstituer des chapitres romanesques éparpillés, sont sûrement la clé de voûte d’une œuvre destinée à la maturité, ou à l’inverse le signe avant-coureur de l’écroulement de quelques bonnes mœurs ou le début d’une prise de conscience. Hélas, rien de tout ça : potins & bonne éducation auront de bout en bout la main mise sur une histoire engluée qui pas une seconde ne suspend le huis-clos social.
Donnant une vision étroite d’hommes & femmes “du monde” qui ne connaissent rien de ce dernier, le film offre une vue aussi piètre que la fameuse chambre dans une mixture de fait-exprès & d’incréativité ; on aurait pu comprendre s’il nous avait au moins laissé ouvrir la fenêtre.
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Jeudi : Meurtre à l’italienne (Pietro Germi, 1959) « Thématique : langue italienne »* |
Ce n’est pas pour rien qu’on a pris le mot imbroglio aux Italiens : quand ils veulent faire une histoire velue, ils n’ont pas peur de semer l’audience en route, que le crime en germe ou non. Œuvre policière aux multiples visages, le film de Germi baigne dans un couloir narratif qui, telle une vis sans fin, va du commissariat aux lieux des crimes en agissant comme un intermédiaire.
Pour une des premières fois depuis Hitchcock, on n’a pas peur de prendre le spectateur pour une personne aussi douée d’intelligence & de sens analytique que le scénariste ou le charismatique personnage du policier compétent eux-mêmes : le spectateur est transformé en complice innocent du film.
Cela tombe bien car Germi, en plus de son rôle de réalisateur, est les deux : acteur incroyable, il transcrit les codes policiers dans la plus pure tradition du film noir sans perdre l’opportunité de composer des plans qui resteront parmi les plus iconiques du noir & blanc, à cette époque où l’ombre était sculptée sans plus créer de “points noirs” ni de ruptures. En fait, si Meurtre à l’italienne est le plus noir & blanc des films monochromes, rarement le crime a été si peu traité en noir en blanc.
Dans le ballet judiciaire qui s’agite, le cinéaste maintient la chaleur humaine, démontrant sa conviction dans les petits gestes ou les expressions qui passent sur les visages comme… des ombres. Alors on visionne un film qui peut se permettre de correspondre aux codes de l’époque tout en créant une forte dimension empathique qui rend la mort vraiment dramatique & triste ; pas juste cet ersatz de sensation forte qu’on cultivait jusqu’alors avec une forme de culpabilité un peu snob.
Germi nous enlève cette culpabilité comme s’il avait été le seul à comprendre que deux millénaires de dramaturgie pouvaient s’être trompés. Tout cela en étant lui-même, comme on le réclame généralement implicitement d’un réalisateur-acteur, extrêmement humble : la position de son personnage, en Italie, voudrait qu’on s’adresse à lui avec le terme respectueux de “dottore”, ce que les sous-titres rendent du mieux qu’ils peuvent – mais lui, bien dans son rôle, dit par au moins quatre fois qu’il n’est pas un “dottore”.
Puisqu’il s’agit d’un film policier, il se repose sur les auxiliaires (comprendre : les personnages secondaires) que les occis lièrent, afin de transmettre des codes qui, cette fois, s’adressent vraiment au spectateur : humour, crescendo dramatique, mystère. Mais il faut avoir l’esprit vif – encore – devant ce dialogue que je schématise :
(Le prêtre) Il fréquente des cartomanciens, des voyants… Des charlatans, en somme.
(Le commissaire) Oui, j’en connais un.
Cette moquerie discrète de la religion, passant presque inaperçue derrière l’acting subtil de Germi, est un échantillon de tout son mode opératoire, qui fait de nouveau de son pays un lieu de renaissance : ici, celle d’une narration qui croit en son public.
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Vendredi : 100 Dinge (Florian David Fitz, 2018) « Thématique : langue allemande »* |
C’est bizarre comme de nos jours on ne peut plus attaquer le consumérisme sans prendre le consommateur dans le sens du poil : on lui fait un joli film très appétant, sans misère qui ne soit futile, pas du tout culpabilisant & qui le fera au pire sourire avec un “c’est vrai que le monde dans lequel on vit est bizarre, quand même”. Le film lui-même n’est pas un spécimen d’art & d’essais révolutionnaire : il est conçu pour marcher au cinéma &, au fond, prend son sujet aussi peu au sérieux que ses personnages se prennent eux-mêmes au sérieux. Format YouTube, pouce bleu, y’a plus rien à voir.
On n’attend pas d’un film superficiel qu’il creuse son idée, forcément. Pourtant 100 Dinge prend des risques qu’on négligera aisément : derrière l’encombrant chassé-croisé potache des frères ennemis, il y a un parallèle réfléchi entre les générations d’après 1989 qui met davantage en abyme la société actuelle que la moquerie commerciale : trop performants dans le monde d’aujourd’hui, les Allemands ne sont qu’à trois décennies d’une époque où tout était différent & il est bon de voir que Wolfgang Becker n’est pas le seul à savoir le mettre en images. Même si le film n’a pas de courage & n’arrive pas à faire tenir la moindre fibre dramatique en place.
