Un billet sur mon agnosticisme – comment j’y suis parvenu et ce que cela signifie pour moi.
(Révisé le 3 septembre 2019)
Cela fait un moment que je veux écrire un article ”hors-sujet” sur mon agnosticisme. Ce concept que j’admire m’a maintes fois perdu dans mes pensées – c’est d’ailleurs comme ça que j’ai fini par le définir. Alors je résume ces pensées dans cet article qui, je l’espère, vous parlera autant que je parle.
Contexte
Si vous l’ignoriez, je n’ai jamais été scolarisé. Ayant fait l’école à la maison jusqu’à ce mes passions l’emportent sur le Programme dans une grande vague d’autodidaxie enflammée vers mes seize ans, j’ai reçu une éducation athée et surtout profondément antidogmatique. Les pas confiants de l’enfance m’avaient fait suivre mon père dans son athéisme, mais l’esprit critique arrivant avec l’âge, j’ai pris conscience à ce moment-là – c’est logique et heureux – que la chose méritait réflexion.
J’aimerais émailler cet article de la philosophie maïeutique, en particulier cette facette socratique qui définit ce que l’on sait savoir, ce que l’on sait ignorer, ce que l’on ignore savoir, et ce que l’on ignore ignorer. Je suis toujours étonné de la relation qu’entretient mon agnosticisme avec ces concepts. Wikipédia en déduit les deux « axiomes » suivants :
- ce qu’on croit penser que l’on sait vraiment n’est que croyance ;
- ce que l’on sait que l’on ne sait pas laisse la porte ouverte aux tromperies.
Je crois que ces principes sont le fondement d’une lucidité d’esprit aussi authentique que possible, et j’en défends la cause avec vigueur. Ils ouvrent aussi la voie à la zététique (l’art du doute).
À mes quinze ans, j’ai spontanément et inconsciemment poussé plus loin encore l’antidogmatisme issu de mon éducation. Et j’ai réalisé que si j’avais été endoctriné, ç’avait été par mes parents. Je vous rassure, ce n’était pas le cas, mais ce raisonnement fort sain (félicitations, jeune moi) m’a permis de me dégager du mimétisme enfantin qui motivait ma conviction athéiste jusque là. Néanmoins, par ignorance – parce que je savais ce que j’ignorais –, je n’ai pas changé ma façon d’être : je suis demeuré athée. Une sorte de statu quo philosophique avec moi-même.
Peut-être une année plus tard, j’ai découvert l’agnosticisme en me baladant sur Wikipédia. Ç’a été une révélation. Après quelques jours de réflexion, j’en étais sûr : c’était moi ! Je venais de dérouler une sorte de parchemin mental narrant mes quatre vérités :
- la science n’a pas prouvé que Dieu existe ni qu’il n’existe pas, donc la science dit ”je ne sais pas” ;
- la religion croit que Dieu existe*, donc la religion dit ”je sais” ;
- une croyance n’est pas scientifique, mais une ignorance scientifique n’est pas pour autant un mythe ;
- combiner la conviction religieuse (la foi, donc : ”je sais”) avec l’ignorance scientifique (”je ne sais pas”) forme comme une ligne de crête : je sais que je ne sais pas. Et ainsi je suis arrivé à mon agnosticisme.
* Je résume la religion à un monothéisme dévot dans un but purement illustratif, quoique sûrement un peu par préjugé culturel ; mon pays est « catholique », il paraît. Aucun amalgame n’est voulu.
Bien sûr, je ne pouvais pas mettre tout cela en mots à l’époque. Ce que j’écris ne rompait en rien l’homogénéité de ma confusion adolescente. En plus, avais-je vraiment eu besoin de lire ce que j’étais pour le devenir ? Mais c’était cohérent. J’avais l’impression que l’agnosticisme venait de paver une bonne année-lumière de mon chemin spirituel. Et j’ai encore cette impression d’avoir été guidé sur mon propre chemin par lui.
Néanmoins, mon agnosticisme était immature. Sûrement l’est-il encore dans une large mesure, mais pour des raisons évidentes, je ne peux pas me permettre d’attendre d’être mort pour pouvoir parler de moi avec le maximum d’objectivité. (Surtout en tant qu’incroyant. Bref.)
Dans mon cas, l’agnosticisme s’est mûri à coups de phrases-chocs. En fait, à l’époque, il carburait déjà grâce à celle-ci.
