Zéro (/zeʁo/). 0. Un chiffre ? Un mot en tout cas. Et comme d’habitude, une histoire derrière, que je vous propose de découvrir.
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D’Inde en Italie
Avant d’être un mot ou un ”chiffre”, le zéro était un concept. En effet, compter ne nécessitait pas de calculs abstraits durant la Préhistoire. Il y avait ”un”, ”deux”… et ”beaucoup”. Imaginer le concept du vide, du néant, a pris beaucoup de temps.
Durant l’Antiquité, le concept du zéro balbutie en Inde (Vème siècle av. J.-C.), en Mésopotamie (IIIème siècle av. J.-C.) et en Chine (Ier siècle av. J.-C.), mais il faut attendre le Vème siècle de notre ère pour que les mathématiciens indiens en fassent un usage concret, ouvrant grand les portes des mathématiques. Ils nomment le zéro ”śūnya”, ce qui signifie ”vide”.
Aux alentours du VIIIème siècle, les mathématiciens arabes, représentés surtout par Muhammad Ibn Mūsā al-Khuwārizmī (”al-Khuwārizmī” a donné le mot ”algorithme”), empruntent les chiffres indiens, y compris le zéro. Ce sont les Arabes qui vont pour la première fois exploiter le potentiel du calcul abstrait, grâce au zéro. Le mot arabe pour le zéro est calqué sur le mot indien, c’est-à-dire traduit littéralement : c’est ”ṣifr”, qui signifie toujours ”vide”.
Au début du XIIIème siècle, le mathématicien italien Leonardo Fibonacci, de retour d’Orient, écrit le Liber Abaci, introduisant ce qu’il croit être les chiffres ”arabes” en Europe (c’est pour cela qu’on les connaît comme tels, bien qu’ils soient venus d’Inde ; la dénomination ”chiffres indo-arabes” est la meilleure). Il adapte en latin le mot arabe ”ṣifr” sous la forme du néologisme ”zephirum” que cela lui évoque en 1202 (rien à voir avec le zéphyr). Le mot deviendra ”zefiro” en italien, puis ”zero”.
D’abacistes en algoristes
Avant de passer à la suite de l’histoire du zéro, il faut revenir à la Rome antique pendant un instant.
En effet, c’est la Rome antique qui a popularisé l’usage de l’abaque (genre de boulier) pour les calculs. D’ailleurs, le mot ”calcul” vient du latin ”calculus”, qui signifiait à la fois ”calcul” et ”caillou”, comme celui qu’on utilise dans un boulier (d’où l’homonymie qui perdure en français aujourd’hui). L’abaque sera utilisé pendant de nombreux siècles (et encore aujourd’hui par des minorités) par les abacistes, qui sont en opposition avec les algoristes défendant le calcul abstrait et l’utilisation du zéro.
Le calcul algoriste est plus avantageux : avec n’importe quelle surface pour écrire, on peut effectuer un calcul. Pourtant, la méthode abaciste est restée à la mode jusqu’au XVIIIème siècle.
L’opposition des abacistes et des algoristes a eu deux moteurs : d’abord, l’empire romain, qui considérait l’ensemble du monde non romain comme ”barbare”, ne pouvait se résoudre à employer le système algoriste qui faisait la joie des astronomes grecs. Il aura donc fallu attendre Fibonacci, au XIIIème siècle, pour que le calcul algoriste soit connu de l’Europe. Ensuite, l’Église a considéré qu’un système aussi prétendument simple d’utilisation que les chiffres ne pouvaient être que le fruit du démon, et a banni leur utilisation.
Ces difficultés rencontrées par les chiffres indo-arabes ont eu une conséquence étonnante : au Moyen Âge, le mot ”chiffre”, directement hérité de l’arabe ”ṣifr”, avait deux sens opposés en français :
- chez les érudits et les scientifiques, le mot avait le sens de ”signe de numération”, comme aujourd’hui ;
- pour la population, le mot avait gardé son sens étymologique de ”vide”, ”rien”, ”néant”.
C’est sur la base de cette confusion que les scientifiques français ont emprunté le ”zero” italien, afin que ”zéro” et ”chiffre”, quoique de même origine, continuent à vouloir dire des choses différentes. La première apparition de ”zero” dans un texte français en 1485 témoigne de l’ambiguïté persistante, mais qui aura disparu au siècle suivant.
[…] la disiesme [figure] ne vault riens mais elle fait valloir les autres figures et se nomme zero ou chiffre […]
Dès 1512, la forme figurée d’une ”personne nulle” est attestée. Le ”zéro” acquiert son accent (et donc son orthographe actuelle) en 1740.
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Sources
- Claude Gagnière, Pour tout l’or des mots, 1989 (pp. 206-207)
- Dispute between abacists and algorists
- ZÉRO, sur le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
Conclusion :
Sifr + Zephirium = la tête à Leonardo.
J’ai bon au calcul ?
Ainsi l’histoire du zéro ne te suffit pas, tu en veux un pour toi tout seul… Cancre, va.
Pourtant j’avais bossé les maths… 😉
L’«Empire romain» en plein bas Moyen-Age, politiquement, il avait la queue courte depuis le Vème siècle (bien que Byzance s’en réclamât toujours héritière jusqu’à sa destruction au XVème siècle) du coup il a pas pu se résoudre à grand-chose je pense^^
L’absence de textes traduits, le conservatisme de l’Église, la monnaie qui n’était pas décimale, la difficulté du calcul à la plume (avec du parchemin très cher…) et surtout le petit nombre des gens qui maitrisaient vraiment les sciences mathématiques sont à mon sens des facteurs bien plus éclairants pour expliquer la lente imposition des chiffres. Pour le quidam de base, le calcul au boulier devait être bien plus aisé (et en plus il faisait partie de la culture).
J’admets m’être fié à mes sources par faute de culture personnelle – il ne faut pas contaminer l’échantillon ! – mais tu as sûrement raison ! Merci pour ces ajouts que le lecteur assidu aura, j’en suis sûr, le plaisir de voir en addendum.