Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥
Sommaire
Le Bounty (Roger Donaldson, 1984)
Monty Python: La Vie de Brian (Terry Jones, 1979)
L’Incompris (Luigi Comencini, 1967)
Vision (Margarethe von Trotta, 2009)
Calamari Union (Aki Kaurismäki, 1985)
Havana (Sydney Pollack, 1990)
Image d’en-tête : Titre ; films 88 à 93 de 2020
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Mardi : Le Bounty (Roger Donaldson, 1984) « Thématique : Daniel Day-Lewis »* |
Je disais du film Gandhi, premier rôle officiel au grand écran de Daniel Day-Lewis, que le film bénéficiait du début de cette période plus studieuse en matière historique, & de la vague d’une technique mise à profit pour la dépeindre avec un début de l’immersivité moderne (cela dit sans jeu de mots, ou il y aurait un flottement dans ma chronique). C’est exactement ce qu’il se produit avec The Bounty, qui ne garde de saveur seventies que la musique d’un Vangelis tout juste sorti de Blade Runner. Par contre, Donaldson ne savait pas comment rendre le tout plaisant.
Un peu télévisuel dans les trucages & maladroit dans sa volonté de relater la “vraie” mutinerie, The Bounty adopte un point de vue vulgarisateur insipide révisionnisant craintivement des détails qui n’avancent le scénario à rien. En fait, je rejoins Mel Gibson qui considère que le film n’est pas allé assez loin, quoique lui ne prône pas du tout sa qualité de film historique.
On ne peut vraiment reprocher à ce dernier qu’un rythme journal-de-bordesque qui saute beaucoup d’étapes avant les moments les plus croustillants – ce qui est en effet normal, pourtant l’œuvre change de rythme une fois qu’elle a exorcisé son impatience d’aborder Tahiti : une fois que Gibson & Hopkins sont séparés pour tenir chacun lieu de personnages principaux, on a droit à quelques appesantissements agréables qui font enfin du voyage une véritable aventure, plus piratesque que gulliveresque, avec des autochtones qui ont la classe, Hopkins en magnifique capitaine & une notion particulièrement forte du mythe de l’île paradisiaque. L’effet arrive juste un peu tard pour ce film marin qui aura souvent trahi son manque d’ambition.
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Mercredi : Monty Python: La Vie de Brian (Terry Jones, 1979) « Thématique : Monty Python »* |
Si on les avait laissés faire, les Monty Python auraient réécrit l’histoire toute enrobée d’humour anglais. Mais évidemment, on ne les a pas laissés faire : censuré et banni à de nombreux endroits pour blasphème, La Vie de Brian a, comme le disait Cleese, réuni les Chrétiens (dans leurs protestations) pour la première fois en 2000 ans.
Du point de vue cinématographique, c’est leur premier film qui se passe presque totalement de sketches, à quelques symptômes près comme de faire 40 personnages en 6 acteurs, ou les gags qui emplissent totalement certaines scènes jusqu’à faire oublier que la mise en scène s’attache à un certain minimalisme – quoique c’est aussi la première fois qu’on sent les artistes complets derrière les maîtres de l’absurde, avec Gilliam l’animateur et Jones le réalisateur qui commencent enfin à se considérer comme d’authentiques cinéastes – sans parler d’Idle le chanteur.
Le groupe ne pouvait pas non plus se trahir : on leur demandait d’être eux-mêmes et c’est chose faite, car refusant toujours de n’être autre chose qu’une verrue sur le cinéma de genre, l’œuvre n’a pas de linéarité, se bonifiant parfois par grumeaux inattendus (un discret effet sketch avec cette fois des transitions maîtrisées) et, comme Sacré Graal, elle nous défie de ne pas rire.
Il n’y a pas de génie dans cette tentative, mais étant encore au sommet de leur potentiel, les Python livrent un bout d’écriture à la fois plus mûr, moderne et vieilli, car ils étaient alors portés par l’élan d’un mouvement lancé longtemps auparavant. Moins humoristiques et plus littéraires, les dialogues s’adressent à un public légèrement différent qui, à mon sens, ne sont pas le signe précoce d’une déchéance.
Un peu normé et plus lisse que Sacré Graal, Brian de Nazareth est une ultraparodie mégabricolée, le genre de patatoïde immense concocté par quelques hommes unis dans un style et de l’affection pour leur langue. Le genre aussi qu’il faut remercier George Harrison de nous avoir offert, comme il l’a produit.
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Jeudi : L’Incompris (Luigi Comencini, 1967) « Thématique : langue italienne »* |
Comencini aura toujours été un réalisateur à contre-courant car il n’a jamais été fidèle au sien propre : son incompris n’est pas un artiste ou un déviant quelconque comme on pourrait s’y attendre, juste un personnage enfant qui va participer à l’incroyable expérience de faire un film sur la psychologie de l’enfant.