Florian David Fitz (je dis le nom entier car j’ignore comment séparer nom & prénom) adopte donc un traitement simple : passer le superficiel à la moulinette de ses propres absurdités. Le résultat est gentillet, dira-t-on, voire légèrement hypocrite, mais on doit lui accorder qu’il n’a pas franchement cherché à cibler son public : entre grain de philosophie (dans une société de consommation, est-ce que ce sont nos biens qui nous possèdent ?) & un humour qui tient à rester bon-enfant (des adolescents trentenaires, c’est relativement nouveau), l’œuvre semble destinée à chiffonner tout spectateur pour une raison ou une autre.
Allez, tranchons positivement, ne serait-ce que pour avoir osé parodier Zuckerberg (David Zuckerman, really?) dans la position du jeune magnat qui entraîne l’avenir du côté obscur de l’Atlantique.
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Samedi : Ombres au paradis (Aki Kaurismäki, 1986) « Thématique : langues du monde »* |
Faussement désabusé : voilà comment est l’Homme chez Kaurismäki. Moins Nouvelle Vague que son Calamari Union, c’est un film identique quoique moins étendu (même blasement, mêmes échappatoires dans le divertissement, même obsession pour la langue anglaise & l’Estonie), mais les valeurs de cette nouvelle œuvre ne sont pas là : elle décortique quelques quotidiens sous des angles davantage individuels dont l’écho n’est pas comparable.
En fait, c’était plutôt ambitieux de faire cette translation de l’action sociale, chère à Kaurismäki, vers le ressenti individuel. Qu’à cela ne tienne : pour lui, l’individu n’existe pas en lui-même, puisqu’il n’a de sens que dans son cadre social. Alors si on le regarde de près, tout ce qu’on voit est un zombie amorphe qui ne s’exprime que par gestes : votre écran n’est pas déréglé, c’est normal !
En effet, c’est autant par le finnois que par le langage corporel que les personnages se font connaître, comme si leurs personnalités réprimées étaient obligées de communiquer en code. Ce qui semble manquer au prolétariat de Kaurismäki, c’est une pression sociale, quelque chose qui justifierait le vide laissé dans l’existence finnoise par la déchirure entre Europe & ex-URSS : on avale des nuages de fumée comme si l’on jalousait l’air lourd des uns & l’on mimétise les codes sociaux slaves pour se donner une contenance. Mais l’identité finlandaise est ailleurs.
Sous le regard de Kaurismäki, la Finlande est immature (l’individu – reflet de son cadre social, nèspa – vole de l’argent à son jeune enfant comme si le pays dérobait son identité à son propre avenir) comme une nation qui ne sait pas qu’elle est jeune. En bon parent, Kaurismäki ne le lui dit pas : il lui fait comprendre. Du moins, il essaye.
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Dimanche : La dame d’onze heures (Jean Devaivre, 1948) « Hors-thématique »* |
Effets de montage, slow motion, film déroulé à l’envers & prise à parti du spectateur : La Dame d’onze heures est un vrai petit kit du spectateur-détective, où chaque ficelle de narration est instrumentalisée & lui est tendue comme pour lui dire : “amusez-vous, c’est fait pour !”
Une formule aussi nouvelle que le film est daté : pas très bien sorti du traumatisme de la guerre, il semble avoir été conçu de bric & de broc tel le jouet qui avait tant manqué aux audiences, cousant son intrigue autour d’acteurs au nom unique (Palau, Sinoël, Seldow), comme dans les années 30, comme si on raccomodait le drame cinématographique pour la première fois depuis la guerre avec du fil d’antan.
Peut-être en retard ou peut-être simplement humble, le film donne l’impression d’avoir été écrit avec l’imagination d’un adolescent & sa fascination désordonnée pour le genre policier, lequel est traité par Devaivre avec une créativité technique mais insouciante. Le résultat serait tout aussi désordonné si le format du roman (154 pages) n’avait pas convenu si bien à cette piste d’adaptation, & si Meurisse ne rayonnait pas dans son rôle de performant détective amateur – qu’il tient si bien que sa prestation a l’air imprévue, & d’avoir influencé tout le tournage.
Sûrement moins bon à l’époque qu’il ne l’est aujourd’hui, le film était fait pour parler à un public qui n’avait aucune raison de le trouver médiocre. Aujourd’hui, même le cinéphile averti y trouvera un magnifique divertissement d’époque sans devoir tomber dans les canons.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
[…] de son réalisateur que de son intérêt propre. Dans la continuité de Calamari Union & Ombres au paradis, il vaudrait quelque chose pour lui-même si le réalisateur ne poursuivait pas dans une veine […]