C’est d’Aristote et c’est la première citation qui m’ait vraiment marqué. Et je tente d’en appliquer l’enseignement chaque jour. Par contre, je n’entends pas insulter les croyants en leur fracassant un buste d’Aristote sur la tête en constatant qu’une foi, quand elle est liée à un dogme, est une affirmation. ”Dieu existe”, ”Allah est grand”… Peut-être bien que Dieu existe, et peut-être bien qu’Allah est grand – ce n’est pas plus ma place d’en douter que de l’affirmer –, mais personnellement je l’ignore.
Je mentionnais la zététique, tout à l’heure. L’art du doute. Le doute me convient bien, mais présente l’inconvénient de ne pas être productif, ni optimal au regard d’Aristote. Il ne s’agirait pas de suivre un précepte en lui vouant un culte débordant… Cela serait bêtement ironique, non ?
On parlait de phrases-chocs. Voici la première que j’aie conçue de moi-même sur le sujet.
La foi est arrogante, seul le doute est une vraie foi.
Quand je vous disais que mon agnosticisme était immature. Dans cette phrase, j’amalgame ma pensée à l’intolérance, ce qui résulte en ma fermeture d’esprit. Je qualifie la foi de présomptueuse, et par là même j’affirme que ma vision est la bonne, et je suis prosélyte. Enfer et damnation. Mais au fond de moi, je continue de penser que la foi est arrogante, que le doute est sain, alors comment prétendre que je ne suis pas prosélyte ?
Définition
Je ne prétends pas que ma vision est la bonne, ni que celle des autres est mauvaise. Encore une fois, ce n’est pas mon rôle, ni ma place. Demandez-moi si je crois en un dieu, je vous répondrai ”je ne sais pas”. Mais si vous me demandez si je crois en Dieu, en Allah, ou en toute autre entité telle que définie par un culte, je vous répondrai ”non”.
Il y a une raison à la conception d’entités supérieures par les Hommes, comme si l’humanité avait besoin d’imaginer des échelons hiérarchiques au-dessus d’elle pour justifier son apparente supériorité sur son environnement. Toutefois, je considère que les dieux ”dogmatiques”, tels que définis en des temps… antédiluviens dans des Écrits qui sont aujourd’hui des best-stellaires, sont des personnages de romans. Sauf qu’eux, les Dieux, ont le mérite d’avoir donné l’espoir, le bonheur et la cohésion à des sociétés entières. Il est honteux de les citer pour semer le malheur, justifier la destruction, ou brider les esprits. Parce que, qu’ils existent ou non, les dieux jouent un rôle.
Rien ne me différencie, je crois, de l’agnostique typique en ces points, sauf peut-être que je crois qu’il est possible que le théisme dépasse la simple logique sociale. Je crois beaucoup de choses possibles à partir du moment où ce n’est pas ma place d’en juger. Peut-être ce besoin qu’il y ait ”quelque chose” est-il le reflet d’un quelque chose réel ? Je sais que je l’ignore, mais j’aime le croire.
C’est en ça que je ne suis pas un prosélyte ; après tout, quelle que soit ma position, je suis acculé à croire. Croire en Dieu, croire qu’il n’existe pas, croire qu’on doit éviter le dogme… Après tout, tout est croyance, et je ne fais pas défection. Car la croyance comble un vide, et la seule chose qui me différencie d’un croyant au sens religieux, c’est que je ne veux m’inspirer de personne, parce que je veux avoir tort dans mon coin, selon mes valeurs, et me rendre compte tout seul de ce qui me convient le mieux.
Pourtant, j’aurai beau détailler mes idiosyncrasies métaphysiques, j’aime mon sentiment d’appartenance à l’agnosticisme. Je ne supporterais pas de ne croire en rien, et je ne prétends pas croire en des choses mieux que d’autres : je crois que les religions humaines ont une base qui tient de l’étrange et de l’inconnu, je crois qu’il y a vraiment ”quelque chose” dont elles émanent et qu’on ignore… et je le crois sur la base de rien, juste parce que je suis un rêveur et que ça ne se défend pas. C’est l’appel de la signifiance.
On ne peut pas me donner raison ni tort, c’est le lot de la métaphysique en philoshophie, c’est bien en ça que je suis croyant au même titre que n’importe qui d’autre – je n’ai rien d’original – et que, par conséquent, je ne saurais juger de rien et surtout pas des autres. Simplement :
Je crois en ce que je sais ignorer.
Dans la phrase que j’ai citée de moi-même ci-dessus, ”la foi est arrogante, seul le doute est une vraie foi”, je commets l’erreur de l’ignorant : j’affirme que la foi, en affirmant son dogme, est idiote, moyennant quoi… c’est moi l’idiot. Pire : j’agissais en prosélyte. Pire : je créais mon propre dogme de l’antidogmatique.