Dans une étouffante ambiance à la Vipère au poing & la vie bourgeoise de leur consul de père, deux jeunes frères vivent la perte de leur mère. Traités différemment, affectés différemment, ils réagissent différemment & voilà : un moteur scénaristique. Loin de battre la campagne comme dans son La grande pagaille, Comencini se referme sur un décor d’intérieur & s’enferme lui-même dans la scrutation des jeunes esprits, simulant pour le spectateur les effets que le script va avoir sur eux.
Bizarre théâtre émotionnel, quasi-huis clos où s’opposent clavecin & piano comme représentants respectifs de la frivolité & de la maturité, L’incompris oscille de la farce pure & simple au drame sans concession, mais toujours avec de bons moyens : le père ni noir ni blanc, l’oncle jovial avec sa personnalité à double-fond, tout est offert sur l’autel de la significance psychique & le seul regret de voir défiler ainsi les affects est que tout soit dimensionné à la hauteur des conséquences de chaque acte & de chaque mot. Alors, malgré la hauteur de ses objectifs & sa diligence à les remplir, le film est extrêmement superficiel.
Une particularité qui n’est pas aidée du fait que l’atmosphère est déjà lourde : on aborde la mort, l’innocence, les aspects moraux de l’éducation ; les murs trop étroits & la post-synchronisation monotone conduisent à rendre le visionnage intolérable. Il faut s’accrocher à la conscience qu’ont les personnages les uns des autres, & à la magnifique culture que Comencini arrive à faire de l’enfance, parvenant à ce qu’elle ne s’endommage pas sous les couches d’une écriture lucide quoiqu’orientée.
Interprétation si précise des tourments infantiles qu’on a envie de la citer comme exemple scientifique alors que ce n’est que de l’art, L’incompris termine sa course en confondant peines morales & physiques, mettant le personnage du père devant l’évidence qu’il a négligé l’une pour l’autre. Mais trop tard. Impitoyable pour ses protagonistes comme pour le spectateur, L’incompris est un de ces visionnages enrichissants qu’il faut supporter.
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Vendredi : Vision (Margarethe von Trotta, 2009) « Thématique : langue allemande »* |
Margarethe von Trotta est une réalisatrice au long cours, ce que Vision ne nous révèle absolument pas. Filmé au plus simple, le film se veut une biographie de Hildegard von Bingen mais saute d’un évènement à un autre dans des scènes habitées par des petits cubes d’émotions mal dégrossies qui finissent par en faire une œuvre totalement brute – presque autant que ses gros plans télévisuels ou ses décors découpés sans élégance entre deux murs médiévaux qui ont beaucoup plu aux créateurs lors du repérage.
Démontrant au moins par moments que l’abbesse était guidée par la confusion de ses vertus & de son ambition (du moins, c’est ce que la réalisatrice veut qu’on voie), le film ne montre pas vraiment d’amour pour le cinéma ; pour la musique, un peu, parfois. Dans ces instants mélomanes, on arrive à supporter que l’adversité subie par la religieuse soit aussi mal concrétisée au septième art que ses différents projets dans le scénario, lesquels ne la mettent pas en valeur comme une érudite mais juste comme une personne dispersée & confuse qui a connu la gloire par hasard. C’était peut-être le propos, mais il y avait cent façons plus agréables de le faire comprendre, tout comme des manières moins minérales de l’interpréter.
Cachant un peu de sa vocation sur le long terme, Vision arrive à force d’insistance à dresser un portrait d’arrogance & d’humilité ambigu qui était certainement voulu (comme la vérité sur Hildegard est perdue & se doit de ne pas être représentée) mais sans jamais sortir d’un regard beaucoup trop frontal & expressionniste ne convenant ni au film historique ni au thème de la religion – gros syndrome du téléfilm, encore une fois. C’est le genre de film qu’on verrait bien dans un musée : vous savez, ces clips qui passent en boucle. Avec von Trotta, c’est juste plus élaboré.
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Samedi : Calamari Union (Aki Kaurismäki, 1985) « Thématique : langues du monde»* |
Je cite trop Alphaville dans mes analyses cinéma, & à force j’ai l’impression de le brandir hystériquement comme un repère académicien de fanatique. Imaginez le bien que cela m’a fait de découvrir après avoir vu Calamari Union – qui m’a rappelé Alphaville – qu’Aki Kaurismäki a créé la société de distribution Villealfa en hommage au film de Godard. L’œuvre consiste en effet essentiellement à déguiser Helsinki en Alphaville, se rattachant par hasard au même néo-noir burlesque que Subway de Besson, sorti la même année – le métro tout neuf de la ville & ses stations vides étaient l’endroit parfait pour une fable existentielle.
Essayant constamment d’échapper à lui-même, le film rentre dans ses sujets pour que le spectateur en sorte : film muet russe (l’URSS artistique laisse des traces), jeu vidéo d’arcade, langue anglaise, musique américaine, Kaurismäki nous force à admirer un art extérieur, étranger à son film & presque parasite, nous faisant réclamer l’art propre à lui & non juste un patchwork d’inspirations brutes.