La tolérance est la qualité que j’admire le plus chez les autres, et je veux la cultiver en moi-même, mais je dois assumer d’être ignorant sans me laisser aller à l’affirmation. C’était paradoxal au regard de la conception d’Aristote, mais je me suis rendu compte que l’alliance entre agnosticisme et antiprosélytisme était en réalité tout à fait logique ; qui est mieux placé qu’un ignorant pour ne rien affirmer ? L’ignorant peut douter et réfléchir aussi ; tout ce qu’il lui faut, c’est la conscience de son ignorance. Et l’on peut tout à fait se rattacher à une religion sans être ignorant ou prosélyte ; ça fonctionne, c’est sain. Il est amusant de voir que j’en suis amené à considérer la citation d’Aristote, qui a contribué en grande partie à constituer ma pensée d’aujourd’hui, comme fausse…
Plus tard, j’ai découvert que la religiosité d’Einstein s’approchait pas mal de la mienne. Allez voir ce que Wikipédia en dit : Einstein était un religieux cosmique, ce que ma tendance à créer des mots m’a amené à traduire en ”cosmiciste” ; non que je veuille coller une étiquette au tireur de langue, mais je trouve que c’est un joli raccourci. Je n’arrive pas à faire cracher à Google qu’Einstein était agnostique, et sans doute ne l’était-il pas. Mais il laissait toujours planer un doute quand on l’interrogeait sur la question divine. ”Un doute”… Dans tous les cas, il décrit le cosmicisme (laissez-moi l’heur d’un innocent néologisme) comme la contemplation de la structure de l’Univers, et ça me convient aussi ; je contemple et je rêve, me délectant de savoir ce que j’ignore.
Le prosélytisme n’est pas réservé au dogme. Mais qui de mieux placé pour ne pas en juger que celui qui sait qu’il ne sait pas en quoi il croit ? Car affirmer une chose, c’est déjà être prosélyte. Personnellement, je respecte trop ce que j’ignore pour prétendre avoir une opinion. Einstein a dit aussi que plus notre cercle de connaissances s’étend, plus le mystère autour de lui est grand. Alors comment pourrais-je prétendre savoir quoi que ce soit ?
Il aura fallu que j’écrive cet article pour me rendre compte d’une chose importante : il y a deux angles totalement différents pour considérer l’agnosticisme.
- D’une part, il y a ce que je vais appeler l’ ”agnosticisme à caractère dogmatique”, qui est l’agnosticime originel : ”la métaphysique est inaccessible à l’Homme, partant de quoi aucun dogme religieux ne peut être fondé” ;
- d’aute part, il y a ce que je désignerai sous le nom d’ ”agnosticisme à caractère théiste”, qui ne s’applique pas à la dogmatique et se résume populairement à un athéisme sceptique, ou un théisme sceptique.
Au travers de cet article, j’ai illustré sous le point de vue de laquelle des deux visions je parlais grâce aux images qui s’affichent maintenant ci-contre (à gauche, l’agnosticisme à caractère dogmatique, et à droite, l’agnosticisme à caractère théiste). Je pense que ma confusion des deux visions a longtemps obscurci ma réflexion, l’apogée se trouvant à mes seize ans, quand je qualifiais la foi d’arrogante ; je menaçais de sombrer dans l’extrême opposé de l’antidogmatisme, celui qui crée le dogme.
Il y a quelques paradoxes que je dois éclairer pour justifier des pompeux diagrammes ci-dessus : un agnostique pro-dogmatique ? Un agnostique théiste ? Peut-être ne voyez-vous pas où je veux en venir.
- Un agnostique dogmatique, c’est ce que j’ai failli devenir quand mon antidogmatisme m’a rendu prosélyte ;
- un agnostique athée, c’est un athée sceptique, quelqu’un qui se dit ”je ne pense pas que Dieu existe, mais je n’en suis pas sûr” ;
- un agnostique théiste, c’est un adepte d’un dogme (quelqu’un de pieux) sceptique : ”je pense que Dieu existe, mais je n’en suis pas sûr” ;
- de manière générale, le degré de théisme d’un agnostique ne constitue qu’une tendance puisqu’un agnostique athée constitue une contradiction en soi, ainsi qu’une conception populaire (déviante, mais pas fausse, en l’occurrence).
Peut-être vous dites-vous que j’essaye de mettre tout le monde dans des petites cases, que je dois bien aimer ça. Mais non. Et la preuve en est que, à moins que vous abhorriez la représentation graphique de l’immatériel (ce que je comprends), vous devriez être en mesure de vous situer sur les deux diagrammes sans vous sentir lésés. Il y a des exceptions à tout, et je vous prie de laisser un commentaire si vous croyez que j’ai tort, car tout enseignement est bon à prendre.
Permettez-moi toutefois d’insister sur la nécessité de ne pas confondre théisme et dogmatique, dogme et prosélytisme, agnosticisme originel et piété, car en aucun cas ces paramètres ne peuvent se mélanger pour constituer des solides, et aucun mélange n’est supérieur à un autre.
La question qui s’impose à ce stade, je pense, est ”comment évoluerai-je ?”. En effet, sur les diagrammes ci-dessus, j’ai tendance à me positionner actuellement contre le mur… On me dit que ma réflexion d’ignorant me lassera, et que je me laisserai convertir à l’athéisme un jour. Mais suis-je si éloigné que ça du théisme ? Je trouve du charme à l’idée révolutionnaire de l’Être suprême, ce Dieu sans nom, et si je dois me lasser un jour, il est aussi possible que je laisse aller ma croyance dans cette direction.
Toutefois, un détail m’empêche pour le moment de considérer la possibilité de verser de l’un ou l’autre côté : l’athéisme irait à l’encontre de mon aversion pour l’affirmation dans le domaine de l’inconnu, et le théisme m’associerait forcément au dogme. Depuis cinq ans que je me sens agnostique, je me sens de plus en plus agnostique. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? En fait, ce sont les paramètres que j’ai acquis au fil du temps, mon antidogmatisme et mon antiprosélytisme, qui agissent comme des aimants me retenant à ma position :
- ma crainte du dogme m’éloigne du théisme, mais j’ai peur aussi de devenir tellement antidogmatique que j’en ferai un dogme ;
- mon antiprosélytisme me pousse à respecter tous les croyants (car j’en suis) mais me dégoûte aussi de l’instrumentalisation qu’en font certains véritables ignorants, en ennemis du respect et de l’ouverture d’esprit.
Alors peut-être ai-je atteint mon équilibre, mais cela… j’ignore si j’ignore l’ignorer ou si j’ignore le savoir.
Tout ce que j’ai pu dire dans cet article, j’ai tenté de le barbouiller des mots les moins forts que j’aie pu rassembler : ”souvent” et non ”toujours”, ”beaucoup” et non ”tous”, ”prétendre” et non ”croire” ; quand j’ai fait le contraire, c’est que l’euphémisme me condamnait à la malhonnêteté. Je ne veux pas être l’ignorant d’Aristote, mais je le serai pourtant.
Alors, en conclusion, je voudrais pousser un dernier sursaut d’humilité : j’ai changé, je peux changer encore. Et puis, c’est bien beau de dire que je sais ce que j’ignore, mais il suffit d’une phrase pour mettre à bas toutes mes précieuses convictions : j’ignore ce que j’ignore. Cependant, le but de ma croyance est de remplir un vide, et je ne pourrais pas remplir du vide avec rien du tout. J’ai abordé un sujet difficile. J’ai voulu parler de moi, mais j’ai parlé pour les autres aussi. Si jamais vous êtes en désaccord avec moi, s’il vous plaît, faites-le moi savoir et nous en débattrons. Merci pour votre lecture.
Source des images du diaporama : What Is The Speed of Dark? – Vsauce
[…] de soi-même ont la vie dure. Mes passions sont dans ce cas. Après avoir mis en mots mon agnosticisme, voici un nouvel article qui parle vraiment de moi. J’y donne ce qui me semble actuellement […]
Il y a un passage dans les évangiles où Pierre, un des apôtres, dit à Jésus Christ encore vivant qu’il croit en lui et qu’il le suivra partout. Jésus Christ lui répond « tu me renieras trois fois avant que le coq chante ». Au moment où ça tourne mal pour les premiers chrétiens, qu’il est question de les battre et de les crucifier, les soldats demandent à Pierre si il a quelque chose à voir avec eux, Pierre dit qu’il ne les connait pas, les soldats insistent, et la troisième fois que Pierre dit non le coq chante. C’est une belle histoire je trouve. Si vous aimez la lecture la Bible est quelque chose de passionnant. Je vous conseille de commencer par le livre qui s’appelle « l’ecclesiaste » c’est une partie de l’ancien Testament qui n’a pas vieilli.
Je connaissais ce passage, mais je n’ai jamais lu la Bible. C’est un gros morceau et j’en ai tellement de petits en cours ! Ah, que ne lis-je plus vite…
Propos d’un agnostique, tendance athée
Les croyants et les adeptes de la religion du non-Dieu que sont les athées, accusant trop légèrement l’agnostique de simple perplexité, il n’est pas inutile d’évoquer quelques-unes des raisons sur lesquelles il peut se fonder sans embarras. Ceci dit, l’auteur précise que toutes les croyances et opinions lui semblent d’autant plus dignes de considération qu’elles sont réfléchies et respectent celles d’autrui.