Mais son art consiste justement à questionner la contemplation, car c’est un véritable petit pays des Merveilles qui se compose derrière nos protestations : les quelques amis, tous appelés Frank & déguisés en Abbey Road, continuent de se reconnaître car ils sont des rêveurs qui ne perdent jamais pied dans leur philosophie, même si elle ne les emmène jamais plus loin que le prochain bar, & ils ne connaissent aucun drame : ni la mort ni la trahison n’auront la moindre gravité, & les obstacles seront balayés les uns après les autres par des délits sans conséquences – comme si la ville dormait, & rêvait les Franks. Un doux absurde unique.
Un peu désespéré mais bizarrement sain d’esprit quand même, Calamari Union nous convainc pendant son visionnage qu’il n’y a pas de mauvais idéal. Fantasme de l’inconséquence sociale, il fait poursuivre à ses personnages une destination de conte de fées : le mythique quartier d’Eira, sorte de palais de la Reine blanche au cœur du fantasme, inatteignable quoique tout le monde sait comment y aller, comme si la seule frontière entre Frank & lui était celle du rêve lui-même. Mais… celui des personnages ou de la ville ?
Piégés dans leur labyrinthe mental, les protagonistes sont confinés dans une oisiveté amusante d’où ils ne peuvent sortir qu’avec un fantasme plus grand encore : aller en Estonie dans une barque si précaire qu’elle aurait pu servir à Bergman à quitter Fårö. Qui l’eût cru ? Entre deux beaux monologues & une bonne musique homemade (gérée par un futur groupe tout aussi burlesque), on se dit que finalement, c’est le voyage qui compte. Même à l’arrêt.
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Dimanche : Havana (Sydney Pollack, 1990) « Hors-thématique »* |
Il y a eu deux films sur Cuba en 1990 : Havana & Adieu Cuba. Si ce dernier, réalisé par le Cubain Andy García, n’est sorti qu’en 2005, sa genèse remonte en effet aussi loin que celle du film de Pollack & ils sont frères siamois de traitement : La Havane chaleureuse, facile à détourer, dont on tire l’exotisme génétiquement proche de celui de Floride, La Havane où les Américains viennent car c’est littéralement le paradis acheté par le capitalisme (ah, il y a des communistes ? Zut alors), La Havane surtout dont le rôle est tenu par Saint-Domingue car les Cubains boudaient encore leurs voisins & leur refusaient les droits de séjour & de tournage. Understandable, have a good day.
Deux longs films comparables aussi par le scénario insinué dans seulement quelques jours de transition politique, une révolution que, pour le coup, Pollack feuillette rapidement – pour Redford, la balle dans le pire-brise était juste un gros insecte & il se remettra des tirs de mitrailleuse avec une cigarette. Okay ?
Admettons qu’il fallait bâcler au moins un truc puisque le défi était de s’attaquer à un pays en effervescence, un pays tout en musique arraché soudain à son statut de paradis par des révolutionnaires prônant l’Autre Système™ – ce tiraillement b(r)ouillonnant, lié à des cohabitations aussi explosives que diverses (luxe & pauvreté, Américains à la recherche de frisson & répression politique, casinos & torture), c’est ce que Pollack traite de mieux quoique sans aucune vulgarisation. Il se complaît vraiment dans son film de gangsters ensoleillé avec de gros décors, beaucoup de costumes & un petit fond historique – il mérite en ça d’avoir doublé Garcia pour titrer son film au plus évident (The Lost City, c’est lourdement périphrastique, hein Andy ?).
Avec des cadrages obsessionnellement propres & quelques entrelacs scénaristiques à peine noueux, Havana est une production presque trop digne mais immersive & vigoureuse. Finalement, c’est Redford lui-même qui est déplacé dans La Havane – ce semi-James Bond se pavane avec son sourire charmeur & il joue aux cartes. Personnage choisi comme par hasard, il incarne le péon dans une machine historico-politique énorme & cela aurait eu beaucoup de sens si on ne lui avait pas donné un rôle à jouer sous prétexte que son génie au poker lui achète des faveurs auprès des puissants. Il s’en sert pour poursuivre une idylle dont il nous convainc assez peu de l’importance.
Redford aurait pu être n’importe qui, mais Pollack a préféré en faire un gros grain de sable à qui tout le monde semble être juste assez gentil pour donner la réplique. Bizarrement, on peut presque l’ignorer en tant que personnage principal, ce qui fait que ce n’est pas si grave s’il est un peu raté. Il n’est que les yeux par lesquels on voit la ville, & sa résilience déplacée devient un simple show comme La Havane en offre tant aux Américains. On peut le regarder s’effacer pendant deux heures & demi devant les rues de la ville & profiter de tout ce qui le fait s’agiter. C’est un procédé comme un autre, mais c’est peut-être bien sa faute si l’œuvre cède à Adieu Cuba la meilleure place critique.
* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.
[…] de réputation de son réalisateur que de son intérêt propre. Dans la continuité de Calamari Union & Ombres au paradis, il vaudrait quelque chose pour lui-même si le réalisateur ne […]