Parce qu’il a – insuffisamment – conscience de sa condition, l’être humain est dominé par ses sentiments et ses émotions au premier rang desquels figure depuis toujours, son angoisse existentielle. Pour y remédier, son imagination lui permet de se réfugier dans le roman, la poésie et la chanson (de la ritournelle au cantique), le cinéma, la TV… et se soumet volontiers à l’utopie et au mystère, qui sont des formes supérieures de la fiction. Son langage, dont le degré d’achèvement le distingue, entre autres spécificités, de la multitude des espèces peuplant notre univers connu, ainsi que les autres moyens d’expression et de communication dont il a su se doter, ne peuvent que l’y encourager, d’autant plus que sa vanité y trouve confirmation de la distinction dont il aurait été l’objet de la part des Dieux, refusant bien entendu l’idée que Ceux-ci puissent être nés de ses propres fantasmes.
Car c’est précisément sa spiritualité qui distinguerait avant tout l’homme des autres espèces. Mais cette spiritualité n’est-elle pas, comme son langage, une de ces facultés distribuées aussi inégalement que les autres, entre toutes les espèces peuplant l’univers ? Qui prouve que tel ou tel sujet peuplant celui-ci n’en soit pas doté sous une forme plus ou moins élaborée, restant à découvrir ?
Un seul atome, une seule molécule dont l’homme est fait, lui sont-ils exclusivement réservés ? Tous ne se retrouvent-ils pas dans les éléments dont est constitué son environnement, qu’ils soient : liquides, solides ou gazeux, animés comme inanimés, vivants ou morts, chauds ou froids, visibles ou invisibles… ? En quoi l’homme se distinguerait-il dès lors, de tout ce qui peuple cet univers ? Quoi d’autre qu’un imaginaire débridé l’a mené à se voir promettre une existence éternelle ? Son espèce ne disparaîtra-t-elle pas un jour, avec l’âme ou plus simplement le souvenir qui prend ce nom, et son habitat qu’est la Terre, sans que le cosmos n’en manifeste davantage d’émoi que pour l’anéantissement de n’importe quelle étoile, comme il s’en produit à chaque instant parmi les milliards de milliards offertes à sa vue ?
Il s’avère en tout cas qu’en l’absence de réponses autres que celles fournies par des mystères et des révélations dont la signification est réservée à ceux qui ont la foi, des hommes ont de tous temps compris le pouvoir sur leurs semblables qu’ils pouvaient tirer de leurs peurs ; pouvoir d’autant plus grand que ces peurs et la crédulité qui les attise sont partagées. Très tôt, à l’échelle de nos civilisations, des individus ont compris le pouvoir sur leurs semblables que pouvait leur donner, pour le meilleur et pour le pire, le contrôle de leur spiritualité. Plusieurs ont dès lors pu apparaître comme les ambassadeurs de leurs croyances, chargés de faire connaître et de codifier celles-ci, dans les circonstances et parmi les mœurs de leur époque, là où ils se sont manifestés. La surenchère née de ces initiatives a pu ensuite évoluer en guerres, suscitées par l’ambition de conquérir un maximum d’adeptes. Puis, comme par un effet du balancier rythmant tant d’autres aspects de la vie, est apparue la nécessité de revenir à la réalité, en étudiant des faits avérés ; en raisonnant plus ou moins logiquement ; avec l’aide de l’expérimentation, jusqu’à la preuve à laquelle conduit la démarche scientifique. Mais là encore, l’espoir que celle-ci finisse par triompher de peurs non plus dues aux mystères de la création mais à celles provoquées par des découvertes d’un nouvel ordre, est sans cesse différé.
L’homme peut-il donc raisonnablement penser que cette science, parvenue à expliquer nos peurs – à défaut de les faire disparaître – annihilera la spiritualité de l’homme ? Voici qui paraît peu probable, tant elle semble être liée, à des degrés divers, à la vie dans le combat que celle-ci livre depuis son apparition, à un environnement tout aussi naturel, lui opposant une résistance farouche, en même temps qu’il lui offre ce dont elle a besoin pour perdurer.
Telles peuvent être les raisons de l’homme qui, face à de telles incertitudes et l’impuissance de l’espèce dominante à laquelle il appartient à les vaincre, choisit de s’en remettre à lui-même, en se gardant dans toute la mesure du possible des sentiments et émotions pouvant le faire dévier de cette option.
La simple observation peut y aider.